Les filles et les garçons ne subissent pas de la même manière les conséquences de la diffusion d’une photo intime sur les réseaux sociaux.
Le scénario est familier. Deux adolescents s’éprennent l’un de l’autre, se draguent, échangent des sextos. La jeune fille est sollicitée par son amoureux pour lui envoyer une photo intime. Elle se prête au jeu, lui aussi peut-être. Quelques jours, semaines ou mois plus tard, les amoureux sont en froid. La séparation est houleuse.
Par esprit de vengeance, le jeune homme décide de publier sur les réseaux sociaux une photo intime (ou une vidéo) de son ancienne copine, qu’il a toujours en sa possession. On parle de revenge porn. Les conséquences d’une telle diffusion sont majeures. Pour la jeune fille concernée, elles consistent en insultes, humiliation (slut shaming), menaces diverses dont la diffusion aux parents. Il s’agit d’une grave atteinte à sa réputation. Il en va autrement pour le jeune homme.
« On va dire que la fille, c’est une fille facile. Elle, sa réputation, elle baisse et elle peut se suicider. Par contre, si la fille est jolie, les gens vont dire au garçon : “Ouais, tu as géré”. Il va être un peu fier d’avoir fait ça avec une jolie fille. »
Telle est l’explication donnée par l’un des 400 collégiens rencontrés dans le cadre d’une étude sur le cybersexisme réalisée par l’OUIEP et financée par le centre Hubertine Auclert.
On porte le blâme sur la fille
Les filles et les garçons ne subissent pas de la même manière les conséquences de la diffusion d’une photo intime sur les réseaux sociaux. Cette mise en ligne, et la diffusion large qui peut la suivre, alimentent les réputations de part et d’autre, mais pas en blâmant le geste de l’agresseur-diffuseur et en exprimant de la sympathie pour sa victime.
Au contraire, on porte le blâme sur la jeune fille dont la sexualité est publiquement dévoilée selon un mécanisme d’inversion de la culpabilité.
Alors que la jeune fille, qui voit son image intime diffusée sans son consentement, est jugée coupable et condamnée par ses pairs, le jeune homme gagne significativement en popularité.
Même lorsque la photo intime qui circule est celle d’un garçon, les conséquences sont identiques : négatives pour la fille, positives pour le garçon, sauf si le garçon est représenté de manière trop sexualisée (en dévoilant son sexe, par exemple). Un élève de 5e :
« Il y a largement plus de risques quand on est une fille. Si la fille met la photo d’un garçon sur les réseaux sociaux, le garçon, il s’en fout. Il va être content parce que les gens, ils vont dire : “T’as un beau corps”. Par contre, si c’est qui un garçon [qui diffuse] la photo d’une fille, la fille ne sera pas contente parce qu’elle va être traitée de pute. »
Contrôler la sexualité féminine
Si les adolescent.e.s peuvent jouir de différents niveaux de popularité, seule celle des filles se joue sur le registre de la réputation. La réputation est le mécanisme par lequel les filles sont classées, soit en tant que filles bien ou modestes (bonne réputation), soit en tant que « putes » ou filles faciles (mauvaise réputation).
Elle met ainsi en évidence les attentes de genre ciblant les filles et constitue l’un des principaux mécanismes de contrôle de la sexualité féminine. De par l’importance qui lui est accordée, la réputation des filles est constamment en jeu dans leurs relations sociales, tant par l’entremise des garçons que dans les relations entre filles.
Ces dernières se jugent en effet mutuellement en fonction de leur réputation. Pour se préserver, les filles se tiennent à distance de celles dont la réputation a été, ou est susceptible d’être entachée.
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