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Éducation à la sexualité : ce que disent vraiment les programmes scolaires
Les nouveaux programmes d’éducation à la vie affective et sexuelle, en attente de publication, font l’objet en cette fin 2024 de contestations et d’une campagne de désinformation. Mais en quoi consistent-ils vraiment ? Retour sur l’histoire de cet enseignement pour mieux en comprendre les enjeux à travers trois questions.
Qu’entend-on par « éducation à la sexualité » dans le cadre scolaire ?
Sans parler de ceux qui, par plaisanterie ou dénigrement, l’assimilent à une sorte de « Kama-sutra pour adolescents », beaucoup de gens croient, et cela crée des malentendus, voire des résistances, qu’il s’agit toujours et uniquement de présenter aux élèves les organes sexuels, voire le rapport sexuel. Comme si, d’ailleurs, la sexualité était uniquement affaire de biologie alors qu’elle comprend une dimension psychologique, une dimension sociale, une dimension éthique et une dimension culturelle. Toutes ces dimensions doivent être abordées, en tenant compte de l’âge des élèves.
La circulaire du 12 septembre 2018 indique ainsi qu’à l’école élémentaire, la « dimension sexuelle stricto sensu » est exclue. Mais cela n’empêche pas, au contraire, de parler du respect de son corps et de celui des autres, de la notion d’intimité et de respect de la vie privée, de l’égalité entre filles et garçons, etc.
De ce point de vue, il faut bien voir que l’on parle d’« éducation », et non pas d’« instruction ». Parler d’éducation, cela veut dire qu’il ne s’agit pas seulement de transmettre des savoirs, mais aussi de faire réfléchir sur les comportements. En ce sens, l’éducation à la sexualité est une éducation à la responsabilité. Si on devait la définir, on pourrait dire qu’elle est une éducation à son corps et à sa sexualité ainsi qu’au corps de l’autre et à sa sexualité. Ce qui veut dire qu’un autre enjeu est aussi de favoriser l’estime de soi.
La circulaire du 10 décembre 1998, qui est la première à avoir rendu obligatoire l’éducation à la sexualité (pour les collégiens) indiquait ainsi parmi ses objectifs celui de « construire une image positive de soi-même et de la sexualité? comme composante essentielle de la vie de chacun ».
Depuis quand ce type d’enseignement existe-t-il ?
Les premières propositions d’introduire l’éducation sexuelle à l’école datent du début du XXe siècle. Si l’on excepte des groupements néo-malthusiens et quelques féministes, elles émanent essentiellement de médecins soucieux d’éviter la propagation des maladies vénériennes. Il s’agit essentiellement d’une éducation prophylactique, qui invite d’ailleurs les adolescents à pratiquer la continence jusqu’au mariage. Quant aux programmes de sciences naturelles, ils ne s’aventurent pas au-delà de la reproduction des plantes.
À la fin des années 1950, des médecins psychologues et des gynécologues inaugurent une autre forme d’expérience : concevoir, en dehors des cours, des séances d’éducation sexuelle avec des élèves du second degré, en partant cette fois de leurs questions, quitte à revenir ensuite sur la transmission de connaissances quand on s’aperçoit qu’elles font défaut. Le but est désormais non plus de mettre en garde contre les dangers de la sexualité, mais au contraire d’accompagner l’épanouissement des adolescents et adolescentes.
Après Mai-Juin 1968, les expériences se multiplient. C’est pour les réguler que le ministre Fontanet publie la circulaire du 23 juillet 1973. D’une part, elle distingue l’« information sexuelle », intégrée dans les programmes de sciences naturelles (aujourd’hui SVT, ou sciences de la vie et de la Terre) et donc obligatoire, de l’« éducation sexuelle », facultative et faisant l’objet de séances spécifiques en dehors des heures de cours. D’autre part, elle instaure un véritable contrôle des parents sur ces séances spécifiques. Même si elle brise le tabou de la sexualité à l’école, elle n’est donc pas complètement libérale.
Une autre évolution survient dans la deuxième moitié des années 1980, avec l’institution, dans les établissements du second degré, de séances d’information sur le sida, pour lesquelles l’autorisation des parents n’est pas requise. Rapidement, le manque d’intérêt exprimé par les élèves conduit le ministère à penser qu’il vaudrait mieux partir d’un questionnement plus large sur la sexualité. C’est pourquoi est publiée le 15 avril 1996 une nouvelle circulaire, intitulée « Prévention du sida en milieu scolaire : éducation à la sexualité », qui rend obligatoire pour les collégiens l’éducation à la sexualité, à raison de deux séances par an. Cette circulaire a été annulée par le Conseil d’État pour des raisons de procédure, mais son contenu a été repris par celle du 19 novembre 1998.
Le caractère obligatoire à l’école de l’éducation à la sexualité a été consolidé par la loi du 4 juillet 2001, qui prévoit qu’« une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». Ces séances s’ajoutent aux cours de SVT, dont les contenus ont profondément évolué : non seulement la contraception et l’avortement figurent dans les programmes dès les années 1970, mais la question du plaisir sexuel a fait son apparition dans les années 2010.
Longtemps, les détracteurs de l’éducation sexuelle ont prétendu celle-ci inacceptable à l’école, car la sexualité engage des valeurs différentes selon les familles : l’éducation sexuelle serait contraire à la laïcité. Mais, d’une part, si la circulaire de 2018 se fonde sur la laïcité, c’est qu’une conception émancipatrice de celle-ci invite à apprendre à savoir mettre à distance ses représentations pour développer ses propres réflexions. D’autre part, les valeurs promues par l’Éducation nationale font partie des « valeurs communes », comme la liberté, l’égalité, la tolérance…
Et c’est bien pourquoi l’éducation à la sexualité ne concerne pas seulement ce que l’opinion commune considère comme étant « sexuel », mais aussi des questions comme la mixité, l’égalité entre les sexes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’homophobie et même la transphobie depuis 2018. Si bien d’ailleurs que l’éducation à la sexualité croise de plus en plus l’enseignement moral et civique (EMC).
Tous les élèves bénéficient-ils vraiment de cette éducation à la sexualité ?
En 2003 a été publiée une circulaire d’application aux dispositions de la loi de 2001 concernant l’éducation à la sexualité. S’il a fallu en publier de nouvelles, en 2018 et en 2022, c’est que la loi n’est que très partiellement appliquée. En 2016, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a révélé que l’obligation des trois séances annuelles était respectée dans une minorité d’écoles et d’établissements.
Il reste que si la loi n’est pas respectée, ce n’est pas seulement par manque de moyens financiers et de disponibilité du personnel ou à cause de la difficile gestion des emplois du temps. La prudence des enseignants et des chefs d’établissements s’explique aussi par la peur de contestations de la part de parents d’élèves.
Dès les premières propositions du début du XXe siècle, cette éducation a fait l’objet de controverses. D’abord, dans son principe même. Elle serait doublement perverse. D’une part, elle donnerait des idées aux enfants : l’ignorance, au contraire, serait gage d’innocence. D’autre part, elle troublerait certains enfants, qui ne sont pas prêts à entendre ce qui y est dit. Le caractère collectif de cette éducation serait en contradiction avec la nécessité de tenir compte du degré de maturité de chaque enfant. L’éducation sexuelle ne devrait donc pas se faire à l’école, mais dans un cadre individualisé, avec des personnes connaissant bien l’enfant : parents ou médecin de famille.
Les plus radicaux vont jusqu’à affirmer – jusqu’à aujourd’hui – que le but de l’école publique est d’instruire, pas d’éduquer, tâche qui reviendrait aux parents. L’école républicaine s’est pourtant toujours donné pour tâche d’éduquer et de transmettre des valeurs. La nouveauté, depuis les circulaires des années 1990, c’est la liaison posée entre la sexualité, réputée relever de l’intime, et ces valeurs.
Au demeurant, si ces critiques perdurent jusqu’à aujourd’hui, toutes les grandes fédérations de parents d’élèves admettent désormais la légitimité de l’éducation à la sexualité dans un cadre scolaire.
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Une autre contestation a pu résider dans le contenu, réel ou supposé, de cette éducation. En 1973, certains opposants disaient redouter que le Mouvement français pour le planning familial en profite pour promouvoir la légalisation de l’avortement. Aujourd’hui, c’est la « théorie du genre » (ou une prétendue « idéologie du genre »), dont il est affirmé qu’elle serait présente dans le projet de programme, qui fait l’objet de critiques.
On serait bien en peine de trouver une « théorie du genre » dans ce projet, et d’ailleurs une telle théorie n’existe pas (il n’existe que des « études de genre », diverses) mais l’éducation à la sexualité continue de faire l’objet de fantasmes et de fake news, comme cela avait été le cas en 2013 avec les ABCD de l’égalité. En cette année 2024, des associations comme SOS Éducation, Parents vigilants ou le Syndicat de la famille profitent de l’incertitude politique pour accroître leur pression, parfois directement dans les écoles, en prenant exemple sur des associations conservatrices américaines.
Même s’ils ne reculent pas devant la nécessité de l’éducation à la sexualité à l’école, les récents ministres de l’Éducation nationale ne sont pas restés sourds face aux inquiétudes. En 2018, la circulaire publiée par Jean-Michel Blanquer fait commencer l’éducation à la sexualité à l’école élémentaire, ce qui revient à retirer la maternelle. Quant au projet de programme proposé en 2024 qui fait actuellement l’objet de polémiques, il rebaptise cette éducation « éducation à la vie affective et relationnelle » pour l’école primaire (maternelle et élémentaire) et n’ajoute « à la sexualité » qu’à partir du collège. Affaire de communication ou preuve que la sexualité, du moins celle des enfants, demeure encore un tabou ?
Yves Verneuil, Professeur des Universités en sciences de l'éducation, Université Lumière Lyon 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.