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Les oiseaux migrent-ils vraiment à cause du froid ? Et font-ils le même trajet à l’aller et au retour ?

Connaissez-vous bien les habitudes des oiseaux migrateurs ? Certaines restent mal connues. Thomas Landgren / Flickr, CC BY-NC-ND
Frédéric Archaux, Inrae

Pour la plupart d’entre nous, l’oiseau symbolise la part de « sauvage » acceptable ou idéale de notre environnement. Mais connaît-on bien ce voisin qui peuple nos forêts, nos bords de mer ou nos jardins ?

Dans « 50 idées fausses sur les oiseaux », paru le 26 octobre aux éditions Quae, Frédéric Archaux, ingénieur chercheur à l’INRAE, dresse un état des connaissances les plus récentes sur des oiseaux bien plus mystérieux qu’on ne le pense, en cinquante fiches couvrant tous les aspects de l’évolution, de la biologie et de l’écologie.

The Conversation France dévoile deux d’entre elles, qui reviennent sur des aspects méconnus de la migration.


Le froid les pousse à partir en migration

FAUX. Le manque de nourriture en hiver oblige certains oiseaux à migrer vers des climats plus doux.

C’est une évidence : les animaux qui passent l’hiver sous nos latitudes doivent être capables d’endurer des températures qui peuvent descendre largement en dessous de zéro. Il est donc légitime de penser que c’est l’arrivée du froid que fuient les migrateurs.

Ce merle noir ne craint pas la neige et le froid mordant : en gonflant ses plumes, il emprisonne une couche d’air parfaitement isolante. En revanche, s’il ne trouve pas de quoi s’alimenter et s’abreuver, la situation devient vite critique. Shaun Astbury, CC BY-NC-ND

En réalité, le plumage est un excellent isolant chez les oiseaux. Les plumes de surface, dites « plumes de contour », et le duvet en dessous piègent l’air : à l’exemple du rougegorge familier, en gonflant leur plumage, les oiseaux emprisonnent une plus grande quantité d’air et repoussent ainsi un peu plus le froid tout en conservant leur chaleur corporelle.

Lorsque des programmes de réintroduction de la cigogne blanche ont vu le jour dans les années 1970, les responsables ont constaté que l’instinct migratoire disparaissait si les oiseaux de l’année étaient retenus en cage durant leur premier hiver. Relâchés, ces individus demeuraient alors sur place en hiver et survivaient sans encombre pour peu qu’on leur procure de quoi manger.

La résistance au froid n’est pas si surprenante. Après tout, au printemps, quand les migrateurs africains sont fraîchement arrivés, les mâtinées peuvent être froides et les gelées encore intenses. En revanche, certaines ressources alimentaires s’épuisent à la fin de l’automne, en particulier les invertébrés dont se nourrissent de nombreux passereaux et limicoles (petits échassiers de bord de mer et de marais).

Par ailleurs, en hiver, les jours sont courts, et ce d’autant plus qu’on se rapproche du pôle, ce qui signifie que les oiseaux disposent de moins de temps pour s’alimenter. Demeurer sur les sites de reproduction, c’est courir le risque de mourir de faim.

De nombreux migrateurs partent ainsi dès l’été, comme les coucous, quand il fait encore chaud et qu’abondent les ressources. Des mortalités massives sont connues lors des épisodes de grands froids et réduisent parfois dramatiquement les populations de certaines espèces hivernantes.

La fauvette pitchou, au régime insectivore, demeure toute l’année sur son territoire et paye un lourd tribut lors des vagues de froid. Le changement climatique, avec ses hivers plus cléments, lui est favorable sous nos latitudes, mais réduit plus encore son aire de distribution au Sud. Eugene Archer, CC BY-NC-ND

C’est le cas notamment de deux petits passereaux, la fauvette pitchou, qui habite les landes basses, et la bouscarle de Cetti, qui apprécie les zones de marais, qui ont toutes deux disparu d’Auvergne durant l’hiver 1985, où la température est descendue en dessous de – 20 °C sur une moitié nord de la France.

Des observations plus récentes lors des frimas de février 2012 ont montré qu’avaient succombé avant tout des espèces se nourrissant de proies animales, comme les vanneaux huppés, les bécasses ou les grives. Les oiseaux morts avaient en moyenne une masse réduite d’un tiers par rapport à la normale à cette période de l’année, confirmant bien le rôle majeur de l’accès à la nourriture dans la survie hivernale.

Une autre espèce emblématique connaît de lourdes pertes lors de ces vagues de froid : celle de 1985 a décimé près du tiers de la population hivernante de flamants roses dans le sud de la France ; celle de 2012 en a tué 1 500 (contre 3 000 en 1985).

Le taux de mortalité du martin-pêcheur augmente avec le nombre de jours de gel. Plus que le froid, le gel l’empêche de pêcher les petits poissons dont il a un besoin vital. L’espèce ne fait pas de vieux os dans la nature : moins de 2 % des oiseaux dépassent les 3 ans… Ott Rebane, CC BY

La mesure du taux de lipides et de protéines a conclu que les victimes étaient au dernier stade de la famine : presque totalement dépourvus de graisse, ces oiseaux étaient à court de leur carburant essentiel. En effet, les vagues de froid gèlent les étangs et autres lagunes saumâtres dans lesquels se nourrissent les flamants roses, mais également les martins-pêcheurs, qui paient eux aussi un lourd tribut.

Avec le réchauffement climatique, ces épisodes de froid extrême se font plus rares sous nos latitudes et permettent à ces espèces sédentaires de gagner du terrain. On constate également une tendance à l’hivernage d’un nombre croissant d’individus d’espèces migratrices au long cours. Ainsi, chaque année, des hirondelles rustiques et de fenêtre hivernent dans le sud de l’Europe, notamment dans la péninsule Ibérique. L’étude isotopique des plumes trouvées sur un site au Portugal, où plus de 150 hirondelles rustiques ont été comptées en décembre et en janvier, atteste bien que les oiseaux étaient restés dans le secteur toute l’année.

Les migrateurs font le même trajet à l’aller et au retour

FAUX. De nombreuses espèces empruntent des routes différentes au printemps et en automne.

Les ornithologues connaissent depuis longtemps certaines routes migratoires longeant des côtes maritimes et traversant certains cols de montagne. Le développement du suivi par satellite au tout début des années 1990 a révolutionné notre vision des migrations.

Le record de vol sans escale pour un oiseau est détenu par une barge rousse partie d’Alaska et arrivée en Tasmanie, au sud de l’Australie : rien de moins que 13 560 km parcourus en onze jours de vol ininterrompu, dépensant seulement 0,41 % de sa masse par heure de vol ! Pete Richman, CC BY-SA

On estime que, pour ne pas entraver les déplacements des oiseaux, il faut que les capteurs représentent moins de 3 % du poids de l’oiseau, soit l’équivalent d’un sac à dos de 2 kg pour un humain de 70 kg. Malgré la miniaturisation des balises Argos (passant de 180 g à 25 g aujourd’hui), la seule technologie de communication en continu par satellite, celles-ci demeurent limitées aux oiseaux pesant au moins 800 g, le poids d’un goéland. Des capteurs GPS font aujourd’hui moins de 5 g, mais leur signal ne porte pas au-delà de 30 km.

Des ingénieurs ont eu la lumineuse idée de développer des capteurs de lumière de moins de 0,5 g qui documentent simplement l’heure de lever et de coucher du soleil. Or ces informations permettent de déterminer avec une relative précision la latitude (grâce à la durée du jour) et la longitude (grâce à l’heure moyenne entre le lever et le coucher du soleil).

Pour la petite histoire, les formules mathématiques utilisées pour ces calculs sont connues depuis 1530, attendant patiemment l’invention des capteurs ! Limite forte de cette technologie, il faut recapturer l’oiseau pour récupérer les précieuses informations enregistrées par le capteur.

Les cigognes blanches changent d’une année à l’autre leurs trajectoires migratoires en fonction de la disponibilité des ressources alimentaires, quitte à interrompre précocement leur migration. Par exemple, dans le sud de la France, des décharges à ciel ouvert leur fournissent une nourriture abondante tout l’hiver. Yapaphotos/Flickr, CC BY-NC-SA

Toutes ces technologies ont montré la grande diversité des routes migratoires. En Europe de l’Ouest, les cigognes traversent les Pyrénées sur les côtes atlantiques et méditerranéennes, puis se dirigent vers Gibraltar. En Europe centrale, les routes des cigognes convergent vers Istanbul pour éviter de passer au-dessus de la mer Noire et de la Méditerranée, longent ensuite la côte de la Syrie à l’Égypte pour se disperser finalement en passant au-dessus du Soudan.

Ces routes étant partagées avec de très nombreux migrateurs, on peut parler d’autoroutes migratoires ! Il semble y avoir des bons et des mauvais migrateurs : les cigognes qui vont le moins loin sont celles qui, dès le départ en migration, volent en battant des ailes plutôt qu’en planant : cette seconde stratégie, moins coûteuse en énergie, impose cependant de savoir repérer et utiliser les courants thermiques ascendants.

Généralement et de manière contre-intuitive, au sein d’une même espèce, les oiseaux qui occupent le nord de leur distribution (par exemple en Arctique) hivernent plus au sud (par exemple dans le sud de l’Afrique) que les oiseaux qui nichent plus au sud (par exemple en Angleterre) : on parle de migration à saute-mouton, car les oiseaux nordiques dépassent leurs congénères plus méridionaux à la saison de reproduction aux deux migrations.

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Très souvent, les oiseaux n’empruntent pas le même trajet en automne et au printemps, avec des écarts plus ou moins forts selon les espèces et selon les individus d’une même espèce. On parle de migration en boucle. Certaines espèces font une boucle dans le sens des aiguilles d’une montre (comme le coucou), d’autres dans l’autre sens.

Chez les passereaux, ce changement de route serait dicté par le fait que les sites riches en nourriture, où faire les réserves énergétiques nécessaires à la migration, ne sont pas localisés aux mêmes endroits quand ils arrivent et lorsqu’ils repartent. Chez les espèces planeuses, les voies de migrations semblent surtout dictées par les conditions météorologiques : les oiseaux adaptent leur route en fonction des courants thermiques qui leur sont favorables.

Plutôt que de voyager d’une traite, les pies-grièches écorcheurs de Scandinavie font des haltes prolongées sur leur route vers l’Afrique du Sud. Elles s’arrêtent ainsi près de deux semaines dans le sud-est de l’Europe, puis près de deux mois en Afrique centrale avant d’atteindre leur destination finale. CC BY-ND

Certaines routes migratoires interrogent : par exemple, les pies-grièches écorcheurs d’Espagne, plutôt que de passer en Afrique par Gibraltar, migrent comme toutes leurs congénères d’Europe de l’Ouest vers la Grèce avant de descendre jusqu’au sud de l’Afrique, et remontent par la péninsule Arabique et la Turquie.

Des chercheurs estiment que cette stratégie pourrait être un héritage devenu sous-optimal au cours du temps que la sélection naturelle n’a pas (encore) fait disparaître.

Frédéric Archaux, Chercheur, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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