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Débat : L’obligation vaccinale… pour certains ou pour tous ?

Emmanuel Hirsch, Université Paris-Saclay

Dans son avis du 21 juillet 2022 relatif à l’obligation de vaccination contre le Covid-19 des professionnels des secteurs sanitaires et médico-social, la Haute Autorité de santé rappelle que, « interrogée en juillet 2021 au sujet de l’obligation vaccinale, elle avait considéré que la couverture vaccinale des professionnels de santé, et plus largement de ceux qui ont des contacts fréquents et rapprochés avec des personnes vulnérables, revêtait un enjeu éthique autant que de santé publique ».

Le ministre de la Santé et de la prévention ayant saisi la HAS « pour obtenir son avis sur la pertinence du maintien ou de la levée de cette obligation de vaccination », l’instance maintient sa position opposée à toute évolution :

« Au vu du contexte épidémique dynamique, des incertitudes sur l’évolution de l’épidémie dans les prochains mois, et de l’efficacité d’un schéma vaccinal complet à réduire le risque d’être infecté et de transmettre la maladie, la HAS considère que les données ne sont pas de nature à remettre en cause l’obligation vaccinale des personnels des secteurs sanitaire et médico-social qui concourt à une meilleure protection des personnes soignées ou accompagnées, au premier rang desquelles les plus vulnérables. »

Elle rejoint l’Académie nationale de médecine qui affirmait sa position du 19 juillet 2022 que « réintégrer les soignants non vaccinés contre le Covid-19 serait une faute ».

« Enjeu éthique », « faute »… Au-delà d’arguments scientifiques qui ne sauraient être contestés dès lors que des instances compétences en légitiment la pertinence, je ne suis pas certain que ces positions de jugement moral abordent le fond de la question politique à laquelle l’exécutif est confronté. Car si pour l’exemplarité et à juste titre – du fait d’une proximité évidente avec des personnes en situation de vulnérabilité – les professionnels du sanitaire et du médico-social doivent être vaccinés, considérons que nous sommes collectivement vulnérables au risque de contamination et donc responsables nous aussi à l’égard de la stratégie vaccinale.

Dès lors ne persistons pas à esquiver un enjeu qui s’impose à nous : devons-nous décider d’une vaccination obligatoire et donc systémique de l’ensemble de la population ?

Au-delà des professions de santé

Si des moyens (à préciser du fait de leurs conséquences en termes de libertés individuelles et de préservation de la confidentialité) devaient être mis en œuvre pour contrôler l’effectivité de la décision, quelles mesures seraient appliquées aux intervenants en contact direct avec des personnes dans la vie publique, je pense par exemple aux enseignants, à nos interlocuteurs dans les administrations mais aussi aux modalités pratiques d’une même exigence de sécurité sanitaire dans les entreprises ou dans les transports ?

À aucun moment ces aspects de santé publique n’ont été sérieusement abordés dans les débats parlementaires de ces derniers jours, et encore moins dans les prises de position de l’exécutif. Le principe d’égalité et celui de réciprocité constituent deux considérations qu’il nous faut appliquer aux approches de l’obligation vaccinale pour tous.

Ayant compris que le contexte démocratique actuel n’était pas favorable aux concertations qui permettraient d’examiner la justification de l’obligation vaccinale, dès le 2 mai 2022 j’ai développé des arguments en faveur d’une révision de l’interdiction d’exercice des professionnels pour motif de non vaccination. Il me semblait que l’on pouvait se permettre cette ouverture et l’accompagner d’un débat qui, je le constate, intervient dans le contexte des débats parlementaires relatifs à la « loi sanitaire » alors qu’il aurait pu être anticipé.

Les prises de positions nécessairement contradictoires font apparaître que les règles auraient pu être revues sans pour autant donner à penser que les professionnels seraient alors en quoi que ce soit légitimés dans un choix personnel que je réprouve, ne serait-ce que d’un point de vue déontologique.

Je reprends donc en quelques points mon argumentation qui visait à envisager un mode de médiation et de réintégration au cas par cas dans une vie professionnelle dont je sais en quoi elle s’exerce dans la responsabilité et le souci de l’autre. Il est excessif d’évaluer le sens d’un engagement à l’aune d’un refus qui n’équivalait pas à l’expression d’une irresponsabilité.

D’autres professionnels – eux vaccinés – ont pour leur part fait le choix de mettre un terme à leur activité dans des établissements hospitaliers ou du médico-social, opposés à d’autres formes de contraintes qui dénaturaient les valeurs de leur métier. Ils sont plus nombreux que ceux qui ont été exclus pour refus de vaccination, et ne sont pas davantage que les autres irresponsables dans leurs choix. Ils fragilisent pourtant ceux qui sont accueillis dans les établissements, mais tout autant leurs collègues en devoir de suppléer aux carences (parfois même quand ils sont contaminés) !

Une exigence de cohérence et d’apaisement

Réintégrer les professionnels qui n’ont pas accepté la vaccination obligatoire relevait selon moi d’un choix politique, dès lors que les instances scientifiques n’estimaient pas cette mesure incompatible avec la situation sanitaire actuelle.

Il ne s’agissait en rien d’une réhabilitation, et les pouvoirs publics n’y auraient pas perdu leur crédibilité à imposer demain de telles mesures si les contraintes l’imposaient.

D’un point de vue strictement éthique, trois considérations peuvent éclairer les instances publiques. Bien que je respecte les récentes positions de la HAS et de l’Académie nationale de médecine, je me demande si l’interdiction professionnelle est aujourd’hui nécessaire et proportionnelle aux risques sanitaires tels qu’ils sont évalués (et dont on constate qu’ils n’ont pas justifié jusqu’à présent de dispositifs particuliers en dépit d’un rebond épidémique) ? N’est-il pas fondé, pour toute mesure adoptée dans l’urgence, d’évaluer sa pertinence et donc sa réversibilité possible selon ces critères qui tiennent compte de la complexité des arbitrages sur la base d’expertises scientifiques évoluant en fonction de l’acquisition des connaissances (ce qui est le cas à propos de l’efficacité des vaccins) ?

Santé Publique France a dénombré 97 492 cas d’infections nosocomiales avec pour conséquences des complications souvent graves, mais plus encore 310 décès de personnes hospitalisées. Je ne minimise donc pas l’importance de règles sanitaires strictes qui de toute évidence ne sont pas limitatives à la vaccination (cela d’autant plus que la majorité des contaminations nosocomiale est attribuée à des personnes hospitalisées).

Dès lors qu’il convient d’être soucieux de professionnels plus exposés que d’autres au risque de transmission du virus, encore conviendrait-il de nous assurer que, bien que contaminés, certains d’entre eux ne sont pas requis pour maintenir leur activité dans des services qui manquent de collaborateurs, ce qui semble le cas.

Je comprends parfaitement l’argumentation présentée par l’Académie nationale de médecine mais ne considère pas comme « une faute » ou « un revirement » l’éventualité de leur permettre de reprendre leurs activités. Si la décision de réintégration avait été prise, elle devait être accompagnée d’un entretien personnel de réintégration favorisant un dialogue de fond, ainsi que d’une démarche d’explicitation notamment à destination des professionnels qui, à juste titre, ont considéré qu’accepter la vaccination était un acte de responsabilité et de solidarité qui relevait de leur déontologie.

Pour avoir échangé ces derniers jours, suite à mes prises de position défavorables au maintien d’une mesure qui devrait être suspendue, j’ai compris que, comme la société dans son ensemble, ils aspirent à ce que l’on renonce au registre de la vindicte, de l’opprobre et de l’opposition des uns aux autres, car il dégrade la vie démocratique et les relations professionnelles.

L’Académie nationale de médecine évoque à juste titre un nécessaire « climat de confiance » ainsi que la « cohésion ». Je partage cette préoccupation, y ajoutant une exigence de cohérence et d’apaisement dont dépendra demain l’acceptabilité de mesures dont nous ne pourrions nous exonérer.

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Envisager une concertation nationale ?

À la défiance qui s’est renforcée au cours de ces deux années de pandémie entre la société civile et les instances gouvernementales, doit désormais répondre la réhabilitation d’un principe de confiance réciproque. Une telle visée se construit dans la concertation indispensable, comme l’exprimait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis n° 137 du 2 septembre 2021.

N’oublions pas que nombre des professionnels qui ont été interdits d’exercice étaient, dès février-mars 2020, sur le front dans les hôpitaux et les Ehpad sans bénéficier de dispositifs de protections. Ils ont défendu les valeurs du soin au point d’être considérés, un temps donné, comme nos héros !

C’est pourquoi je témoigne de ma sollicitude à leur égard, sans cautionner un choix personnel entachant l’exemplarité exigée des bonnes pratiques professionnelles, et me situais du côté de ceux qui interviennent aujourd’hui en faveur de leur réintégration. Mais je demande, de surcroît, aux instances publiques d’organiser une concertation nationale consacrée à l’obligation vaccinale.

Car il s’agit là de la question qui s’impose à nous, aussi délicate soit-elle, si l’on souhaite parvenir à une position incontestable face aux dilemmes de choix politiques dont les aspects éthiques ne sont pas réductibles à la seule appréciation d’instances scientifiques dans un contexte donné. Cela ne m’empêche pas d’en comprendre les prudences et leur respect du principe de précaution.

Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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