Pandémies du futur : Comment anticiper l’émergence de la « maladie X » ?

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Pandémies du futur : Comment anticiper l’émergence de la « maladie X » ?

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The Conversation

Pandémies du futur : Comment anticiper l’émergence de la « maladie X » ?

Rodolphe Gozlan, Institut de recherche pour le développement (IRD); Marine Combe, Institut de recherche pour le développement (IRD); Mathieu Nacher, Université de Guyane et Soushieta Jagadesh, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Anticiper l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est devenu l’un des défis majeurs de notre époque, comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19.

La question n’est pas tant de savoir « si » une prochaine pandémie va se produire, mais bien plutôt « quand »… Pourrons-nous en détecter les signes avant-coureurs suffisamment tôt, afin de ménager aux agences de santé et aux structures étatiques un temps d’avance pour mettre en place une réponse adaptée ?

Pour y parvenir, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dressé une liste de maladies présentant un risque de santé publique à grande échelle, en raison de leur potentiel épidémique et de l’absence, ou du nombre limité de traitements ou de mesures de contrôle.

Si la majorité des affections répertoriées sur cette liste sont déjà connues (Ebola, Zika, MERS, etc.), on y trouve aussi une mystérieuse « maladie X ». Causée par un nouvel agent pathogène, cette hypothétique, mais probable, « maladie X », encore inconnue, pourrait engendrer une grave épidémie internationale, pour laquelle l’OMS appelle à se préparer.

Peut-on vraiment espérer deviner quels microbes pourraient nous menacer, quand la majorité d’entre eux sont encore inconnus des scientifiques ? À défaut de pouvoir lire l’avenir, le passé est riche d’enseignements très utiles pour prévoir les émergences, et déterminer les régions du globe à surveiller en priorité. Nos travaux de modélisation avaient notamment mis en évidence, avant la pandémie de Covid-19, le risque lié aux coronavirus circulant en Chine et en Asie du Sud-Est.

Quel avis éclairé peut-on émettre concernant les endroits où pourrait émerger la maladie X ? Voici un petit tour d’horizon des zones les plus à risques.

Comment identifier une maladie qui n’est pas encore apparue ?

Qu’elles soient dues à des virus, des bactéries, ou des parasites, ces dernières décennies, plus de 70 % des maladies infectieuses émergentes étaient d’origine animale (on parle de zoonoses).

Ces épidémies peuvent être causées par un agent pathogène jusqu’alors inconnu, ou par un pathogène déjà répertorié qui aurait conquis une nouvelle zone géographique, ou encore qui se serait modifié pour donner naissance à un nouveau variant.

L’étude et la détection des zones les plus à risque (aussi appelées points chauds) sont difficiles, car la façon dont les zoonoses se propagent dépend de la distribution spatiale de leurs réservoirs (les espèces animales sauvages ou domestiques qui abritent le pathogène sans développer de symptômes de la maladie), ainsi que de leurs hôtes mammifères (les espèces qui peuvent être contaminées et développer la maladie), ainsi que de leurs interactions avec l’être humain.

Des études montrent que l’émergence des maladies zoonotiques est étroitement liée aux paysages modifiés par ce dernier, tels que les forêts périurbaines fragmentées, qui perturbent l’interface humain-animal-environnement. Par conséquent, les principaux moteurs des maladies infectieuses émergentes) sont les processus écologiques, les modifications du paysage (en particulier liées au développement agricole), les changements dans les écosystèmes aquatiques, la déforestation et la reforestation.

Parmi les futurs coupables présumés : trois grandes familles de virus

En regardant dans notre passé récent, nous savons que les virus non sexuellement transmissibles qui ont émergé au cours de ces dernières décennies et qui ont présenté les plus grands risques infectieux pour l’humanité appartenaient à trois grandes familles de virus, les Filoviridae (Ebola, Marburg…), les Coronaviridae (SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2, MERS…) et les Henipavirus (virus Nipah, virus de Hendra…).

Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée).
Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée). National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH, CC BY-NC

Il est donc fortement probable que la maladie X sera liée à un virus appartenant à une de ces 3 grandes familles. Il n’y a aucune certitude, mais au vu de l’expérience des dernières décennies, la probabilité qu’une maladie zoonotique émerge d’une famille de virus qui jusque-là n’aurait encore jamais été impliquée dans des épidémies est relativement faible.

S’il s’avérait, comme nous le supposons, la prochaine pandémie (concernant donc la maladie X) résultera bien de l’une de ces familles de virus, les conditions responsables de son émergence se retrouveront inévitablement liées à celles trouvées par le passé dans l’émergence de ces grandes familles de virus.

Comment procéder pour détecter la maladie X ?

Partant de ce constat, nous avons caractérisé les conditions socio-environnementales et climatiques associées à l’émergence des virus appartenant à la liste établie par l’OMS. Cette approche « biogéographique » nous a déjà permis par le passé de prédire l’émergence de maladies infectieuses, ce qui témoigne de sa solidité.

Concrètement, il s’agit dans un premier temps d’intégrer les informations concernant la complexité spatiale du milieu (à l’aide de systèmes d’information géographique), la distribution des maladies infectieuses émergentes connues et leur environnement immédiat. Des modèles mathématiques permettent ensuite de mesurer le risque prédictif d’émergence de la maladie X.

Les données que nous avons utilisées proviennent de plusieurs sources : les températures maximales et minimales mensuelles, les précipitations et l’altitude proviennent de la base de données Bioclim (avec une résolution spatiale d’environ 4,5 km à l’équateur). Les données sur les changements d’utilisation des terres ont été tirées du jeu de données Global Human Modification of Terrestrial Systems.

Enfin, nous avons inclus une mesure de la densité de la population humaine (Gridded Population of the World). La distribution géographique et l’étendue spatiale des hôtes primaires et des mammifères réservoirs a été obtenu à partir de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

En modélisant ces facteurs d’émergences associés, nous sommes en mesure d’identifier quels sont les critères environnementaux augmentant le plus significativement le risque d’émergence. Il suffit ensuite de passer en revue toutes les zones géographiques dans le monde où ces critères d’émergences sont présents pour espérer obtenir une cartographie des zones où la maladie X pourrait se développer.

Quels facteurs pourraient être responsables de l’émergence de la maladie X ?

Les attributs naturels du paysage, tels que l’altitude, et les facteurs du paysage modifiés par l’être humain, tels que la déforestation et l’expansion de l’agriculture, influencent l’étendue spatiale des hôtes et des réservoirs de virus.

Par exemple, les altitudes élevées et les étendues d’eau peuvent jouer un rôle de barrières géographiques, en empêchant le déplacement des hôtes des virus. À l’inverse, des changements rapides du paysage comme la déforestation peuvent augmenter la probabilité de contact avec un hôte réservoir et, par conséquent, favoriser l’émergence de micro-organismes jusqu’alors inconnus de l’être humain.

L’augmentation de la température minimale a en général une influence directe sur l’émergence et la distribution des maladies émergentes. L’imprévisibilité des précipitations dues au changement climatique ont aussi un effet indirect sur l’émergence de la maladie par le biais de changements soudains dans les habitats des mammifères réservoirs, de la perte de biodiversité et de la migration des petits mammifères.

La perte de biodiversité conduit à la disparition des prédateurs et à la migration des petits mammifères vers les habitations humaines. Par exemple, une diminution de prédateurs peut provoquer un déséquilibre du rapport prédateur-proie dans l’écosystème, entraînant une augmentation des réservoirs de virus tels que les micromammifères et ainsi la transmission de virus par des vecteurs de maladies tels que les tiques.

La moindre diversité des espèces et les interactions interespèces facilitent la propagation du virus vers des hôtes humains accidentels. Lorsque la biodiversité est importante, cette propagation est plus difficile : c’est ce que l’on appelle « l’effet de dilution ».

Les leçons des émergences du passé

En ce qui concerne les Filoviridae (Ebola, Marburg), nous avons observé que la température minimale et les précipitations étaient les prédicteurs significatifs des épidémies. Les émergences du virus Marburg sont par exemple corrélées positivement avec la température minimale, et négativement avec la température maximale. Pour le virus Ebola, c’est l’augmentation de la température minimale et les changements de la couverture terrestre induits par l’être humain qui favoriseraient l’émergence.

Cette dépendance spatiale directe de l’émergence de maladies infectieuses virales aux températures minimales est inquiétante. En effet, avec le changement climatique, l’augmentation des températures minimales nocturnes allonge la saison sans gel dans la plupart des régions de moyenne et haute latitude. L’ensemble de ces conditions pourraient donc favoriser l’émergence de la maladie X sous des latitudes plus larges.

Pour d’autres familles de virus comme les Coronaviridae, nous avons observé une influence significative de la densité de population et des changements d’occupation du sol sur la distribution des points chauds d’émergences. Dans d’autres cas, comme pour les Henipavirus, l’altitude semble jouer un rôle négatif alors que l’augmentation des changements du paysage induit par l’être humain et les précipitations moyennes favoriseraient leurs émergences.

L’émergence d’une maladie X serait probablement influencée par ces facteurs environnementaux, même si l’implication potentielle de variables « inconnues » (non utilisées dans nos études) est possible. Par exemple, nous avons constaté que les facteurs liés à l’être humain pouvaient aussi être impliqués, en particulier l’impact de la croissance démographique sur les paysages modifiés par les activités humaines, qui constitue un facteur prédictif commun à l’émergence de ces maladies infectieuses virales.

Des études ont établi l’impact de la déforestation et de la migration des chauves-souris sur l’apparition de maladies virales et la plupart des modèles ont montré une perte de couverture arborée à 100 km autour de l’apparition des maladies virales d’origines zoonotiques.

Où se trouvent les zones à risques d’émergence de la maladie X ?

Les points chauds d’émergence des maladies à Filoviridae se trouvent en Afrique dans les régions forestières de l’Ouganda, du Sud-Soudan et des parties orientales de la République Démocratique du Congo, avec des zones plus petites en Afrique occidentale et centrale, jusqu’à l’Angola.

En Afrique, les variables associées à ces émergences pourraient être liées aux comportements humains, tels que la consommation de viande de brousse, qui sont souvent associés aux épidémies du virus Ebola, à la perte de biodiversité ou même à d’autres co-variables bioclimatiques.

Les régions à haut risque pour l’émergence de maladies infectieuses causées par des Coronaviridae prédominent dans le sous-continent indien, avec quelques zones en Chine et en Asie du Sud-Est. Ces régions avaient pu être mises en évidence dès 2019.

Enfin, les points chauds d’émergence de maladie à Hénipavirus sont dispersés le long de la côte ouest de l’Inde au Bangladesh, le long de la côte en Malaisie et dans les petites zones de l’archipel Indonésien.

Lorsque nous synthétisons ces informations sur ces trois grandes familles de virus qui sont à l’origine des grandes épidémies de ces dernières décennies, nous trouvons que l’Ouganda et une partie de la Chine sont des régions du monde où les conditions socio-environnementales et climatiques pour l’émergence de la maladie X sont réunies.

Le cas très particulier de l’Amérique du Sud

Le nombre de grandes épidémies a été multiplié par plus de dix entre 1940 et aujourd’hui. Toutes ont été causées par un pathogène ayant émergé des continents africain et asiatique, et ce malgré le fait que des flambées épidémiques localisées se produisent régulièrement sur l’ensemble du globe.

De cette observation émerge un paradoxe qui concerne la non-contribution de l’Amérique du Sud à ces émergences majeures de maladies zoonotiques. Ce continent abrite en effet la plus riche diversité biologique de notre planète, avec environ 60 % de la vie terrestre mondiale (ainsi qu’une flore et une faune marine et d’eau douce extrêmement variée). La forêt amazonienne elle-même est un énorme réservoir de virus et de bactéries, tout comme la diversité des hôtes et des habitats qu’elle abrite. Pourquoi, alors, n’observe-t-on pas davantage d’émergences en provenance de ces régions ?

Parmi les hypothèses expliquant cette situation, on peut imaginer l’existence d’un effet de dilution encore très présent en Amazonie, qui reste relativement protégée par rapport aux forêts indonésienne ou camerounaise. Des facteurs liés à la sociologie des populations locales pourraient aussi jouer.

Il existe en Amazonie une diversité culturelle qui, combinée à la grande diversité biologique de la région, permet d’inventer de nombreuses façons de se soigner, en fonction non seulement de la culture, mais aussi du lieu de résidence (plus ou moins éloigné de la forêt, ou urbain). Cette situation a un effet direct sur l’émergence potentielle de maladies infectieuses zoonotiques, et sur le risque de leur propagation au-delà des communautés concernées.

Les différentes communautés s’organisent en effet pour faire face au risque d’épidémie zoonotique, avec une grande diversité de stratégies et de médecine (biomédecine, médecine traditionnelle) qu’elles utilisent pour faire face à la maladie. Cette meilleure compréhension de la perception de la biomédecine dans un contexte multiculturel et du rôle et de l’effet de la phytomédecine et des pratiques médicales traditionnelles (chamanisme, obia, guérisseurs, vaudou, etc.) éclaire nos modèles sur le rôle des activités culturelles dans le risque d’émergence de maladies zoonotiques.

Enfin, la relative faible densité de population sur un vaste territoire pourrait aussi être envisagée comme une des raisons d’une contribution réduite de l’Amérique du Sud dans les grandes émergences de maladies zoonotiques. Quoi qu’il en soit, au vu des décennies passées, il semble peu probable que la maladie X émerge depuis le continent sud-américain.

Une émergence qui ne se fera pas par hasard

La science des données (et la biogéographie en particulier) nous apprend que l’émergence d’une maladie X qui frapperait notre espèce ne sera pas liée au hasard. Elle dépendra vraisemblablement de facteurs environnementaux tels que les modifications du paysage (en particulier la perte de couverture arborée) et les variations climatiques.

L’utilisation d’une approche biogéographique et d’images satellites nous a permis d’identifier des points chauds potentiels ou cette émergence pourrait se produire. Dès 2019, et en l’absence de données spécifiques sur la maladie qui surviendra ! Inutile, donc, de crier au complot lorsqu’on prédit un tel événement…

La perturbation des écosystèmes, en entraînant le déplacement des agents pathogènes et de leurs hôtes, entraînera certainement d’autres émergences. Dans un monde où les échanges globalisés favorisent les diffusions rapides et à grande échelle, savoir où braquer notre regard sera primordial pour espérer éviter de revivre une pandémie telle que celle de 2020.

Rodolphe Gozlan, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Marine Combe, Chargée de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Mathieu Nacher, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Université de Guyane et Soushieta Jagadesh, Postdoctoral research associate, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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