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Cyclistes de haut-niveau, tous asthmatiques ou tous dopés ?

Valérie Bougault, Université Côte d’Azur

La question revient souvent, en général dès qu’un cycliste utilise un inhalateur aux yeux de tous sur une course majeure. La presse se fait une joie de relayer les photos ou vidéos et beaucoup y vont de leur avis, se partageant entre ceux qui estiment qu’il y a dopage et ceux qui jugent que non… Mais que dit la science ? Que sait-on réellement de ce phénomène ?

Que ce soit d’un côté ou de l’autre, les avis sont rarement appuyés sur des références scientifiques. Et du côté de la recherche, la réponse n’est en fait pas si simple !

Les bronches malmenées du sportif d’endurance

Il n’est plus à démontrer que les sportifs d’endurance sont à risque de développer des problèmes respiratoires à cause de leur pratique. Nous allons ici nous focaliser sur « l’asthme d’effort », que l’on définira plus bas.

Quelques chiffres déjà. Le niveau de ventilation à l’effort des sportifs élites dépasse les 120 litres d’air par minute pendant plusieurs heures, avec des pics au-delà des 200 l/min pendant plusieurs minutes ; une personne non sportive atteint, elle, difficilement les 100 l/min à l’effort maximal.

Chez les femmes, cette ventilation est inférieure du fait de voies aériennes plus petites.

Pour connaître l’effet de cette ventilation hors normes, nous avons récemment réalisé une modélisation en nous basant sur un effort en continu de 30 minutes, mené sur vélo par des sujets actifs, à une température de 19 °C et une humidité de 55 % (autour de 70 % de la VO2max, qui est la quantité maximale d’oxygène que notre corps peut utiliser pendant l’exercice). Ce qui nous a permis d’établir qu’une ventilation d’environ 80 l/min chez des jeunes hommes (probablement moins chez des femmes) correspondait au seuil de déshydratation bronchique.

Cela signifie qu’au-delà de cette ventilation, comme ce qu’expérimentent les cyclistes élites en course, le système bronchique n’est plus capable de se réhydrater suffisamment du fait du flux d’air trop important.

En lien avec cette déshydratation, les flux d’air provoquent des dommages de l’épithélium bronchique (couche de cellules de la paroi) et le tout provoque une inflammation des bronches. En conséquence, il est courant d’observer une inflammation et des dommages bronchiques après un effort intense chez des sportifs d’endurance, asthmatiques ou non, s’ils ont ventilé suffisamment fort et longtemps.

La différence entre un asthmatique et un non-asthmatique est que la déshydratation provoque chez les premiers une contraction du muscle lisse entourant la bronche, qui en se contractant va la « saucissonner » et ainsi réduire la lumière bronchique – de manière schématique, cela réduit « le diamètre du tuyau » par lequel l’O2 entre et le CO2 sort. À cela s’ajoutent les polluants inhalés à l’effort, puissants oxydants aggravant le processus d’inflammation.

Dans des biopsies bronchiques de nageurs et skieurs de fond de très haut niveau, il a ainsi été observé les mêmes modifications structurelles bronchiques que celles d’asthmatiques légers non-athlètes : de l’inflammation, de la fibrose et une hyperplasie/hypersécrétion des cellules à mucus. En somme, s’entraîner intensément en endurance modifie la structure bronchique vers un « phénotype » (des caractéristiques physiques) asthmatique.

Les cyclistes, tous asthmatiques ?

L’asthme est un terme que l’on va réserver ici à ceux qui ont des symptômes d’essoufflement, de sifflement, d’oppression thoracique, de toux en dehors de l’effort et qui ont eu un diagnostic d’asthme par un pneumologue. On constate qu’il n’y a pas tellement plus d’asthmatiques chez les sportifs que dans la population normale (entre 8 et 15 %).

On parlera de bronchoconstriction induite par l’exercice (BIE), ou « asthme d’effort », pour qualifier une chute des débits bronchiques (soit une fermeture anormale de la lumière des bronches) à l’effort. La BIE sans asthme apparaît chez les sportifs d’endurance, en général pendant leur carrière après l’âge de 20 ans. L’inflammation répétée des bronches chaque jour, à chaque entraînement, aggravée par l’exposition concomitante aux polluants atmosphériques, et avec un délai de récupération insuffisant entre deux entraînements en est probablement responsable. Sa fréquence est, chez les athlètes, bien plus élevée que chez les non-sportifs. Il semble que la prévalence soit la même, voire légèrement supérieure chez les femmes.

La BIE peut être symptomatique, et le sportif est alors confronté à des difficultés respiratoires. Des examens respiratoires (par exemple un test constant à haute intensité, ou un test d’hyperventilation isocapnique) permettent d’établir un diagnostic.

Un sportif chez qui une BIE est confirmée peut bénéficier d’une médication destinée à éviter la survenue de symptômes à l’effort (chute de ses débits respiratoires) – toujours en commençant par les plus petites doses possibles.

Beaucoup sont toutefois asymptomatiques, du fait d’une BIE légère à modérée qui entraîne une chute des débits bronchiques de 10 à 25 %. Il en est de même pour certaines pathologies cardiaques, qui peuvent mener à la mort subite sans symptômes annonciateurs.

Si l’on se met dans une optique de santé, dans la mesure où il n’y a ni symptômes ni pathologie, chez une personne lambda, il n’y aurait pas de recherche de BIE. Par contre, dans une optique de performance, si augmenter un calibre bronchique n’améliore pas la performance, une réduction peut la diminuer. Certaines équipes sont donc tentées de faire un dépistage systématique de leurs équipes.

Quelle médication pour l’asthme d’effort ?

La polémique porte en général sur le contenu des inhalateurs utilisés pour traiter un asthme d’effort. Ces inhalateurs peuvent contenir deux classes de substances, dont les molécules actives sont variables :

  • Des bronchodilatateurs de courte durée d’action (SABA) servant à prévenir ou prendre en charge une crise d’asthme (pompe bleue),

  • Des corticostéroïdes par voie inhalée (CSI), qui sont utilisés comme anti-inflammatoires bronchiques (pompes comprenant du rouge).

  • Certains inhalateurs contiennent à la fois des corticostéroïdes et des bronchodilatateurs de longue durée d’action (LABA).

L’équipe de Pascale Kippelen (Université de Brünel, Royaume-Uni) avait montré que prendre un corticostéroïde seul (Béclometasone) protégeait partiellement des effets bronchoconstricteurs d’un asthme d’effort. De même qu’un bronchodilatateur seul.

De nouvelles études ont prouvé que l’utilisation simultanément corticostéroïde et bronchodilatateur – par exemple l’association Budésonide-Formoterol – offrait une meilleure protection. Il est donc désormais recommandé aux sportifs asthmatiques, même ceux souffrant d’un asthme intermittent léger de combiner les deux classes de substances.

Médication pour l’asthme et dopage

En France, le SABA (bronchodilatateur courte durée d’action) par voie inhalée le plus couramment utilisé est le salbutamol, dont la plus célèbre représentante est la Ventoline (GlaxoSmithKline). Comme les CSI et certains LABA (Formotérol, Salmétérol, Vilantérol), il ne fait pas partie des substances interdites par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA ou WADA). Attention toutefois aux CSI en compétition.

Pour le salbutamol par voie inhalée, les études ne montrent aucun effet quelque soit la dose (de 200 à 800 µg en général) sur différents marqueurs de la performanceVO?max, temps limite à 105 ou 110 % de VO2max, performance sur vélo sur 10 ou 20 km, puissance maximale ou travail total au test de Wingate (profil anaérobie), ou encore la force des muscles extenseurs et fléchisseurs du genou. Il a donc été retiré de la liste de l’AMA en 2008, après les J.O. de Beijing.

Malgré le peu d’études, il semble que de la même façon, les LABA (bronchodilatateur longue durée) n’ont pas d’effets non plus sur la performance. Une étude suggère toutefois que le Formotérol seul par voie inhalée à forte concentration (54 µg) pourrait améliorer la disponibilité glucidique au niveau musculaire et donc la puissance développée pendant les sprints.

Il est déconseillé de prendre les LABA seuls à cause des effets délétères. En association avec un CSI, il y a étonnamment peu d’études sur les effets des combinés potentiels sur la performance. Notons que les combinés comprennent en général 6 à 12 µg de Formotérol par dose.

De même, pour les CSI, le peu d’études réalisées ne montrent pas d’effets sur la performance.

Toute autre substance ou toute autre voie d’administration est interdite car ayant des effets potentiels sur la performance. L’AMA a publié, pour toutes les molécules identifiées (Formotérol, etc.), une liste des seuils en lien avec les effets potentiels sur la performance et des interdictions.

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Quelle polémique autour du salbutamol ?

La polémique tournant le plus souvent autour de la petite pompe bleue, nous nous cantonnerons ici à elle – et donc au salbutamol.

Point important : les voies aériennes (trachée, pharynx, larynx, bronches, bronchioles et alvéoles) et le poumon, sauf pathologie avérée tel qu’asthme ou vieillissement normal du système respiratoire, ne sont pas le facteur limitant l’effort.

N’étant pas le facteur limitant, elles ne peuvent augmenter la performance : maintenir le système bronchique ouvert à son maximum n’amènerait pas plus d’oxygène, n’augmenterait pas davantage la capacité de transport de l’oxygène sanguin. La polémique vient en fait des effets du salbutamol pris à haute dose sur le muscle et le métabolisme énergétique.

En effet il peut être anabolisant (qui contribue à la croissance musculaire), et ainsi améliorer la performance en sprint et favoriser le métabolisme lipolytique… mais également avoir des effets délétères. Si l’on parle de milligrammes absorbés par voie orale, par inhalation il ne s’agit que de microgrammes : les doses sont donc très faibles.

Comme il n’est pas encore possible de différencier l’origine du salbutamol retrouvé dans le sang ou les urines, l’AMA a légiféré sur les doses de salbutamol à ne pas dépasser afin d’éviter des conduites potentiellement dopantes.

Dans les urines, il est interdit de dépasser les 1000 ng/ml… mais la gestion de la concentration de salbutamol urinaire par le cycliste n’est pas si simple ! En effet, l’état d’hydratation du sportif la modifie, notamment après une épreuve importante : être déshydraté va l’augmenter naturellement. Ceci a été pris en compte dans le calcul des seuils, ainsi que les études de dose-réponse de la prise de salbutamol par voie inhalée sur sa concentration dans les urines post-effort.

La dose quotidienne maximale autorisée par inhalation est, elle, de 1600 µg sur 24h, soit un maximum de 600 µg toutes les 8h ; les 1600 ug correspondent à 16 bouffées par jour. Deux bouffées de Ventoline correspondent à 200ug, et sa durée d’action est de 4 à 6h. Si un cycliste professionnel a besoin de doses plus importantes, il doit le justifier et faire une demande d’autorisation d’usage thérapeutique (AUT) auprès de l’AMA.

Des effets secondaires ou de tachyphylaxie (le traitement ne fonctionne plus et peut même empirer la BIE) ont été observés lorsque l’on a trop souvent recourt à sa pompe. Cet effet est transitoire. Avoir besoin d’autant de médications témoigne d’une BIE très mal contrôlée – si c’est bien une BIE.

Pourquoi les cyclistes ne prennent pas leur traitement avant ?

La prise de ces traitements n’est, soulignons-le, pas une coquetterie et ils ne sont pas utilisés à la légère : un sportif peut mourir d’asthme pendant un effort. 70 à 80 % des athlètes « asthmatiques » (incluant la BIE) prennent un traitement, dont 20 à 39 % un SABA. Un taux similaire à celui observé dans la population générale.

En revanche, environ 43 % d’entre eux ont un asthme d’effort/BIE non ou mal contrôlé malgré la médication. D’où parfois, comme chez un asthmatique non sportif, la tentation d’appuyer sur la pompe pour enlever la gêne à l’effort même si elle n’est potentiellement pas due à un asthme ! Les symptômes respiratoires à l’effort peuvent avoir de nombreuses origines contre lesquelles le salbutamol n’est pas efficace.

Alors… Qu’en conclure ?

Si le terme « asthme » englobe la BIE alors, oui, beaucoup de cyclistes sont asthmatiques à cause de leur sport, parfois 50 % des équipes. La prise de salbutamol par voie inhalée permet donc chez eux de rétablir une performance normale – mais pas de l’augmenter.

Il existe à côté de cela de mauvaises pratiques de prise de salbutamol par voie systémique ou en inhalant des quantités démesurées avec tous les risques pour la santé que cela implique. Il existe d’autres molécules bien plus efficaces à des fins de dopage. Si on entend également qu’il est utilisé comme produit masquant, aucune étude ne semble pour l’heure l’étayer ou identifier quelle molécule serait ainsi masquée.

À ceux qui penseraient que le sport est donc mauvais pour la santé et qu’il vaut mieux rester dans son canapé, rappelons que les cyclistes du Tour de France ont une plus faible mortalité que la population générale. La pratique régulière d’une activité physique est une nécessité pour garder une bonne santé, plus longtemps qui plus est !


Attention : Si le salbutamol par voie inhalée n’est pas dopant, cette substance reste sous ordonnance. Prendre du salbutamol sans l’avis d’un médecin peut avoir des conséquences graves. En effet, les récepteurs beta2-adrénergiques qui y sont sensibles sont également présents au niveau cardiaque. Même si les concentrations sanguines sont faibles après une seule prise de salbutamol par voie inhalée, cela peut provoquer une accélération brusque du rythme cardiaque.

Valérie Bougault, Maître de Conférences, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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