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Avant l’invention de l’imprimerie en Europe vers 1440, le papier était devenu le support des écrits ordinaires des pouvoirs ecclésiastiques et politiques, puis de toutes les strates lettrées de la société.

Vie des idées. Gutenberg et la naissance de l’imprimerie, au milieu du XVe siècle, sont souvent célébrés dans nos imaginaires historiques comme le début de la « révolution documentaire ». Grâce à cette invention, les Etats, les administrations, mais aussi les marchands, les penseurs et les artistes auraient enfin pu diffuser largement et rapidement des informations, des décisions, des transactions et des représentations qui ont ensuite irrigué la vie politique, économique et sociale.

Pour Amable Sablon du Corail, conservateur en chef du patrimoine aux Archives nationales, l’idée de la « révolution Gutenberg » repose cependant sur une illusion d’optique. La multiplication des documents en Europe occidentale, affirme-t-il, avait en réalité commencé trois siècles auparavant, lorsque l’usage du papier, beaucoup moins cher que le parchemin en peau, est devenu le support des « écrits ordinaires » des pouvoirs ecclésiastiques et politiques, puis de toutes les strates lettrées de la société – seuls les documents de prestige gardaient l’honneur du parchemin.

Cette histoire commence au XIIe siècle. Auparavant, l’administration répondait aux requêtes adressées au roi en se contentant d’apposer ou non son sceau sur les documents que lui envoyaient ses sujets – demande d’anoblissement ou de grâce, reconnaissance de droits, règlement de litiges, paiements de taxes… Mais à partir du XIIe siècle, elle se met à rédiger elle-même des documents, dont beaucoup reprennent quasiment mot pour mot les lettres des requérants. Et lorsqu’il s’agit de s’adresser au plus grand nombre, c’est la tâche des crieurs publics, qui représentent, bien plus que l’imprimé, le principal media de masse jusqu’à la régression de l’analphabétisme, au fil du XIXe siècle.

Le papier, support de l’autorité publique, juridique et économique

Au milieu du XIVe siècle, la chancellerie royale expédie ainsi 5 000 à 10 000 actes par an, auxquels s’ajoutent 20 000 à 30 000 missives émanant directement du roi. S’y ajoutent, à partir de la fin du XIIIe siècle, les écrits des parlements, qui consignent soigneusement toutes les procédures et les décisions de justice sur des feuilles volantes conservées, une fois que l’affaire est terminée, dans un sac de cuir – d’où l’expression « l’affaire est dans le sac ». Les chambres des comptes font de même pour tous les mouvements d’argent concernant le Trésor royal : chaque ordre de paiement, chaque quittance sont conservés. Au XIVe siècle, celle de Paris enregistre près d’un million de pièces par an…


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