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Notre microbiote intestinal, cible collatérale des pesticides : focus sur les effets du chlorpyrifos
Maria Abou Diwan, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Hafida Khorsi, Université de Picardie Jules Verne (UPJV) et Pietra Candela, Université d'ArtoisSi la France est l’un des principaux acteurs de l’agriculture en Europe, elle fait cependant face à des défis croissants en matière de production alimentaire et de protection des cultures contre les ravageurs et les « mauvaises herbes ».
Dans cette quête pour répondre aux besoins d’une population mondiale en expansion, l’utilisation des produits phytosanitaires a longtemps été considérée comme la solution salvatrice. Cependant, l’impact environnemental de ces composés chimiques (qui font partie des pesticides) se révèle préoccupant pour la santé publique, ce qui suscite un débat animé sur leur utilisation, comme en témoigne l’effervescence récente autour de la question du renouvellement du glyphosate.
Mais cette molécule n’est pas la seule à poser problème. Un autre cas emblématique est celui du chlorpyrifos. Interdit en France depuis 2020, on en trouve pourtant encore une certaine quantité dans les sols de notre pays. Que sait-on de ses effets sur la santé, et en particulier sur notre microbiote intestinal ?
Omniprésence des pesticides et santé
Malgré les réglementations mises en place pour limiter leur utilisation, l’exposition de la population française aux pesticides reste importante, notamment dans la région des Hauts de France. Ces produits se retrouvent en effet dans l’air que nous respirons, dans l’eau que nous buvons et dans notre alimentation d’une manière plus générale.
Cette omniprésence représente un risque pour l’être humain, car la toxicité de ces substances ne s’arrête pas aux organismes ciblés. Depuis plusieurs années, une question se pose avec une insistance croissante : se pourrait-il que certains effets néfastes observés chez l’être humain, voire la survenue de certaines maladies, soient liés à une exposition aux pesticides ?
Certaines études semblent en effet avoir trouvé des preuves du rôle possible de l’exposition aux pesticides dans la survenue de maladies humaines telles que les cancers, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, l’autisme, les malformations congénitales et l’infertilité.
Dans un tel contexte, la question de l’exposition chronique à un mélange de résidus de pesticides devient un enjeu sanitaire de premier plan. Cela est d’autant plus important quand cette exposition a lieu durant la période périnatale car la grossesse est une période particulière de la vie, marquée par une certaine vulnérabilité de la mère mais également de l’enfant à naître.
Or, en 2021, l’expertise de l’Institut national de la Recherche médicale (Inserm) « Pesticides et effets sur la santé », indiquait que des analyses menées sur des prélèvements de méconium (les premières selles du nouveau-né) collectés d’une cinquantaine de nouveau-nés sains ont révélé « la présence de chlorpyrifos, diazinon, propoxur et isoproturon dans la majorité des échantillons. »
Qu’est-ce que le chlorpyrifos ?
Le chlorpyrifos est un insecticide qui a été largement utilisé dans l’agriculture, durant plusieurs décennies.
Cet insecticide fait partie de la famille des organophosphorés, des molécules qui ciblent le système nerveux des insectes. En raison de sa neurotoxicité et ses effets nocifs sur l’environnement et la santé, des restrictions ont été imposées à son utilisation. Des travaux évaluant les facteurs de risque environnementaux de maladies neurodégénératives ont en effet révélé que l’exposition au chlorpyrifos est associée à des troubles cognitifs, à un stress oxydatif et à des lésions neuronales.
En 2020, une interdiction de l’utilisation de ce pesticide a été annoncée, avec une date butoir fixée en 2022, en faveur de la transition vers une agriculture plus durable et respectueuse de l’environnement. Néanmoins, en 2023, une certaine quantité de résidus de chlorpyrifos est encore retrouvée dans les sols français.
Celle-ci varie en fonction de plusieurs facteurs, tels que les conditions environnementales, les pratiques agricoles antérieures, et les processus naturels de décomposition. En effet, le chlorpyrifos, appliqué pendant plusieurs décennies et en grande quantité, se lie aux plantes, aux particules de sol ou aux sédiments. Après un certain temps, sa fraction principale est soit volatilisée, hydrolysée, ou biodégradé en fonction des propriétés physico-chimiques du pesticide. La volatilisation dépend de la concentration, la température et les propriétés du sol. Quant à sa biodégradation, elle dépend du type et du mélange de microorganismes habitant le sol.
Tous ces facteurs font que la demi-vie de ce pesticide (le temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité) n’est pas constante : elle peut être d’une centaine de jours comme persister jusqu’à 17 ans.
L’interdiction qui a concerné le chlorpyrifos n’a, en outre, pas englobé tous les pesticides organophosphorés. Une panoplie d’autres molécules, dont on ne parle pas, appartenant à cette même famille, sont utilisées comme le diazinon, le malathion et le parathion. Si l’effet principal de ces molécules est neurotoxique, des études récentes témoignent que ces molécules agissent aussi sur la réaction au stress assurée par le microbiote intestinal, et sur son implication dans le métabolisme des glucides.
C’est la raison pour laquelle les recherches sur les effets sur la santé des pesticides organophoshporés, et du chlorpyrifos en particulier, se poursuivent. Des travaux ont révélé des résultats préoccupants quant à son impact sur le microbiote intestinal.
Le microbiote intestinal, un « organe symbiotique »
Le microbiote intestinal n’est pas une simple communauté de microorganismes colonisant notre tractus digestif. Il est de nos jours plutôt vu comme jouant le rôle d’un organe indispensable à diverses fonctions de notre organisme. Il s’agit notamment de la première barrière physique de notre corps à être en contact avec les contaminants alimentaires tels que le chlorpyrifos.
Il ne s’agit cependant pas d’un organe comme les autres, mais plutôt d’un « organe symbiotique » : les micro-organismes qui le composent (principalement des bactéries), établissent une symbiose avec notre organisme, autrement dit une association intime, durable, et dans le cas présent, mutuellement bénéfique.
En effet, le microbiote intestinal n’est pas isolé du reste de notre organisme. Les micro-organismes qui le composent participent à la digestion des aliments, jouent un rôle dans la synthèse de certaines vitamines, interviennent dans les défenses immunitaires, et, via les molécules qu’ils produisent en faisant tout cela, régulent certaines voies métaboliques (absorption des acides gras, du calcium et du magnésium notamment).
Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de l’importance de cette association : notre microbiote intestinal est composé d’environ 1014 micro-organismes, soit 100 000 milliards de cellules, autrement dit un nombre qui dépasse celui des cellules de notre propre corps. On estime que le microbiote contient 3 millions de gènes, alors que notre propre génome n’en contient qu’approximativement 23 000. C’est à se demander si nous ne serions pas plus « bactérien » qu’humain…
Cet écosystème microbien intestinal est devenu un sujet important de la recherche en raison de son implication dans de nombreuses pathologies, comme l’obésité, le diabète de type 2 et le cancer du côlon. On sait qu’il diffère chez la femme enceinte.
En effet, les variations hormonales (œstrogène et progestérone) et les altérations au niveau du système immunitaire qui se produisent durant la grossesse influencent la composition bactérienne ainsi que les fonctions du microbiote intestinal. Cela entraine des perturbations métaboliques pouvant conduire à l’obésité ou à un diabète dit « gestationnel ».
Dans un tel contexte, la question d’une éventuelle sensibilité accrue des femmes enceintes aux contaminants alimentaires se pose donc avec acuité.
Chlorpyrifos et perturbation du microbiote intestinal
Des études récentes ont montré que l’ingestion, par des rates gestantes, d’aliments contenant des pesticides, et notamment du chlorpyrifos, a été associée à des altérations de la composition du microbiote intestinal.
Une diminution des populations de certaines bactéries bénéfiques et une augmentation d’espèces potentiellement pathogènes chez la mère et la descendance ont été observées. Parallèlement à ces conséquences microbiologiques, les résultats ont montré une perturbation du profil lipidique et glycémique par le chlorpyrifos, d’où son lien avec la survenue de l’obésité et du diabète de type 2.
On l’a vu, notre microbiote intestinal est en dialogue constant avec notre organisme. Et notamment avec deux barrières fonctionnelles très importantes pour nous protéger des envahisseurs : la barrière intestinale et la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau. Cette connexion est définie comme l’axe microbiote-intestin-cerveau.
Or, il a été démontré que le chlorpyrifos agit non seulement directement sur le système nerveux, mais qu’il perturbe aussi l’environnement microbien de l’intestin. Ce qui a des conséquences qui dépassent notre seul tube digestif.
Des perturbations du microbiote intestinal qui peuvent avoir des répercussions à distance
Les dérégulations du microbiote sont regroupées sous le terme « dysbiose intestinale ». Les conséquences de telles perturbations sont notamment des modifications dans la composition du cocktail de molécules produites lors du fonctionnement du microbiote intestinal, ce qui peut avoir un impact sur d’autres organes.
On sait par exemple que des changements dans la production des acides gras à chaîne courte, produits par les bactéries « bénéfiques » du microbiote, impactent la perméabilité de la barrière intestinale et induisent une inflammation de l’intestin.
Cela va aussi permettre le passage de micro-organismes et de substances potentiellement nocives dans la circulation sanguine et, finalement, vers le cerveau à travers la barrière hémato-encéphalique, dont l’étanchéité est impactée par le chlorpyrifos.
Ce phénomène, qu’on appelle « translocation bactérienne », pourrait contribuer au développement de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), des maladies métaboliques et des problèmes neurologiques, tels que l’anxiété ou la dépression.
Ces résultats indiquent que cet insecticide pourrait ainsi perturber dans sa totalité la communication au sein de l’axe microbiote-intestin-cerveau, et donc avoir des effets sur plusieurs organes du corps.
Dans cette optique, il semble nécessaire de poursuivre les études sur cette molécule et les résidus de pesticides en général afin de mieux comprendre leur implication dans les maladies à long terme et proposer des stratégies préventives nutritionnelles efficaces.
Comment prévenir ces effets et protéger notre microbiote intestinal ?
Ces phénomènes pathologiques, bien qu’alarmants, semblent pouvoir être contrés. Des études récentes, dont celles de notre laboratoire, PériTox, ont montré que certains prébiotiques pourraient être bénéfiques dans le traitement du dysfonctionnement intestinal, en réduisant le risque des maladies inflammatoires et le cancer colorectal.
Les prébiotiques sont des éléments nutritifs qui ont la capacité de favoriser la croissance des « bonnes bactéries » présentes au sein du microbiote intestinal (désignées quant à elles par le terme générique « probiotiques »). Concrètement, il s’agit d’éléments dont ces bactéries bénéfiques vont pouvoir se nourrir.
Les prébiotiques peuvent être apportés par l’alimentation. Citons par exemple les fibres alimentaires tels que des fructo-oligosaccharides (FOS) (comme l’inuline), les galacto-oligosaccharides (GOS), les trans-galacto-oligosaccharides (TOS) et l’amidon résistant que l’on trouve dans de nombreux fruits, légumes (comme la chicorée et les endives), céréales et lait. Ils peuvent être aussi pris en supplément.
Par ailleurs, l’alimentation peut aussi apporter des probiotiques, comme les bactéries que l’on trouve dans les yaourts (Lactobacilles).
Une supplémentation en probiotiques et prébiotiques est désormais considérée comme une approche prometteuse pour atténuer les effets négatifs des contaminants alimentaires. Des études menées au laboratoire PériTox ont par exemple montré que la supplémentation en inuline (une fibre alimentaire ayant un effet prébiotique) entrave les effets du chlorpyrifos, en rétablissant l’équilibre au sein de la flore intestinale.
Favoriser une alimentation pauvre en résidus de pesticides, dite « bio » pourrait aussi réduire notre exposition. En effet, selon le dernier rapport de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les aliments d’origine végétale issus de l’agriculture biologique présentent de plus faibles teneurs en résidus de pesticides.
Bien penser notre alimentation, surtout durant la grossesse, est donc la clé pour protéger la santé de notre microbiote intestinal et celle de notre enfant à naître face aux contaminants alimentaires. En attendant que les stratégies alternatives à l’utilisation des pesticides en agriculture qui commencent à voir le jour prennent de l’ampleur…
Maria Abou Diwan, Doctorante Biologie santé et environnement, Laboratoire de la Barrière Hémato-Encéphalique (LBHE), UR 2465, Faculté Jean Perrin, Université d’Artois ; PériTox - Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01 UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Hafida Khorsi, Professeur des universités en microbiologie, PériTox - Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01, UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV) et Pietra Candela, Docteur, maître de conférences, Laboratoire de la Barrière Hémato-Encéphalique (LBHE), UR 2465, Faculté Jean Perrin, Université d'Artois
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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