Ces plots métalliques gris et blancs d’environ un mètre de haut, disposés dans tous les quartiers de Paris et dans une centaine de villes de banlieue parisienne, faisaient partie du paysage urbain depuis 2011. Et ne serviront bientôt plus à rien. La fin du système Autolib’ condamne les 3200 bornes de recharge électrique, ainsi que les totems où s’effectuait la réservation, au probable démontage. Par ailleurs, une partie des voitures Bluecar, chères à Vincent Bolloré, sont déjà parties à la casse, selon le magazine Chalenges.
Personne n’en veut. Juste après l’annonce de la cessation du service, en juin, les élus parisiens et franciliens avaient indiqué que ces bornes seraient mises à disposition des nouveaux services d’autopartage proposés à partir de septembre. Cet article expliquait, fin juin, quelles seraient les conditions pour que les bornes soient réutilisées. Mais, renseignements pris, les nouveaux opérateurs ne peuvent, ni ne veulent, se servir des bornes d’Autolib’. Ce qui ne les empêchera pas d’utiliser les places de stationnement dédiées.
Jeudi 19 juillet, les sociétés proposant des véhicules partagés, de la voiture (Communauto, Renault, Peugeot) à la trottinette (Lime, Txfy) en passant par le vélo (Ofo, Vélib’, Oribiky) et le scooter (Cityscoot, Coup), étaient invités à se présenter sur une place proche de l’Hôtel de Ville de Paris. Il s’agissait, pour la municipalité, de tenter de faire oublier la fin brutale d’Autolib’ et la laborieuse installation des Vélib’, qui devait être terminée fin mars, et alors que la plupart de ces vélos sont encore inutilisables.
Un abri Autolib’, où s’effectuaient les réservations et l’interaction avec des agents. Ici à Boulogne-Billancourt (92).
Ni Peugeot, ni Renault. Or, aucun des représentants des sociétés potentiellement intéressées par les bornes de recharge Autolib’ n’a l’intention de les utiliser. « La recharge des véhicules, on en fait notre affaire », annonce le représentant de Free2Move, le service qui sera proposé « fin 2018 » par Peugeot. « La recharge et le nettoyage seront effectués dans la zone dans laquelle seront disponibles les véhicules », explique la responsable de Moov’in, un service présenté par Renault. Le constructeur proposera à partir de septembre, à une date encore non précisée, 120 voitures électriques, en test, dans deux secteurs, les 11e et 12e arrondissements de Paris et Clichy (Hauts-de-Seine). Mais aucune de ces voitures ne se servira des bornes Autolib’.
On entend le même son de cloche chez Marcel, un service de voitures avec chauffeur appartenant également à Renault et chez Communauto, qui dispose depuis plusieurs décennies de voitures en autopartage dans la capitale, et dont certains modèles sont électriques.
Bornes Autolib’, près de l’Hôtel de Ville, juillet 2018.
Logiciel Bolloré. Les opérateurs expliquent, à l’unisson, que les bornes sont équipées d’un logiciel de pilotage qui appartient au groupe Bolloré, opérateur d’Autolib’ jusqu’à la fin du mois. Ils ne savent pas quand ce logiciel sera remplacé. Autrement dit, les bornes seront bientôt inutilisables, y compris pour les particuliers autorisés à garer, moyennant un abonnement annuel, leur véhicule électrique sur les places Autolib’. Ce logiciel, en pratique « la carte automate contrôlant physiquement les bornes de charge depuis la borne principale », explique un lecteur, pourrait certes être prochainement remplacé, mais la Ville de Paris annonce que le délai sera d’environ « six mois ».
Enfin, ces bornes ne permettent qu’une recharge lente ; il fallait 12 heures pour charger complètement une Autolib’. Or, depuis 2011, la technologie a évolué, de nouvelles bornes sont apparues, permettant d’effectuer 80% de la recharge en une heure environ. En revanche, les opérateurs ont l’intention, à commencer par Free2Move, d’utiliser les places de stationnement dévolues aux Autolib’.
Une borne de « stationnement intelligent », à Nice, en août 2017. Le système a été abandonné en 2016.
60000€ la station. On compte 4 à 5 bornes par station Autolib’, et chaque station a été facturée 60000€ aux municipalités où elles ont été installées.
« Stationnement intelligent ».Voilà qui rappelle le triste sort des bornes de « stationnement intelligent » qui devaient supprimer les voitures ventouse à Nice (lire ici), un système abandonné après trois ans d’existence. Ou les stations du vélo en libre-service de Perpignan ou Chalon-sur-Saône, tous deux désormais supprimés. On songe aussi aux portiques de la « taxe poids-lourds », dite « écotaxe », démontés après le renoncement du gouvernement Ayrault à cette mesure pourtant votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Voire au projet d’aérotrain survolant la Beauce sur une rampe en béton. Ceux-là n’avaient même pas servi.
Voici comment les scories des grandes idées oubliées envahissent l’espace public, tel un mobilier urbain à l’abandon qui ne sert plus à rien.
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