Dans une tribune au « Monde », 27 associations, syndicats et ONG appellent les députés européens à rejeter un projet d’accord commercial entre l’UE et Singapour, comparable au très contesté CETA.
Tribune. Les eurodéputés doivent se prononcer mercredi 13 février sur un nouveau traité de protection des investissements avec Singapour. Or ce traité contient un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (ISDS en anglais) similaire à celui qui figure dans l’Accord économique et commercial global (CETA) conclu en 2016 entre l’Union européenne et le Canada. La Commission et les Etats membres ont-ils pensé qu’un accord avec un si petit territoire passerait inaperçu ? La portée de ce vote est pourtant considérable : l’adoption de ce texte ouvrirait la voie à toute une série de traités bilatéraux d’investissement équivalents finalisés avec le Vietnam ou le Mexique, ou en cours de négociations avec le Japon, le Chili, la Chine, l’Indonésie, la Malaisie ou la Birmanie. Il appartient aujourd’hui au Parlement européen d’enrayer cette fuite en avant et de prendre exemple sur le Canada qui vient de décider d’abandonner l’ISDS dans l’accord commercial renégocié avec les Etats-Unis.
L’ISDS permet aux entreprises multinationales d’attaquer les Etats qui adoptent des politiques publiques d’intérêt général contraires à leurs intérêts, et d’exiger des centaines de millions d’euros de compensation pour le manque à gagner. Il a été utilisé par Philip Morris pour contester les politiques de santé publique en Uruguay et en Australie, ou par l’énergéticien Vattenfall pour attaquer l’Allemagne après sa décision de sortir du nucléaire. Si les entreprises n’obtiennent pas toujours gain de cause, elles savent manier cet outil pour dissuader les Etats de légiférer. En France, l’entreprise canadienne Vermillon a ainsi récemment contribué à affaiblir la loi Hulot sur les hydrocarbures par la simple menace auprès du Conseil d’Etat d’un recours à l’arbitrage.
3,3 millions de citoyens signataires
Cette justice d’exception a été au cœur de la vague de mobilisation européenne contre les accords transatlantiques avec plus de 3,3 millions de citoyens signataires de la pétition demandant leur abandon. En dépit de l’échec des négociations du TAFTA et de l’adoption au forceps du CETA, la Commission et les Etats membres refusent de revoir leur politique en la matière. Ils entendent continuer à étendre les droits des investisseurs et négocier toujours plus de traités incluant ce fameux mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats, dans une version à peine remaniée.
Sans compter que Singapour est un paradis fiscal et une plate-forme financière stratégique en Asie du Sud-Ouest. Qualifié de centre financier « offshore » y compris par le service de la Commission européenne Eurostat, Singapour est classé par la coalition internationale d’économistes et de militants Tax Justice Network comme le cinquième pays le plus nocif en matière d’opacité fiscale. Sans surprise, un demi-million de documents du scandale des « Paradise Papers » provenait d’une entreprise de service offshore singapourienne. Son vaste réseau de traités fiscaux fait de lui une plaque tournante majeure pour soustraire les investissements à l’impôt. Plus de 10 000 entreprises européennes ont leurs bureaux régionaux à Singapour.
Lire la suite : « Les droits des investisseurs ne doivent pas être mieux protégés que ceux des citoyens ou de la planète »
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