Mieux vaut avoir son quota de sommeil lorsque l’on se fait vacciner. CDC / Unsplash
Dormir moins de 6 h par nuit diminue la réponse immunitaire induite par la vaccination
Karine Spiegel, Inserm et Eve Van Cauter, University of ChicagoÀ ce jour, la pandémie de SARS-CoV-2 a entraîné plus de 750 millions de cas confirmés et plus de 6,8 millions de décès. La vaccination a joué un rôle majeur pour contenir la pandémie, protéger les systèmes de soins, et sauver des vies.
Dans des sociétés de plus en plus mondialisées, les virus émergents constituent des menaces croissantes. De nouvelles souches de grippe, de nouveaux variants du SARS-CoV-2 sont continuellement identifiés. Dans un tel contexte, la vaccination constitue un outil majeur de santé publique.
Au-delà de la mise au point de nouveaux vaccins, serait-il possible d’améliorer l’efficacité vaccinale de ceux qui existent en jouant sur certains facteurs comportementaux ? La réponse pourrait être positive. En effet, divers travaux de recherche suggèrent que la durée du sommeil influence l’efficacité de la vaccination.
De quoi dépend la protection vaccinale ?
La protection conférée par un vaccin dépend de l’ampleur de la réponse immunitaire. Le taux d’anticorps produits suite à la vaccination, aussi appelée « réponse humorale », constitue un témoin de cette réponse immunitaire. Il est considéré comme un biomarqueur clinique de protection et un indicateur précoce de l’immunité.
Plusieurs études ont démontré que la production d’anticorps après une vaccination pouvait être réduite en présence de divers facteurs démographiques et cliniques. Ainsi, être de sexe masculin, avoir un âge avancé, présenter un surpoids ou une obésité, avoir des antécédents de tabagisme, souffrir d’hypertension sont autant de facteurs de risque qui peuvent influer négativement sur l’efficacité de la vaccination.
Malheureusement, aucun d’entre eux ne peut être modifié rapidement dans l’optique d’optimiser la réponse humorale. Mais d’autres facteurs pourraient également entrer en jeu, comme la durée de sommeil.
Les effets du sommeil sur la réponse à la vaccination
En 2002, nous avions rapporté dans le Journal of the American Medical Association que la réponse des anticorps suite à une vaccination contre la grippe était réduite de moitié chez des volontaires à qui nous faisions subir une restriction de sommeil en laboratoire, par rapport à des témoins.
Si un tel effet du sommeil était confirmé, nous aurions donc la possibilité de modifier relativement aisément ce comportement, en vue d’optimiser la réponse vaccinale, notamment dans le contexte de la pandémie de Covid-19.
Suite à nos travaux, d’autres équipes ont ensuite mené des études pour déterminer les effets d’une durée de sommeil insuffisante sur la production d’anticorps suite à des vaccinations contre la grippe et l’hépatite. Leurs résultats ont cependant été quelque peu mitigés, probablement en raison de différences méthodologiques, notamment en ce qui concernait les tailles d’échantillon, qui pour certaines, étaient limitées.
De façon à mieux informer la communauté scientifique et le public sur ce sujet, nous avons décidé d’effectuer une méta-analyse des données existantes sur le sujet, afin de les résumer et d’estimer avec précision la « taille de l’effet ». Cette mesure statistique permet de déterminer si l’effet d’un sommeil insuffisant sur la réponse humorale est faible, moyen ou fort.
Une méta-analyse est en quelque sorte une « analyse d’analyses ». Ce travail consiste à effectuer une revue systématique de la littérature afin de recenser toutes les études jugées pertinentes sur le sujet, puis à utiliser des techniques statistiques afin de combiner leurs résultats. Cela permet d’obtenir des estimations plus robustes que celles issues d’une unique étude.
Les résultats de nos travaux ont été publiés dans la revue scientifique Current Biology.
Des résultats clairs pour les vaccins contre la grippe et l’hépatite
Le principal résultat de notre travail est qu’une durée insuffisante de sommeil, autrement dit inférieure à six heures par nuit, chez les adultes âgés de 18 à 60 ans, est associée à une forte diminution de la réponse à la vaccination (la durée du sommeil auto-rapportée, c’est-à-dire estimée par les participants, n’étant que modestement corrélée à la durée du sommeil objective, nous présentons ici les résultats obtenus lorsque le sommeil a été mesuré de façon objective).
Ce résultat a été obtenu à partir d’études ayant examiné le lien entre la durée du sommeil et les réponses immunitaires aux vaccins contre la grippe et l’hépatite.
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À l’heure actuelle, il n’existe pas de données comparables pour les vaccins Covid-19. Néanmoins, afin d’obtenir une comparaison pertinente pour la pandémie de SARS-CoV-2, nous avons comparé nos résultats à la décroissance au cours du temps des taux d’anticorps suite au vaccin à ARNm Pfizer-BioNTech contre le Covid-19, un effet qui rend nécessaire les rappels vaccinaux.
La diminution des taux d’anticorps lors d’un sommeil insuffisant était identique à l’affaissement des anticorps observé deux mois après inoculation du vaccin Pfizer/BioNTech.
Des différences entre hommes et femmes
Lorsque les données étaient analysées séparément pour les hommes et les femmes, un sommeil insuffisant était associé à une forte réduction des taux d’anticorps chez les hommes.
En revanche, chez les femmes, cette association n’était pas significative, probablement en raison des grandes variations des taux d’hormones sexuelles observées au cours de la vie d’une femme, qui dépendent notamment du cycle menstruel, de la prise de contraception hormonale, du statut ménopausique, et de l’hormonothérapie substitutive au cours de la ménopause.
Fait important, aucune des études incluses dans notre méta-analyse ne tenait compte de l’influence des taux d’hormones sexuelles de la femme sur la réponse immunitaire au vaccin, alors que les effets des hormones sexuelles sur la fonction immunitaire sont bien connus. La testostérone, les œstrogènes et la progestérone, en particulier, sont présentes à des concentrations différentes selon le sexe. Or, les œstrogènes stimulent la réponse humorale, alors que la testostérone et la progestérone ont des effets immunosuppresseurs.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Notre méta-analyse suggère que s’assurer d’une durée de sommeil suffisante aux alentours de la vaccination peut améliorer la réponse humorale à diverses souches de virus.
On peut réalistement espérer que cette recommandation serait suivie d’effets, car des approches comportementales visant à étendre la durée du sommeil à domicile se sont déjà avérées faisables, acceptées et efficaces au sein de diverses populations.
De nombreuses questions doivent encore être élucidées. Des études à grande échelle sont notamment indispensables pour définir la fenêtre temporelle durant laquelle l’optimisation de la durée du sommeil est la plus bénéfique, avant et après la vaccination. Il faudra aussi déterminer l’impact des hormones sexuelles dans la relation entre la durée du sommeil et la réponse des anticorps à la vaccination chez les femmes. Enfin, il sera nécessaire d’estimer avec plus de précision l’ampleur de la dette de sommeil susceptible d’avoir un effet délétère sur la réponse immunitaire.
Des millions de personnes seront encore vaccinées contre le coronavirus SARS-CoV-2 et d’autres virus, ou recevront des rappels. Ces campagnes constituent une occasion sans précédent de recueillir de données sur la durée du sommeil au moment de la vaccination, ainsi que sur les niveaux d’hormones sexuelles, afin d’étudier en détail le rôle joué par la durée du sommeil dans la réponse immunitaire à la vaccination.
Une chose est certaine, nos résultats indiquent que dormir suffisamment est essentiel pour le bon fonctionnement de notre organisme. Comme le soulignent les experts de la National Sleep Foundation, une organisation américaine visant à promouvoir l’importance du sommeil, il est recommandé aux adultes de moins de 65 ans de dormir entre 7 et 9 heures par nuit, et 7 à 8 heures pour les adultes de plus de 65 ans.
Karine Spiegel, Chercheuse, Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon Inserm U1028 - CNRS UMR5292 - UCBL - UJM, Inserm et Eve Van Cauter, Professor Emeritus, Department of Medicine Section of Endocrinology, Diabetes and Metabolism Committee on Molecular Metabolism Committee of Clinical and Translational Science, University of Chicago
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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