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Une forêt tropicale à Paris
Cédric Del Rio, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Avec l’augmentation moyenne des températures à la surface de la Terre, Paris verra-t-elle un climat tropical et des jungles marécageuses s’installer ?
Si, dans l’histoire de la Terre, Paris a déjà été une zone tropicale, les causes du réchauffement étaient alors extrêmement différentes, et les changements climatiques beaucoup plus lents, étalés sur quelques milliers ou millions d’années.
Je vous propose de mieux comprendre comment des plantes tropicales en sont venues à dominer la végétation du Bassin parisien il y a des dizaines de millions d’années, pour comprendre comment la situation est différente aujourd’hui.
Un réchauffement brutal et sans précédent
À la fin du Paléocène, il y a 56 millions d’années, il faisait déjà plutôt chaud sur la Terre par rapport à aujourd’hui. La moyenne annuelle des températures avoisinait alors les 20 °C dans le nord de la France et la moyenne des précipitations annuelles était supérieure à 1200 millimètres, contre environ 10 °C et 630 millimètres en moyenne aujourd’hui.
Puis, un relargage massif de carbone dans l’atmosphère, probablement d’origine volcanique, a provoqué une instabilité du cycle du carbone. Il aurait été suivi de la fonte du permafrost (partie du sol qui reste gelée pendant plus de deux ans), provoquant un autre relargage massif de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui aurait provoqué un emballement.
L’augmentation de la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a alors provoqué un réchauffement climatique sans précédent, global et « brutal » — brutal à l’échelle géologique, j’entends.
En quelques milliers d’années, au début de l’Éocène — époque géologique qui succède au Paléocène, et qui s’étend entre 56 et 47,8 millions d’années — on aurait enregistré jusqu’à 8 °C d’augmentation des températures continentales à l’échelle mondiale !
Les forêts parisiennes s’adaptent au réchauffement
À la fin du Paléocène, avant le réchauffement, la végétation autour de Paris était très différente de ce que l’on connaît actuellement : il s’agissait d’une mosaïque écologique fossile où les groupes tropicaux à subtropicaux dominent, tandis que les familles aujourd’hui dominantes des milieux tempérés (par exemple les Fagaceae, la famille du chêne) semblent être secondaires.
C’est le paléobotaniste Gaston de Saporta (1823-1895) qui l’a mis en évidence, à travers l’étude des feuilles fossilisées dans des travertins anciens, dits « de Sézanne », dans la Marne.
De fait, la végétation et la faune ont réagi au bouleversement climatique. Mais celui-ci n’a pas représenté une crise de la biodiversité à proprement parler : certains groupes se sont réduits, tandis que d’autres se sont largement diversifiés. Côté animal, des groupes mammifères dits « modernes », comme les périssodactyles (l’ordre du zèbre ou du rhinocéros) et les primates, sont apparus et se sont diversifiés.
Chez les plantes, dans le Bassin parisien, les forêts subtropicales sont devenues plus riches en éléments tropicaux, avec en particulier la diversification des groupes lianescents — du style de celles que l’on trouve aujourd’hui dans les tropiques américains et les régions subtropicales africaines et asiatiques.
Une flore similaire au Sud-Est asiatique d’aujourd’hui
L’étude de l’Éocène, la période qui fait suite à ce réchauffement soudain, débute avec Adolphe Watelet (1839-1899). À partir de feuilles, de fruits et de graines, celui-ci a délimité 52 familles et 103 genres de végétaux, mais sans pour autant en déduire quoi que ce soit sur le climat et le type de flore présente à cette époque.
Puis, Paul-Honoré Fritel (1867-1927) a repris les études de Watelet en les critiquant sévèrement — les conflits scientifiques ne datent pas d’hier ! Il a ainsi pu réduire drastiquement le nombre d’espèces décrites par Watelet, mais a aussi augmenté son analyse avec les découvertes de feuilles de Sabal (palmiers) ainsi que d’inflorescences d’Aracées (la famille des arums).
Paul-Honoré Fritel a exploité ces données ainsi que de nouvelles découvertes paléobotaniques pour obtenir une approximation du climat de l’époque et de sa paléobiogéographie à l’aide d’une « approche actualiste » : il compare les tolérances climatiques des proches parents actuels des groupes éteints qu’il décrit.
Il en conclut que les analogues des fossiles présents durant l’Éocène sont à chercher dans les flores actuelles tropicales et subtropicales d’Amérique (Sabal, Taxodium, Sequoia) ainsi qu’Africaines et Asiatiques (Asplenium, Salvinia).
Avec les études suivantes, autant en botanique qu’en paléobotanique, les chercheurs contemporains ont conclu que les flores Éocène du bassin de Paris étaient finalement plutôt similaires aux flores actuelles du Sud-Est asiatique.
En somme, le réchauffement Paléocène-Éocène a vu la transition d’une végétation mosaïque qui incluait déjà des espèces tropicales et subtropicales, vers une végétation plus strictement tropicale.
L’apport des pollens
Si les premiers paléobotanistes nous ont appris ainsi quelles plantes étaient présentes à cette époque à partir de sites isolés, c’est l’avènement dans les années 1950 des études des grains de pollen et des spores, ou « palynologie », qui a permis d’avoir une vue régionale des écosystèmes présents au niveau du Bassin de Paris.
Au niveau du Bassin parisien, l’étude des grains de pollen a montré qu’on retrouvait essentiellement des forêts subtropicales à tropicales marécageuses et humides durant l’Éocène à l’issue du réchauffement.
En particulier, le site de Le Quesnoy, découvert en 1999 dans l’Oise, contient du pollen, ainsi que des fruits, graines, bois et même de l’ambre (résine fossile produite par des conifères ou plantes à fleurs). Ce site, daté du début de l’Éocène, enregistre une palynoflore (flore décrite à partir du pollen) associée à des prairies et forêts marécageuses (par exemple Gyptostrobus, Restionaceae, Sabal) ainsi qu’à des forêts denses humides (par exemple Icacinaceae, Sapotaceae, Myricaceae).
Réaction des flores au changement climatique
Après le réchauffement, la forêt locale ne semble pas avoir de différences majeures dans sa composition. L’étude récente des noyaux de fruits d’Icacinaceae et d’Anacardiaceae (la famille du manguier) a mis en évidence, au regard d’autres gisements plus anciens, une continuité des flores au niveau du bassin de Paris avant et après la limite Paléocène-Éocène/le réchauffement : l’évolution de la biodiversité dans le temps s’est faite sans rupture majeure.
Ainsi, les flores tropicales et subtropicales parisiennes, déjà adaptées à des climats tropicaux durant le Paléocène, n’ont pas particulièrement souffert du réchauffement brutal du début de l’Éocène. On observe même une légère tendance — à confirmer quantitativement par des études plus nombreuses — à l’accroissement de la diversité spécifique locale.
Aujourd’hui, des impacts climatiques très différents
Ce constat n’est pas transposable à la situation actuelle. Le réchauffement brutal du climat arrive dans un tout autre contexte floristique, où Paris et sa région sont dominés par une flore tempérée, adaptée aux périodes froides.
Notre flore est donc plus fragile aux chaleurs excessives. C’est alors bien une perte et non un gain de biodiversité qu’attendent nos flores dans les années à venir, comme le montre déjà le dépérissement des arbres dans nos forêts.
De nos jours, la végétation du Bassin parisien ne comprend pas d’espèces tropicales — pas à l’état sauvage du moins. La flore d’aujourd’hui est le résultat d’une histoire évolutive longue, marquée par une sélection positive des groupes tempérés au cours des refroidissements durant la fin du Paléogène, du Néogène (entre 23,03 et 2,58 millions d’années) et du Quaternaire (de 2,58 millions d’années à nos jours). Les températures excessives, ce n’est pas leur fort !
De plus, le réchauffement observé actuellement est bien plus brusque que le réchauffement considéré comme « brutal » par les géologues. Les changements climatiques de la limite Paléocène-Eocène, quoique rapides, permettent la mise en place de dynamiques de transitions au sein des écosystèmes à travers les générations. Le changement climatique actuel s’effectue, lui, à l’échelle d’une seule génération pour un arbre commun tel que le chêne ou le hêtre.
Le dessin illustrant la tête de cet article est de Sophie Fernandez, illustratrice scientifique au Centre de recherche en Paléontologie-Paris, MNHN. L’auteur souhaite saluer le travail de ses collègues illustrateurs, qui permettent de donner vie à des données scientifiques parfois un peu brutes.
Cédric Del Rio, Maître de conférences en Paléobotanique, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.