Représentation de la polymérase de SARS-CoV-2 dupliquant l’ARN du virus. Antonio Monari, Fourni par l'auteur
Comprendre la réplication virale de SARS-CoV-2 pour tenter de la stopper
Antonio Monari, Université Paris Cité; Cécilia Hognon, Universidad de Alcalá et Emmanuelle Bignon, Université de LorraineDepuis 2020, les termes d’infection, propagation et réplication virales ont brusquement fait irruption dans notre quotidien. Ces concepts scientifiques, parfois complexes à appréhender, ont été à la base de choix politiques difficiles, imposant des contraintes et limitations sévères à la vie sociale, afin d’enrayer la diffusion de la pandémie de Covid-19.
Bien que les virus soient des entités biologiques plus simples que les cellules eucaryotes (comme celles de notre corps) ou bactériennes, leur mode de fonctionnement reste néanmoins très complexe. Notamment la réplication virale cache un vaste ensemble de phénomènes biochimiques, faisant intervenir à la fois des protéines de la cellule infectée et virales. Ainsi, la compréhension de ces mécanismes, à de très petites échelles (moléculaires, voire atomiques), est indispensable pour contrer efficacement la reproduction des virus. Pour les combattre, il est donc nécessaire de bien répondre à une question fondamentale : comment est-ce que les virus se répliquent, et plus précisément, dans notre cas, comment SARS-CoV-2 se réplique-t-il ?
Tout d’abord, il existe différentes classes de virus qui se différencient, notamment, par la molécule qui stocke et transmet leur information génétique. Certains virus, comme celui de la variole du singe, utilisent pour cela l’acide désoxyribonucléique (ADN), tout comme les cellules humaines, animales ou végétales. Mais dans d’autres cas, comme notamment dans ceux de SARS-CoV-2, Zika, Dengue, ou encore le virus du Nil occidental, c’est un brin d’acide ribonucléique (ARN) qui contient l’information génétique virale.
L’ARN, se différencie de l’ADN par la composition chimique de son squelette, qui est composé de molécules de sucre ribose et non pas désoxyribose, et par la présence d’uracile dans ses briques élémentaires (nucléotides) au lieu de la thymine. Au sein des cellules, l’ARN a un rôle de messager intermédiaire permettant la production des protéines. En effet, il est synthétisé dans le noyau cellulaire à partir d’un brin d’ADN modèle (c’est la transcription), et est ensuite envoyé dans le compartiment cellulaire spécifique à la production des protéines, où il servira de guide aux ribosomes c’est-à-dire des agrégats de plusieurs enzymes qui produisent les nouvelles protéines (c’est la traduction).
La polymérase, enzyme fondamentale de SARS-CoV-2
SARS-CoV-2 et les autres virus à ARN, viennent directement exploiter les ribosomes des cellules infectées de manière à produire les protéines virales nécessaires à leur réplication, en utilisant comme modèle le brin d’ARN qui constitue leur génome. Par la suite, afin de pouvoir se reproduire et infecter d’autres cellules, ils se trouvent dans la nécessité de produire des copies identiques de leur brin d’ARN. C’est une tâche fondamentale qui est réalisée par une protéine virale bien spécifique appelée polymérase, ou plus scientifiquement, ARN polymérase ARN-dépendante. Son nom découle de son action, induire la polymérisation, et de l’utilisation du brin d’ARN viral original comme modèle pour produire un brin d’ARN fils. La polymérase de SARS-CoV-2 est d’ailleurs aussi produite par les ribosomes des cellules qui sont exploités pour traduire les informations contenues dans l’ARN virale et donc produire les protéines nécessaires au virus.
La polymérase virale est de fait, indispensable pour assurer la reproduction des virus, et permettre d’infecter d’autres cellules ou d’autres organismes, propageant ainsi l’infection. Tout naturellement, elle représente une cible de choix pour le développement de potentiels médicaments, qui en la bloquant, seraient capables d’arrêter la réplication du virus et donc de stopper l’infection.
Même si la réplication de l’ARN peut paraître très simple, elle nécessite en réalité une régulation précise faisant intervenir des mécanismes chimiques complexes. Notamment, elle nécessite l’interaction de la polymérase avec le brin d’ARN modèle, la possibilité pour la polymérase de glisser au long de ce brin, et la capacité d’induire la réaction chimique permettant de lier sans erreur de code une nouvelle brique élémentaire au brin d’ARN fils.
Modéliser pour mieux comprendre
C’est pour éclaircir ces différents aspects que la modélisation et la simulation moléculaire jouent un rôle fondamental. Ces techniques, basées sur l’application des équations de la physique classique et/ou quantique, permettent de simuler les comportements des agrégats moléculaires complexes et d’en reproduire les changements structurels, comme le glissement le long du brin d’ARN modèle, ainsi que la réactivité chimique, comme l’inclusion d’un nouveau nucléotide dans le brin fils.
À l’aide de calculs très complexes, réalisés sur des supercalculateurs et ayant des durées de plusieurs mois, la simulation moléculaire agit comme un microscope virtuel et très puissant qui permet de visualiser les comportements de chaque atome, voire de chaque électron, et leur évolution dans le temps. Plus précisément les équations de la physique classique seront utilisées pour simuler les changements de structure, comme le déplacement du ribosome ou de la polymérase le long du brin d’ARN, alors que la physique quantique sera nécessaire pour décrire la réactivité chimique, par exemple la formation d’une liaison entre deux atomes.
De ce fait, en utilisant des techniques de simulation moléculaire multiéchelle, c’est-à-dire combinant les lois de la physique classique et quantique, nous avons pu mettre en lumière les mécanismes d’action de la polymérase à ARN de SARS-CoV-2. Nous avons en effet étudié le comportement de cette enzyme en présence d’un brin d’ARN modèle et du brin fils naissant.
Nous avons inclus dans notre modèle, le réactif qui est utilisé par les virus pour prolonger le brin fils : un nucléotide. Il apparaît clairement que le bon nucléotide est acheminé jusqu’au site actif de la protéine seulement s’il peut s’apparier avec son complémentaire du brin modèle. Mais une fois le nucléotide acheminé vers le site actif où la réaction chimique a lieu, le processus n’en est qu’à ses balbutiements. En effet, il reste encore à accomplir la tâche la plus difficile, qui est la plus coûteuse en termes d’énergie : la formation d’une liaison chimique entre le réactif et le sucre terminal du brin fils, qui induira l’incorporation du nouveau nucléotide et l’allongement du brin.
Hors du site actif de la polymérase, cette réaction chimique nécessiterait de passer une très haute barrière énergétique, et serait donc tellement lente qu’elle ne serait pas exploitable. Le rôle d’une enzyme (une protéine qui catalyse une réaction chimique) est justement de baisser ces barrières et donc de permettre que la réaction ait lieu.
Une polymérase hautement efficace
Nous avons montré que la polymérase de SARS-CoV-2 réalise cet exploit grâce à différents mécanismes chimiques. Tout d’abord, le sucre et le phosphate du nucléotide sont activés par l’interaction avec un agrégat métallique (des ions magnésium) présent au sein du site actif. Ensuite, une série complexe de transferts de protons se met en place, avec l’assistance clé d’une lysine, un des acides aminés de la polymérase proches du site actif, qui agit comme un relai pour stabiliser les états intermédiaires qui se forment.
Cette dernière caractéristique représente une vraie particularité de SARS-CoV-2, étant donné que dans d’autres enzymes similaires, elle est réalisée par d’autres acides aminés (généralement une histidine). Nous avons aussi pu montrer que la polymérase favorise l’incorporation rapide de nouveaux nucléotides qui formeront le brin d’ARN fils, en requérant une énergie d’activation très faible, d’où son efficacité, comparable à celle de la polymérase humaine.
Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes pour le design de médicament à propriétés antivirales. En effet, on pourrait imaginer d’utiliser les acides aminés clés identifiés par nos calculs pour développer des molécules similaires aux nucléotides naturels, appelées analogues de nucléotides, qui seraient capables de s’insérer dans le site actif, mais qui bloqueraient la réaction. Les connaissances que nous avons pu accumuler sur cet aspect seront donc des atouts pour le design de ces nouveaux médicaments.
Par ailleurs, une fois la réaction terminée, la polymérase doit glisser le long du brin d’ARN pour libérer le site actif et permettre l’inclusion d’un nouveau nucléotide pour continuer la formation du brin d’ARN fils. Ce processus, appelé translocation, est fondamental et l’empêcher bloquerait également la reproduction du virus. Il est d’ailleurs supposé que l’action contre SARS-CoV-2 du Remdesivir, analogue nucléotidique originalement développé pour contrer le sida, se baserait sur ce mécanisme de blocage de translocation.
En revanche, dans le cas du virus VIH, responsable du sida, le Remdesivir bloque la réactivité de la polymérase virale. En effet, au cours de la réplication de SARS-CoV-2, le Remdesivir pourrait être inclus dans le brin fils d’ARN et bloquerait son glissement par la suite. Néanmoins, les mécanismes d’action de ce médicament vis-à-vis de SARS-CoV-2 n’étant pas bien éclaircis, il est difficile de comprendre la raison pour laquelle le Remdesivir n’a qu’une efficacité moindre contre le Covid-19 et pourquoi la prise de ce traitement s’accompagne d’effets secondaires lourds.
C’est pourquoi nous avons utilisé nos techniques de simulation pour comprendre ce processus, en particulier en comparant le coût énergétique du glissement de la polymérase en présence d’un brin fils d’ARN normal ou d’un brin comportant le Remdesivir.
Nous avons mis en évidence que le Remdesivir bloque effectivement la translocation en induisant une barrière énergétique infranchissable. Plus important encore, nous avons montré que cette barrière est due à la formation d’interactions spécifiques entre le Remdesivir et certains acides aminés de la polymérase, notamment une serine et une lysine, qui pourront donc être particulièrement ciblées par des nouveaux médicaments. Encore une fois, donc, ceci nous permet de comprendre quels seront les enjeux qu’il faudra considérer pour guider la recherche de potentiels médicaments antiviraux de façon rationnelle.
Tous ces résultats s’insèrent dans le cadre du projet GAVO, qui a été financé par l’institut de chimie du CNRS et par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’idée de base est de développer, avec une synergie forte entre modélisation et chimie expérimentale, une batterie de potentiels antiviraux basés sur des analogues de nucléotides, visant tout particulièrement la polymérase virale. Le projet ambitionne également à produire des composés qui seraient spécifiquement créés pour avoir un spectre d’action large contre de nombreux virus émergents, et ceci grâce aussi aux informations fondamentales recueillies par la modélisation moléculaire.
Ce projet met aussi en lumière le rôle crucial que la chimie peut jouer face aux menaces constantes constituées par les différents virus émergents. En particulier, elle offre l’opportunité de disposer de potentiels médicaments qui pourront être déployés rapidement dans le cas d’une nouvelle crise sanitaire, et qui auront été rationnellement développés et testés pour leur activité antivirale. Il s’agit d’un projet ambitieux, certes, mais c’est aussi un projet qui découle des leçons apprises pendant la récente pandémie.
Il est en tout cas certain que la chimie et la simulation moléculaire se révéleront être des acteurs clés en virologie. Leur déploiement permettra aussi de proposer des médicaments qui pourront efficacement compléter l’action des vaccins et qui auront été produits et proposés suivant les règles de la méthode scientifique. Et donc sans tomber dans les dérives et l’irrationnel auquel nous avons assisté ces deux dernières années.
Antonio Monari, Professeur en Chimie Théorique, Université Paris Cité; Cécilia Hognon, Chercheuse en biochimie computationnelle, Universidad de Alcalá et Emmanuelle Bignon, Chercheuse en biochimie computationnelle, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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