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Manger plus tôt pour protéger son cœur ?
Bernard Srour, InsermOn savait que les horaires de prises des repas étaient associés à un risque plus ou moins grand de développer certains problèmes métaboliques, tels qu’obésité ou diabète notamment. De nouveaux travaux pilotés par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle – EREN (Inserm, Inrae, université Sorbonne-Paris-Nord) – et de l’Institut de santé globale de Barcelone établissent pour la première fois l’existence d’un lien entre l’heure du premier et du dernier repas de la journée et le risque de maladies cardiovasculaires.
Chercheur en épidémiologie et coordonnateur du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (Recherche NACRe), Bernard Srour a co-dirigé ces travaux, dont il nous présente les résultats.
The Conversation : Vos derniers travaux, publiés dans la prestigieuse revue Nature Communications, suggèrent que notre alimentation et nos rythmes biologiques sont en étroite relation…
Bernard Srour : Oui. On savait déjà que la qualité nutritionnelle de l’alimentation peut avoir un impact sur notre santé, en particulier notre santé cardio-vasculaire. En revanche, on ignorait si les heures auxquelles on s’alimente pouvaient aussi avoir un rôle.
Des soupçons existaient cependant. Des études expérimentales, menées chez la souris, avaient démontré que l’heure ou la durée pendant laquelle ces animaux étaient nourris pouvait influer sur leur santé. Une équipe américaine avait par exemple comparé deux groupes de rongeurs ayant consommé exactement le même nombre de calories, à la différence près que l’un avait reçu sa nourriture uniquement pendant la nuit (période durant laquelle les souris, des animaux nocturnes, sont actives), tandis que dans le second cas, les animaux avaient été nourris en répartissant les apports sur 24 h.
Les chercheurs ont alors constaté que les souris qui avaient consommé leur nourriture durant leur phase active avaient des profils métaboliques et inflammatoires meilleurs que les souris qui avaient été nourries sur 24 h.
On sait par ailleurs que notre alimentation influence sur nos horloges biologiques, en agissant comme un « synchronisateur ».
Partant de ces constats, nous nous sommes demandé si les heures auxquelles nous consommons notre nourriture pouvaient avoir un impact sur le risque de certaines maladies. Nous avons émis l’hypothèse que tout ce qui pourrait entraîner des dérèglements métaboliques pourrait agir sur le risque de maladies résultant de tels dérèglements. C’est notamment le cas des maladies cardiovasculaires (mais aussi du diabète de type 2, ou de certains cancers, comme ceux liés à l’obésité).
The Conversation : Pour étudier les associations avec les maladies cardiovasculaires, vous vous êtes appuyés sur la cohorte NutriNet-Santé ?
B.S. : Oui. Nous avons utilisé les données de plus de 100 000 personnes qui avaient été incluses dans la cohorte en 2009 et suivi jusqu’en 2022. Nous avions collecté des données démographiques, ainsi que des informations détaillées sur leur mode de vie, leur consommation d’alcool, leur tabagisme éventuel, leur catégorie socioprofessionnelle, leur statut pondéral, leur sommeil, etc.
Nous avions aussi des enregistrements détaillés et répétés, et surtout horodatés de leurs habitudes alimentaires. Nous connaissions donc les heures de chacune de leurs prises alimentaires.
Nous avons mis ensuite en lien statistique les données correspondant aux heures des repas avec le risque d’avoir développé une maladie cardiovasculaire (infarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu, accident vasculaire cérébral, accident ischémique transitoire, angine de poitrine…), en nous basant sur les déclarations des participants validées par un comité médical, ainsi que sur des bases de données médico-administratives qui nous permettent d’avoir à disposition des données précises et validées sur leur état de santé.
The Conversation : Que vous ont appris ces données ?
B.S. : Nous avons observé que lorsque l’horaire de la première prise alimentaire de la journée était décalé d’une heure, le risque de maladie cardiovasculaire augmentait de 6 %. Autrement dit, une personne qui a l’habitude de manger pour la première fois à 9 h 00 du matin par exemple, pourrait avoir jusqu’à 6 % en plus de risque de développer une maladie cardiovasculaire, comparativement à quelqu’un qui l’habitude de prendre son premier repas de la journée à 8 h 00.
Pour la dernière prise de la journée, on constate qu’un délai d’une heure est associé à une augmentation de 8 % du risque de maladie cérébrovasculaire (accident vasculaire cérébral ou accident ischémique transitoire).
Nous avons aussi constaté une association avec la durée du jeûne nocturne. Pour une augmentation d’une heure de la durée de ce jeûne, on constate une diminution de 7 % du risque de maladie cérébrovasculaire.
The Conversation : Est-ce que ces effets sont-ils cumulatifs ?
B.S. : Ce sont des schémas qui sont très corrélés. Nos résultats suggèrent que si on allonge le jeûne nocturne, ce serait bénéfique, mais du coup, si on prend son petit déjeuner plus tard, ce serait moins bien. Pour prolonger la durée du jeûne nocturne, mieux vaut par exemple avancer le repas du soir pour le prendre tôt, que repousser ou sauter ou sauter le repas du matin.
Si la durée de consommation alimentaire est de onze heures par exemple (donc un jeûne nocturne de treize heures), nos résultats plaideraient pour une première prise alimentaire à 7 h du matin, et un dernier repas à 18 h ; plutôt que de commencer à 11 h et s’arrêter à 22 h (ce qui correspond également à treize heures de jeûne nocturne). Cette pratique est connue sous le nom de « early time-restricted feeding », ou « alimentation limitée dans le temps à partir du matin ».
L’idée est de combiner à la fois une durée du jeûne plutôt longue, avec une première prise plutôt précoce. Autrement dit, commencer tôt et finir tôt.
The Conversation : Existe-t-il une durée optimale du jeûne ?
B.S. : Nous ne nous sommes pas intéressés à la durée optimale du jeûne dans ces travaux, cependant il y a quelques mois nous avions publié un autre article dans la revue International Journal of Epidemiology, toujours en collaboration avec l’Institut de Santé Globale de Barcelone. Nous avions alors étudié les associations existant entre le risque de développer un diabète de type 2 et les horaires des repas, le nombre de prises ou la durée du jeûne nocturne (toujours au sein de la cohorte NutriNet-Santé).
Les résultats ont suggéré qu’à partir d’un cycle de 11 heures d’alimentation / 13 heures de jeûne, une association protectrice avec le risque de diabète de type-2 était observée, mais seulement si la première prise alimentaire survenait avant 8 h du matin.
The Conversation : Comment explique-t-on l’importance de l’horaire de la première prise de nourriture de la journée ?
B.S. : Cela pourrait s’expliquer par les variations physiologiques liées au rythme circadien et aux horloges biologiques.
Lorsqu’on est exposé à la lumière le matin, cela des effets sur notre production d’hormones : le pic de mélatonine diminue, et le cortisol commence à être sécrété, ce qui nous « booste ». Par exemple, plusieurs études ont montré qu’on est plus sensibles à l’effet de l’insuline en matinée que dans l’après-midi ou en soirée. Comme si notre organisme était mieux préparé à la consommation alimentaire.
On constate aussi des variations interindividuelles liées aux différences génétiques et aux chronotypes (le fait d’être plutôt « du matin » ou « du soir », ou ni l’un ni l’autre). On sait par exemple que les personnes ayant un chronotype « du matin » ont tendance à avoir une probabilité plus élevée d’être en meilleure santé que les personnes qui sont « du soir » (les chronotypes sont aujourd’hui bien établis, et peuvent être déterminés via des questionnaires validés).
The Conversation : Existe-t-il d’autres différences ? Liées à l’âge, au sexe, etc. ?
B.S. : Les associations que l’on a observées étaient plus fortes chez les femmes, mais cela pourrait être lié au fait que notre cohorte comporte une majorité de participantes : nous avions plus de puissance statistique pour observer des associations significatives chez les femmes. On ne peut cependant pas exclure l’existence de différences entre hommes et femmes dans la manière dont l’alimentation agirait sur les horloges biologiques.
En ce qui concerne l’âge, nous avons pris en compte son effet dans nos calculs statistiques (pour l’éliminer), ce qui signifie que nous ne pouvions pas déterminer son influence. En revanche, on sait grâce à d’autres travaux que les rythmes alimentaires, mais aussi le chronotype, peuvent changer avec l’âge. Si on est du matin une période de sa vie, on peut devenir du soir à une autre, ce qui a donc une influence sur les effets que peut avoir notre façon de nous alimenter.
The Conversation : Quelles sont les prochaines étapes de vos travaux ?
B.S. : Nous sommes en train d’approfondir nos analyses afin de déterminer s’il existe des liens avec certains marqueurs du stress oxydant, des marqueurs de l’inflammation, des marqueurs métaboliques, qui permettraient d’établir des liens avec l’obésité ou le risque de maladies chroniques (nous avons pour cela à disposition une banque d’échantillons biologiques provenant de 20 000 participants à la cohorte NutriNet). Nous sommes également en cours de collecte de selles, et nous pouvons donc imaginer étudier si le microbiote intestinal peut jouer un rôle dans ces associations, comme suggéré par certaines études.
Nous aimerions aussi, dans un autre volet de notre projet, analyser les trajectoires de ces rythmes en fonction de l’âge, ou en fonction des moments clés de la vie, comme l’arrivée d’un bébé dans le foyer - qui chamboule beaucoup de choses - le passage dans la vie active ou à la retraite, l’effet des vacances, etc.
Par ailleurs, nous aimerions évaluer à l’avenir s’il existe un moment optimal pour certains types d’apports en macronutriments (glucides, lipides, protéines…). L’idée serait de déterminer si la composition de la première prise alimentaire de la journée et de la dernière prise pourrait jouer sur le risque de développer certains types de maladies.
En croisant ces informations avec d’autres données, qui montrent par exemple une meilleure efficacité de l’activité physique pratiquée à certaines heures de la journée, et avec l’apport d’autres travaux épidémiologiques, cliniques et expérimentaux, on peut espérer établir des recommandations encore plus optimales.
Bernard Srour, Research associate professor of epidemiology at CRESS - EREN (Inserm, INRAE, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité), and head of the NACRe network (Réseau NACRe), Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.