Petite histoire rafraîchissante des glaces et artisans glaciers
Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)La glace, douceur gentiment régressive qui s’impose à la période estivale… Produit éphémère par excellence, synonyme de moments hédonistes et le plus souvent partagés, elle évoque une forme de nostalgie liée à l’enfance. Les Français en consomment environ 6 litres par an, et 50 % des ventes sont réalisées sur une dizaine de semaines, en été, selon la Confédération Nationale des Glaciers de France (CNGF). Il y a les sorbets (sans matières grasses) ou les crèmes glacées (qui contiennent du lait ou des œufs), que l’on peut déguster en pot, en bac, en cône ou en bâtonnet. Toujours d’après la CNGF, organisme qui soutient et accompagne les glaciers depuis 80 ans, les parfums plébiscités seraient la vanille, le chocolat et le café pour les crèmes glacées et la fraise, le citron et la poire pour les sorbets.
Histoires et légendes
Beaucoup d’histoires et de légendes entourent ses origines. La plupart des chercheurs s’accordent cependant pour dire que la glace aurait été inventée en Chine. Son apparition, elle, s’échelonne entre – 3000 et – 200 avant Jésus-Christ, selon les sources.
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Certains documents expliquent que les Chinois utilisaient du lait de jument ou d’ânesse qui était fermenté et chauffé avec de la farine et du camphre pour être ensuite glacé puis consommé. Dans d’autres textes, on aromatisait du lait de chèvre avec du miel et des plantes et la technique de refroidissement consistait en un mélange d’eau et de salpêtre.
Les Perses, eux, auraient créé le faludeh ou faloudeh, une boisson glacée à base d’eau de rose et de vermicelles auxquels on ajoutait du safran et des fruits, et alors réservée aux plus riches. Dans la même région, on aurait trouvé des boissons aux fruits refroidies avec de la neige, s’appelant sharbet. Ce mot, d’origine Perse, a par la suite donné le mot français « sorbet ».
Beaucoup d’informations imprécises voire contradictoires circulent concernant l’évolution des glaces et des sorbets au cours des siècles suivants. Par exemple, et contrairement à une idée reçue, ni Marco Polo, ni Catherine de Médicis ne seraient à l’origine de l’apparition des crèmes glacées en Italie puis en France. Mais les crèmes glacées qui ressemblent à celles que l’on mange aujourd’hui sont bien nées en Italie. Ce sont les fameuses gelati.
En France, en 1686, le sicilien Francesco Procopio dei Coltelli achète à Paris le Café Procope dans lequel il proposera plus de 80 parfums de glaces, devenant ainsi le premier café-glacier de la capitale. Le succès est total : les membres de l’aristocratie et les plus riches se rendent chez lui pour déguster une coupe glacée. A l’époque, il est compliqué de se procurer puis de conserver de la glace. Le produit est donc coûteux et réservé à une élite.
Au cours du XIXe siècle, les techniques de fabrication et de conservation de la glace s’améliorent considérablement. En effet, dans les années 1840, l’Américaine Nancy Johnson invente la première sorbetière à manivelle, améliorée en 1885 par l’anglaise Agnes Bertha Marshall, surnommée « la reine des glaces ». En 1860, le français Charles Tellier crée la première machine frigorifique permettant ainsi la fabrication du froid artificiel. L’apparition et le développement de l’électricité permettent aussi la conservation des produits. Le nombre de glaciers se multiplie alors, et le succès des glaces va grandissant.
Un attrait croissant pour glaces artisanales et pour les artisans glaciers
Selon l’étude Xerfi classic sur La fabrication et le marché des glaces et sorbets publiée en avril 2022, la France est aujourd’hui le premier pays producteur de glaces et de sorbets en Europe et le 2e exportateur mondial derrière l’Allemagne. Dans l’hexagone, deux acteurs s’imposent : les fabricants industriels et les artisans glaciers. Les premiers dominent largement avec 1,2 milliard d’euros de chiffres d’affaires en 2021, grâce principalement à la vente aux grandes et moyennes surfaces. Les artisans glaciers, en grande majorité propriétaires de leur magasin, vendent leurs produits directement aux consommateurs et, toujours selon les estimations de Xerfi, auraient un chiffre d’affaires d’environ 400 millions d’euros en 2021.
Or les Français plébiscitent de plus en plus les produits des artisans glaciers et cette profession est en pleine évolution. D’ailleurs, le nombre d’établissements artisanaux et de petits industriels a augmenté de 31 % entre 2012 et 2020 et ce, pour diverses raisons : tout d’abord, les consommateurs sont de plus en plus exigeants concernant la composition des produits qu’ils mangent. Grâce aux applications comme Yuka par exemple, ils peuvent instantanément prendre connaissance des stabilisateurs et additifs que contiennent leurs glaces. C’est pourquoi ils se tournent souvent vers des produits de meilleure qualité, alliant plaisir et santé, et principalement artisanaux.
On assiste également à un fort engouement pour des produits écoresponsables. Grand nombre d’artisans glaciers font appel aux circuits courts et aux produits de saison, supprimant colorants, sucre ultra-transformé et autres conservateurs. Julia Canu (une des rares femmes possédant le titre d’artisan glacier en France, même si la tendance évolue) et Tiago Barbosa, cofondateurs du glacier écoresponsable Único à Lyon, travaillent en direct avec leurs producteurs et leurs sorbets ne sont faits qu’à partir de produits frais. C’est pourquoi de nombreux restaurateurs font appel à eux pour réaliser des glaces de qualité qui accompagnent leurs menus. Ils en ont déjà créé une à l’artichaut par exemple et élaboré un sorbet vinaigre, échalote et poivre concassé pour accompagner les huîtres en période de fêtes.
Les petits industriels de la glace surfent eux aussi sur ces nouvelles tendances ainsi que sur les nouveaux modes de consommation. Cécilia Thomas et Laura Faeh, créatrices de la marque Lapp ont innové en créant les les poptails, des cocktails glacés, alcoolisés ou non, réalisés avec des produits naturels et végans. Elles expliquent que leur choix s’est effectué en lien avec leurs modes de consommation et leurs convictions écologiques, choix partagés par de plus en plus de consommateurs.
Parallèlement à ces artisans indépendants, rares sont les pâtissiers de renom qui ne produisent pas leur propre glace, avec des positionnements marketing – prix, packaging – souvent très luxueux.
Enfin, être artisan glacier comporte aussi une part artistique, à l’image de la pâtisserie. La palette d’invention est vaste : jeu sur les textures, les couleurs, possibilité de créer des parfums salés ou d’oser des associations inédites… Parmi les divers concours gastronomiques, celui de Meilleur Ouvrier de France (MOF) dans la catégorie glacier porte le savoir-faire artisanal français de la profession à son paroxysme. La maîtrise du geste, des goûts et des textures de ceux qui obtiennent, après des années de préparation et une grande dose d’abnégation, le col bleu blanc rouge, suscitent l’admiration de beaucoup d’apprentis artisans et des consommateurs en quête de qualité.
Si la profession d’artisan glacier demeure à ce jour moins populaire que celle de pâtissier, elle est cependant en pleine évolution, et connaît un engouement de plus en plus grand.
Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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