Interdiction des réseaux sociaux avant 16 ans en Australie, mode d’emploi

Politique
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Interdiction des réseaux sociaux avant 16 ans en Australie, mode d’emploi

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Lisa M. Given, RMIT University

**En Australie, une loi, approuvée par le parlement le 28 novembre, donne un an aux réseaux sociaux pour s’assurer que les adolescents de moins de 16 ans n’aient pas accès à leurs services. Cette législation est largement soutenue par les Australiens. Qui seront les entreprises concernées ? Comment réaliseront-elles les contrôles ?


Le Parlement fédéral australien a adopté une loi interdisant aux personnes de moins de 16 ans d’avoir un compte sur certains réseaux sociaux.

Ce faisant, il a ignoré les conseils d’un grand nombre d’expertset de la Commission australienne des droits de l’homme, qui ont déclaré que le gouvernement avait fait passer la loi à la hâte « sans prendre le temps d’en régler les détails. Ou même de savoir comment l’interdiction fonctionnera dans la pratique ».

L’interdiction est toutefois soutenue par 77 % des Australiens, selon un nouveau sondage. Elle n’entrera pas en vigueur avant au moins 12 mois.

Que se passera-t-il d’ici là ?

Que contient le projet de loi final ?

La législation modifie l’actuelle loi sur la sécurité en ligne de 2021 et définit un « utilisateur soumis à des restrictions d’âge » comme une personne âgée de moins de 16 ans. Toutefois, elle ne mentionne pas les plates-formes spécifiques qui seront soumises à l’interdiction.

En revanche, la législation définit les « plateformes de réseaux sociaux limitées par l’âge » par des services où :

  • Le « seul but, ou un but important » est de permettre une « interaction sociale en ligne » entre des personnes.

  • Les personnes peuvent « établir un lien ou interagir avec » d’autres personnes.

  • Les personnes peuvent « publier du matériel ».

  • Il répond à d’autres conditions énoncées dans la législation.

La législation indique que certains services sont « exclus », mais ne cite pas de plateformes spécifiques. Par exemple, si les services fournissant une « interaction sociale en ligne » sont inclus dans l’interdiction, cela n’inclut pas « l’interaction commerciale en ligne ».

Bien que l’on ne sache pas exactement quelles plates-formes seront soumises à l’interdiction, celles qui le seront s’exposeront à des amendes pouvant aller jusqu’à 50 millions de dollars australiens si elles ne prennent pas des « mesures raisonnables » pour empêcher les mineurs de moins de 16 ans d’avoir un compte.

Bien qu’il y ait des rapports selon lesquels YouTube serait exempté, le gouvernement n’a pas explicitement confirmé cette information. Ce qui est clair pour l’instant, c’est que les personnes de moins de 16 ans pourront toujours consulter le contenu de nombreuses plates-formes en ligne, mais sans avoir de compte.

La législation ne mentionne pas spécifiquement les applications de messagerie (telles que WhatsApp et Messenger) ou les plates-formes de jeux (telles que Minecraft). Cependant, des articles de presse ont cité le gouvernement qui aurait déclaré que ces dernières ne seraient pas concernées, tout comme les « services dont l’objectif principal est de soutenir la santé et l’éducation des utilisateurs finaux ». On ne sait pas exactement quelles plates-formes seraient exclues dans ce cas.

Lors de l’adoption de la loi, le gouvernement a inclus des amendements supplémentaires à sa proposition initiale. Par exemple, les entreprises technologiques ne pourront pas collecter des pièces d’identité délivrées par le gouvernement, comme les passeports et les permis de conduire, « comme seul moyen » de confirmer l’âge d’une personne. Ils pourront toutefois recueillir ces pièces d’identité officielles « si d’autres méthodes de vérification ont été proposées aux utilisateurs ».

Par ailleurs, une « enquête indépendante » devra être réalisée deux ans après la mise en œuvre de la loi afin d’évaluer des questions relatives à la protection de la vie privée.

Quid des entreprises technologiques ?

En plus de devoir vérifier l’âge des personnes souhaitant créer un compte, les entreprises devront également vérifier l’âge des titulaires de comptes existants, quel que soit leur âge. Il s’agit là d’un défi logistique de taille. Y aura-t-il un jour où chaque Australien possédant un compte sur un réseau social devra se connecter et prouver son âge ?

Une préoccupation plus importante encore concerne la façon dont les entreprises pourront vérifier l’âge d’un utilisateur. La législation n’est pas très claire à ce sujet.

Plusieurs options que pourront utiliser les entreprises sont pourtant identifiées.

La première pourrait consister à vérifier l’âge d’une personne en utilisant des cartes de crédit liées au compte de l’App Store d’une personne. La ministre des communications Michelle Rowland a déclaré que cette stratégie serait incluse dans les essais de vérification de l’âge en cours. YouTube, par exemple, a déjà permis aux utilisateurs d’accéder à des contenus limités par l’âge à l’aide d’une carte de crédit.

Toutefois, cette approche exclurait l’accès aux personnes qui remplissent la condition d’âge de plus de 16 ans mais qui ne détiennent pas de carte de crédit.

La seconde option consiste à utiliser la technologie de reconnaissance faciale. Cette technologie fait partie des diverses stratégies testées par le gouvernement pour restreindre l’accès aux plates-formes de réseaux sociaux (pour les moins de 16 ans) et à la pornographie en ligne (pour les moins de 18 ans). L’essai est mené par un consortium dirigé par Age Check Certification Scheme basé au Royaume-Uni. Les résultats ne seront pas connus avant le millieu de l’année 2025.

Cependant, il existe déjà des preuves que les systèmes de reconnaissance faciale comportent des biais et des inexactitudes importantes.

Par exemple, les systèmes de reconnaissance faciale disponibles dans le commerce ont un taux d’erreur de 0,8 % pour les hommes à la peau claire, contre près de 35 % pour les femmes à la peau foncée. Parmi les systèmes les plus performants, Yoti, que Meta propose aux utilisateurs australiens avant un déploiement mondial, présente un taux d’erreur moyenne de près de deux ans pour les personnes âgées de 13 à 16 ans.

Qu’en est-il de l’obligation de diligence numérique ?

Au début du mois de novembre, le gouvernement a promis d’imposer un « devoir de diligence numérique » aux entreprises technologiques.

Celles-ci seraient tenues de procéder régulièrement à des évaluations approfondies des risques liés au contenu de leurs plates-formes. De plus, les entreprises devraient répondre aux plaintes des consommateurs, ce qui entraînerait le retrait des contenus potentiellement dangereux.

Ce devoir de diligence est soutenu par des experts – dont moi-même – et par le Centre juridique des droits de l’homme. Une enquête parlementaire sur la législation relative à l’interdiction des médias sociaux a également recommandé au gouvernement de légiférer en ce sens.

Pourtant, on ignore quand le gouvernement tiendra sa promesse à ce sujet.

Mais même si le devoir de diligence est inscrit dans la loi, il restera nécessaire d’investir davantage dans l’éducation numérique des jeunes. Les parents, les enseignants et les enfants ont besoin d’aide pour comprendre comment naviguer en toute sécurité sur les réseaux sociaux.

En fin de compte, les plates-formes devraient être des espaces sûrs pour tous les utilisateurs. Elles offrent des informations utiles et des possibilités d’engagement communautaire aux utilisateurs de tout âge. Il leur incombe désormais de restreindre l’accès aux jeunes de moins de 16 ans.

Le travail nécessaire pour assurer notre sécurité et pour rendre les entreprises technologiques responsables de leurs contenus ne fait que commencer.

Lisa M. Given, Professor of Information Sciences & Director, Social Change Enabling Impact Platform, RMIT University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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