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Les tongs, un succès mondial aux pieds de tous

La boutique éphémère havaianas sur les Champs-Élysées à Paris. Kristen Pelou pour Havaianas
François Lévêque, Mines Paris - PSL

Les tongs sont plus universelles que les baskets. Les ventes mondiales de ces nu-pieds qui séparent le gros orteil des autres dépassent celles des sneakers. Symbole des vacances d’été à la plage, les tongs sont aussi les premières chaussures des hommes et des femmes qui vivent très pauvrement dans les pays en voie de développement, les va-nu-pieds, disait-on autrefois. Car la tong est à la fois une chaussure récréative et indispensable ; en résumé, un bienfait où que l’on habite sur terre.

Les appellations de ces sandales ordinaires témoignent de leur ubiquité. Chaque pays les a baptisées à sa manière. En référence souvent au bruit qu’elles font quand on avance ainsi chaussé. Cela donne du flip-flop aux États-Unis et au Royaume-Uni, du chip-chip en Egypte, clic-clac au Québec, tapettes au Cameroun. Sous d’autres latitudes, le nom fait plutôt référence à l’écartement entre les orteils, d’où les infradito en Italie, ou Zehentrenner en Allemagne.

Du Vietnam aux États-Unis

En France, le nom « tong » dérive de thong, lanière en anglais, le premier nom des flip-flops américaines… rapportées de la guerre du Vietnam. Elle ne doit pas être confondue avec la claquette, cette sandale avec une bande sur le dessus arborant le plus souvent un logo ostentatoire. Ce nu-pied pour maîtres-nageurs n’aurait jamais dû se répandre hors des piscines. Trop moches, comme les Crocs, dont nous parlerons dans un prochain article.

Dans nos pays, les tongs symbolisent la détente et l’insouciance. Elles côtoient les serviettes de plage et accompagnent les apéritifs entre amis. L’été, on les voit partout aux pieds. Derrière un caddie et en ville, comme à la piscine et au camping. Même sur les pédales de vélo – au risque de s’écorcher –, et de conduite de voiture – un comportement passible d’amende.

Populaire et sophistiquée, c’est selon vos moyens

Peu répandues avant les années 1960, la tong n’a pas pris place dans les Mythologies de Roland Barthes et pourtant, elles y auraient eu toute leur place. Parions qu’elle aurait incarné le mythe de la simplicité. Une semelle de caoutchouc et une lanière plastique en Y pour se dépouiller des habits de la civilisation. Il aurait sans doute aussi souligné que cette simplicité accessible à tous n’abolissait pas les différences sociales : par les styles et les modèles choisis, les tongs signalent les conditions de ceux et celles qui les portent, comme en témoigne ce modèle siglé par une célèbre maison de couture, rue Cambon à Paris. Barthes aurait enfin repéré malicieusement l’érotisme de cette chaussure qui dévoile la nudité du pied, habituellement caché.

Des tongs camélia de la maison Chanel. site Internet Corner Luxe

Mais nous ne sommes pas sémiologue, mais plus platement économiste. À quoi ressemble donc l’économie de la tong ? Le marché mondial de la tong est plus grand que celui des baskets avons-nous affirmé en préambule. Le point est avancé par l’autrice de Flip-Flop ), un livre sur la mondialisation des tongs paru en 2014. Elle en a offert un résumé dans ces colonnes. Citons quelques chiffres d’aujourd’hui pour donner des éléments de comparaison : la consommation annuelle de chaussures s’élève à environ 20 milliards de paires dont le quart de sneakers, et ce pour des chiffres d’affaires respectivement d’environ 400 et 75 milliards de dollars.

Il est en réalité difficile d’être catégorique dans le match sneakers contre tongs par manque de données précises pour ces dernières. La production et la revente des tongs sont trop déconcentrées et disséminées pour le statisticien. Elles sont fabriquées partout dans le monde et à toutes les échelles. En Chine bien sûr, mais pas seulement. Le produit est peu technique, le procédé n’exige pas de machines sophistiquées et les composants sont facilement disponibles : des granulés de caoutchoucs et plastiques aux noms de berger grec, quoique d’origine pétrochimique. Polyuréthane principalement pour la lanière et Éthylène Acétate de Vinyle majoritairement pour la semelle.

De petits ateliers français

Elles peuvent être aussi bien façonnées en petit atelier qu’en usine. En France, les tongs de la marque bretonne Jo Bigorneau – je n’invente pas – proviennent d’un atelier isérois, Couleur Tong. Il compte quelques personnes produisant quelques dizaines de paires par jour. À l’opposé, le premier producteur mondial fabrique quotidiennement près d’un million de paires dans la plus grande de ses usines.

Vous en portez d’ailleurs peut-être aux pieds. Elles sont facilement reconnaissables par le petit drapeau brésilien qui orne leur lanière. Vous en connaissez aussi sans doute le nom : des Havaianas. Comprenez des Hawaïennes (et non les Havanaises de Cuba). Fabriquées par Alpargatas S.A. pendant très longtemps en un seul modèle, elles chaussaient anonymement les habitants des favelas pour quelques reals. Puis le marketing de la mode est passé par là. La coupe du monde de foot de 1998 (petit rappel : France 3 Brésil 0 en finale) a lancé le logo jaune et vert et de grands couturiers ont donné leur nom à des séries limitées d’Havaianas, tout comme Coca Cola et Walt Disney le leur à des modèles de promotion.

Grand écart entre le prix de vente et le coût de production

Montée en gamme et profusion de modèles, forte valeur-produit par l’image, économie d’échelle en fabrication. Le tour est joué pour faire le grand écart entre le coût de production et le prix de vente, le but étant de rapprocher ce dernier du consentement à payer des différents segments de clientèle. Ou comment engranger des profits démesurés avec un produit basique. Attention, cette stratégie gagnante est plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre avec succès. Alpargatas S.A. est la seule entreprise au monde à y être parvenue sur le marché des tongs. Elle domine aujourd’hui une flopée de concurrents, tous très loin derrière elle.

La plupart, qu’ils soient localisés en Chine ou ailleurs, sont restés sur la production de tongs bon marché. Celles que vous trouvez à 2 euros chez Décathlon, par exemple, ou à quelques centimes d’euros sur les marchés africains, et même sur Amazon France à 4 centimes d’euros (plus 7 euros à ajouter pour la livraison).

Le monde compte plusieurs centaines de millions d’hommes, femmes et enfants qui vont nu-pieds. Malgré son gentillet côté bucolique et ancestral vu parfois de ce côté de la planète, la marche sans chaussures est tout sauf recommandable. Coupures, œdèmes, inflammations, infections par des vers parasites du sol sont quelques-uns des problèmes rencontrés quand les pieds des pauvres des bidonvilles ou des zones rurales ne sont pas protégés.

Les tongs ne sont pas les chaussures idéales notamment pour marcher avec tous les jours et sur de longues distances, comme on le voit trop souvent en Afrique. Mais pour les populations trop pauvres pour s’acheter d’autres chaussures, cela vaut incomparablement mieux que d’aller pieds nus.

Tout en plastique et d’une grande plasticité

La tong, objet le plus ordinaire qui soit, se révèle ainsi d’une plasticité planétaire. Elle peut combler ici une nécessité vitale et procurer ailleurs un petit bonheur de consommation. Joindre l’indispensable et l’agréable. Finalement, elle contribue incroyablement au bien-être social des Terriens. Ce n’est pas rien pour une simple semelle retenue par une bride. Bref, un bienfait pour l’humanité, ce que nous ne prétendrons pas dans un prochain article au sujet des Crocs.

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Mais la tong n’est pas qu’habit de vertu. Elle contribue tout au long de son cycle du berceau à la tombe à la dégradation de la planète. Tout comme les autres fabrications et usages du plastique : émissions de CO2 de la pétrochimie, déchets de fabrication, décharges non contrôlées, pollution des océans, etc. Avec la particularité d’un gaspillage plus grand encore en raison du prix modique.

Dans les pays riches, les tongs se présentent aussi comme des chaussures jetables. Abandon en bord de mer et de chemin, sans souci ni regret pour leurs propriétaires. Achat de surconsommation pour disposer de nombreuses paires assorties aux couleurs de ses différentes tenues ou pour se procurer les nouveautés de l’année.

Même si, malgré de premières initiatives tant au Nord qu’au Sud, la circularité complète de la tong n’est pas pour demain, ses bienfaits sont toutefois trop immenses et universels pour la rayer de la carte du monde. Accros des tongs ou simples amateurs, Parisiens ou visiteurs, vous avez jusqu’au 31 août pour vous rendre au magasin éphémère d’Havaianas, avenue des Champs-Elysées.

Pour acheter ou seulement rêver devant les images projetées en boucle de la plage de Copacabana située en bas de favelas que l’on ne voit pas. Un parfait résumé de la dualité de la tong.

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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