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Rendre les enfants acteurs du bien manger
Pascale Ezan, Université Le Havre NormandieEn 2021, l’agence officielle Santé Publique France a mené une étude auprès de 48 119 enfants scolarisés en maternelle dans le département du Val-de-Marne. Ces travaux avaient pour objet de mesurer l’impact de la crise Covid et du confinement sur le poids (« le statut staturo-pondéral ») d’enfants âgés de quatre ans.
Cette étude a mis en exergue le fait que la proportion d’enfants obèses a quasiment doublé entre les périodes 2018-2019 et 2020-2021, passant de 2,8 % à 4,6 %. Le taux d’enfants en surpoids a également progressé de 8,9 % à 11,2 %.
Les causes de l’obésité sont multifactorielles. Cette étude a ainsi souligné le rôle joué par la sédentarité et la dégradation des modes d’alimentation. Cette dernière se caractérise notamment par l’augmentation de la consommation de produits ultra-transformés et du grignotage.
Davantage d’obésité chez les enfants de milieux défavorisés
Elle a également montré l’importance du contexte socio-économique. Ainsi, le nombre d’enfants obèses dans la population d’enfants étudiés – on parle de prévalence – était plus élevé chez les enfants issus de milieux défavorisés, par rapport à ceux vivant au sein de familles aisées. Cette prévalence s’explique, en partie, par un déficit des modèles de transmission, ce qui a pour conséquence de limiter l’acquisition précoce de connaissances nutritionnelles et de compétences culinaires chez les enfants issus des familles les plus modestes.
De manière générale et quel que soit leur niveau de vie, l’urbanisation croissante dans laquelle évoluent les enfants tend à les éloigner du monde du vivant. Ceci conduit la grande majorité d’entre eux à disposer de connaissances limitées sur l’origine des aliments.
Éducation alimentaire des enfants : des initiatives à conforter
Face à cette situation alarmante, on assiste, depuis plusieurs années, à une prise de conscience collective de la nécessité d’éduquer les enfants au bien manger pour garantir leur santé et leur bien-être tout au long de la vie.
Dans cet objectif, de nombreux programmes d’éducation alimentaire, réactivés par la pandémie du Covid-19, ont vu le jour. Portés par une diversité d’acteurs publics ou privés (professionnels de santé, éducateurs, diverses associations, entreprises…), ces initiatives prennent des formes variées : ateliers de cuisine, animations autour des fruits et des légumes ou du gaspillage alimentaire, visites de lieux de production et de distribution…
Ces démarches doivent être saluées. En revanche, leur multiplicité et/ou leur territorialité ne permettent pas toujours de bénéficier de retours d’expériences pour les dupliquer à un échelon national. En outre, les actions sont souvent ancrées dans le court terme et les objectifs ne sont pas clairement définis, ce qui rend difficile l’évaluation de leurs impacts sur les changements de comportements pérennes des enfants, en particulier pour ceux qui vivent dans des milieux défavorisés.
A cela s’ajoute le fait que les parents ne sont pas toujours associés à ces actions. Les mécanismes de socialisation inversée – c’est-à-dire de transmission des valeurs de consommation des enfants vers les parents – sont alors rendus difficiles car on fait souvent jouer à l’enfant un rôle de censeur, en l’amenant à porter un regard critique sur les choix et les pratiques alimentaires de son foyer.
Accroître la capacité des enfants à améliorer leur alimentation
Afin de réduire ces difficultés, la capacité des membres du foyer à renforcer la qualité de leur alimentation au fil du temps apparaît comme un levier pertinent pour repenser le bien manger chez les enfants et lutter contre les inégalités sociales. Il s’agit alors de leur apporter un ensemble d’informations et de savoir-faire pour leur permettre de choisir les aliments qu’ils consomment avec davantage de discernement. Les spécialistes parlent de « littératie alimentaire »).
Ils envisagent ce concept comme un ensemble de connaissances liées à l’alimentation (nutrition, santé, interprétation des étiquettes, ingrédients dans les recettes) mais aussi des compétences techniques (utilisation d’ustensiles, de matériels, d’appareils, manipulation des ingrédients), ainsi que des compétences en planification (organisation des repas, gestion du budget, achat et stockage des denrées).
Faire les courses, sélectionner les produits…
Parmi les nombreux modèles qui émergent, celui proposé par les chercheuses australiennes Vidgen et Gallegos en 2014 apparaît comme le plus opérationnel pour les acteurs de terrain. Il permet de rendre compte de l’ensemble des savoirs et des savoir-faire à acquérir pour devenir un consommateur éclairé.
Il se présente sous la forme d’un programme d’accompagnement à suivre pour développer des habiletés alimentaires et culinaires à partir de quatre domaines de compétences : savoir faire ses courses, sélectionner les produits appropriés en fonction de la saison, du lieu de production, etc. et les cuisiner, partager un repas avec ses proches et enfin développer un esprit critique vis-à-vis de son alimentation.
Ce modèle offre donc un cadre structurant pour déployer des actions de terrain séquencées et graduées, tenant compte des capacités d’apprentissage des enfants. Facilement transposable dans le cadre d’ateliers ou de séances d’éveil en milieu scolaire, les acteurs engagés dans la promotion du bien manger peuvent alors le décliner en objectifs adaptés à l’âge des enfants, pour les inciter à prendre en charge des tâches quotidiennes liées à l’alimentation chez eux : faire une liste de courses et participer aux achats, savoir lire une recette et préparer les produits nécessaires pour la réaliser…
Le marketing social pour aider aux bonnes pratiques
Depuis plusieurs années, le marketing social suscite un intérêt particulier parmi les acteurs de santé. Il consiste à appliquer les techniques de persuasion éprouvées en marketing pour encourager les individus à adopter des pratiques favorables à leur santé et leur bien-être.
L’enjeu est ici de favoriser l’implication des enfants, qui participent à ces actions d’éducation au bien manger, en jouant sur les leviers de persuasion identifiés par les chercheurs en marketing pour communiquer auprès du jeune public.
Ainsi, pour qu’un message soit compris et accepté par l’enfant, il est nécessaire de lui faire vivre au préalable une expérience qu’il perçoit comme agréable. Appliqué à l’éducation alimentaire, ce principe induit trois étapes à respecter :
1/Placer l’enfant dans un environnement bienveillant pour provoquer une attitude favorable envers l’activité proposée ;
2/Une fois cette mise en confiance obtenue, l’engager à faire par lui-même pour renforcer ses croyances en ses propres capacités ;
3/Nourrir sa curiosité, induite par cette mise en situation, avec des connaissances sur l’alimentation.
Si l’éducation des enfants au bien manger est un enjeu de santé publique pour lutter contre l’obésité et le surpoids, elle peut aussi s’envisager comme une formidable occasion de fédérer des acteurs sociaux et de faire dialoguer divers champs théoriques autour d’un objectif majeur : accroître leur capacité à améliorer leur alimentation avec des programmes d’accompagnement à partager et à répliquer.
Pascale Ezan, professeur des universités - comportements de consommation - alimentation - réseaux sociaux, Université Le Havre Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.