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La tuberculose reste présente en France (poumons atteints, avec détail de la bactérie Mycobactrieum tuberculosis) NIAID, Images courtesy of Clifton Barry/ Laboratory of Clinical Immunology & Microbiology, CC BY-SA

Tuberculose en France : la bataille n’est pas gagnée

La tuberculose reste présente en France (poumons atteints, avec détail de la bactérie Mycobactrieum tuberculosis) NIAID, Images courtesy of Clifton Barry/ Laboratory of Clinical Immunology & Microbiology, CC BY-SA
Simon Bessis, Institut Pasteur

Elle s’est appelée « phtisie », « consomption » ou « peste blanche », on parle aujourd’hui de tuberculose. Cette maladie infectieuse, causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis, nous accompagne depuis des millénaires.

Particulièrement contagieuse, elle fut le fléau des sociétés industrialisées occidentales au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle. À la Belle Époque, on estimait ainsi qu’elle était responsable du décès de près de 150 000 personnes chaque année en France avec près de 9 millions de décès au cours du XIXe siècle.

Si elle a causé des ravages, on l’associe désormais au passé. C’est une erreur : on meurt toujours de tuberculose, y compris en France. Et, au niveau mondial, elle a récemment progressé pour la première fois depuis vingt ans indiquait l’OMS en 2021. Comment expliquer ce retour ?

Revenons un instant à ce qui avait permis son recul…

L’identification de son agent pathogène par le médecin allemand Robert Koch en 1882 (d’où son surnom de « bacille de Koch », un bacille étant une bactérie de forme allongée) fut une première étape décisive puisqu’elle allait ouvrir la voie à des moyens de lutte efficace. L’amélioration des conditions de vie et d’hygiène, puis le développement de la vaccination (le fameux BCG, pour Bacille de Calmette et Guérin) avec pour finir la mise en place de l’antibiothérapie ont considérablement changé le pronostic de la maladie. Elle allait ainsi refluer dans les pays industrialisés tout au long du XXe s.

Refluer mais pas disparaître : la tuberculose reste une menace, et un fléau à l’échelle mondial. Selon l’OMS, en 2021, près de 1,6 million de personnes en sont mortes et elle est la deuxième cause de mortalité par maladie infectieuse, derrière le Covid-19 (et avant le Sida), et la treizième toutes causes confondues.

L’objectif de l’OMS de l’éradiquer d’ici 2030 se heurte à de nombreuses difficultés, dont celles croissantes de la résistance aux antibiotiques et la persistance des inégalités socio-économiques sur lesquelles elle prospère.

Tuberculose en France : les chiffres

La tuberculose est une des 36 maladies à déclaration obligatoire auprès de Santé publique France.

Ce suivi a permis de constater que, sur 20 ans, son incidence (nombre de cas apparus sur une année) est en recul avec 6,4 cas pour 100 000 habitants en 2021 contre 11 en 2000 – soit environ 4300 cas contre 4600 20 ans plus tôt. Le nombre de cas de tuberculoses multirésistantes (MDR) a également diminué : 43 cas en 2021 contre 67 en 2020 (environ 1 % des cas).

Nombre total de cas et taux de déclaration de tuberculose en France entre 2000 et 2021. Santé publique France ; DO tuberculose ; données de population : ELP, Insee

Ce qui n’empêche pas les ressauts comme en 2007-2008 et en 2017-2019… Quant à la baisse en cours, elle découle en partie des mesures de confinement et de port du masque de la pandémie Covid-19, mais aussi d’une possible baisse des diagnostics du fait d’un accès aux soins limité.

Si le territoire Français est considéré comme une zone de faible incidence par l’OMS de façon générale, on constate de fortes disparités selon les régions avec les outre-mer et l’Île-de-France en principaux épicentres :

  • Mayotte compte 12,0 cas pour 100 000 habitants ;

  • L’Île-de-France, 13,2 cas pour 100 000 habitants (38 % des cas). La Seine-Saint-Denis est le département de Métropole le plus affecté avec 24,3 cas pour 100 000 habitants ;

  • La Guyane, 25,5 cas pour 100 000 habitants.

Trois catégories de personnes sont particulièrement affectées : les personnes sans domicile (68 cas pour 100 000 habitants), celles détenues (44/100 000 habitants) et celles nées hors de France (32/100 000 habitants) – principalement les jeunes (25-39 ans) nés dans un pays à forte endémie.

Par ailleurs, il est à noter qu’être immunodéprimé (en raison du VIH, d’une transplantation d’organes, de biothérapies…) est un facteur majeur de développement de la maladie.

En Europe, une situation contrastée

Europe de l’Ouest et de l’Est sont dans des situations sanitaires très différentes.

À l’Ouest, la prévalence (nombre de cas à un moment donné) de la tuberculose est faible, et l’incidence de nouveaux cas inférieure à 10 pour 100 000 habitants. Dans l’Union européenne, l’ECDC (European Control disease center) l’évaluait ainsi à 7,3 cas pour 100 000 habitants en 2020 – soit environ 33 000 nouveaux cas.

Dans l’ancien bloc soviétique, prévalence et incidence sont de modérées à fortes. La Fédération de Russie présentait, en 2020, un taux d’incidence de 58,2 pour 100 000 habitants.

Carte des taux d’incidence (nb de cas/100 000 habitants/an) de la tuberculose en Europe. Données : European Surveillance System (TESSy) et WHO Global TB data-collection system

L’OMS estimait en 2021 à plus de 21 000 le nombre de décès dus à la tuberculose en Europe (2,3 décès pour 100 000 personnes), dont environ 3 800 dans l’UE (0,8 décès pour 100 000). Une augmentation, la première en plus de vingt ans comme indiqué plus haut, qui s’explique notamment par un retard ou une absence de diagnostic à la suite de perturbations des services de lutte contre la maladie.

Une maladie aux multiples visages

La transmission se fait par voie aérienne, via des gouttelettes chargées de bactéries projetées par un malade ; elle est favorisée par la toux et l’expectoration. Seules les formes pulmonaires (et les exceptionnelles formes laryngées) sont donc contagieuses.

Le bacille gagne les poumons de son nouvel hôte, où il va entraîner une réponse inflammatoire. Les cellules immunitaires impliquées (des macrophages) peuvent se retrouver infectées et, en se déplaçant ensuite dans le corps via le système lymphatique, transporter la bactérie dans des ganglions. Le malade est au stade dit de « primo-infection tuberculeuse ».

Dans 90 % des cas, cette primo-infection sera pas ou peu symptomatique. S’installe une « infection tuberculeuse latente » (ITL). Si, dans 90 % des cas l’évolution est favorable (hors immunodépression et très jeunes enfants, plus vulnérables), des formes avec symptômes peuvent se développer :

  • Tuberculose pulmonaire commune : Elle se caractérise par des signes respiratoires (gênes, douleurs thoraciques, toux prolongée parfois sanglante…) et parfois amaigrissement, fatigue, fièvre, sueurs nocturnes, etc. Plus fréquente lorsque la maladie est active, l’hémoptysie (cracher du sang venant des bronches) survient dans 5 à 15 % des cas dans les pays industrialisés mais est plus fréquente dans les pays à forte endémie.

  • Formes extra-pulmonaires : Elles représentent 25 % des cas en France, et peuvent apparaître secondairement. La forme la plus fréquente est la tuberculose ganglionnaire, caractérisée par des ganglions enflés et enflammés. La tuberculose osseuse est également répandue (avec formation d’abcès au niveau des vertèbres ou autres articulations) comme l’atteinte hépatique (rarement symptomatique). D’autres formes, moins fréquentes, existent : des pleurésies, péricardites et méningites tuberculeuses ainsi que les rares tuberculoses laryngées, urogénitale (risque de stérilité), digestive et surrénalienne. En cas d’immunodépression sous-jacente, elle peut toucher de multiples organes.

  • Tuberculose du sujet âgé : La prévalence dans la population âgée est importante. Les signes cliniques sont aspécifiques et souvent peu bruyants, entraînant parfois un retard diagnostique et thérapeutique.

Quelle prise en charge thérapeutique en France ?

Bien codifiée en France, la prise en charge de la tuberculose est assurée à 100 % par la Sécurité sociale (via les Affections de longue durée, ALD, ou l’Aide médicale d’État, AME). Cela permet une bonne observance des traitements, particulièrement longs : deux mois de prise de quatre molécules antibiotiques, puis quatre mois avec deux antibiotiques (Recommandations OMS 2018) à l’exception des tuberculoses neuroméningées, qui exigent 9 à 12 mois de traitement.

Les deux principaux antituberculeux, la rifampicine et l’isoniazide, sont utilisés sur les six mois ; s’y ajoutent au début pyrazinamide et éthambutol. Dans les formes respiratoires, les patients sont isolés pendant au moins deux semaines après initiation du traitement.

Cette association permet une guérison dans plus de 85 % des cas. Un bon résultat dû à l’adhésion des patients, obtenu grâce au suivi des effets secondaires et des adaptations de posologies qui en découlent. Aux États-Unis, le taux de succès est de l’ordre 66 % du fait des difficultés à financer les traitements (permettant l’observance) et au manque de suivi (clinique, biologique et des effets secondaires) dans les populations les plus touchées.

La lutte contre la tuberculose passe par les Centre de lutte anti-tuberculose (CLAT) qui maillent le territoire. Ils organisent et coordonnent le dépistage des cas, leur suivi et la recherche des cas contacts.

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Résistance, co-infection : les principales menaces

Même si des progrès majeurs ont été accomplis depuis un siècle, le reflux de la tuberculose n’est pas global. Il s’observe principalement dans les pays offrant une bonne protection sociale et sanitaire. L’Europe de l’Ouest, par ses acquis sociaux et un meilleur accès à des structures de santé performantes, est à la pointe. Les mesures de protection sociale ont fait leurs preuves en aidant à casser les chaînes de contamination et à diminuer la morbi-mortalité.

Malheureusement, la tuberculose reste endémique dans bien des régions du globe. Les raisons sont multiples et complexes : manque de financement des offres de soins et dans la formation des personnel, difficultés dans le diagnostic, l’accès et le suivi du traitement (coût, effets secondaires), etc.

Or les arrêts de traitements prématurés présentent un double risque : pour le malade, et d’émergence de souches résistantes. On parle de tuberculose multi-résistante (MDR en anglais) lorsque rifampicine et isoniazide deviennent moins efficaces. Lorsque la résistance se développe également contre les médicaments de deuxième intention les plus efficaces (fluoroquinolones, aminosides, etc.), la tuberculose est dite « extrêmement résistante » (XDR en anglais).

La bactérie responsable de la tuberculose est de plus en plus résistante aux traitements. On parle de formes multirésistantes quand les deux principaux antibiotiques, rifampicine et isoniazide, deviennent inefficaces. Il faut alors se reporter sur les autres molécules. NIAID, CC BY

La tuberculose multirésistante est une des principales menaces en termes de santé publique et la sécurité sanitaire au niveau mondial.

Selon l’OMS, en 2021, seul un tiers des patients diagnostiqués avec une tuberculose MDR ont eu accès à un traitement. Plusieurs pistes ont été explorées afin d’améliorer la prise en charge : tests de dépistage de résistance rapide, traitement plus court ou simplifié afin d’améliorer l’observance, etc.

Mais la persistance de la maladie et la progression des formes résistantes sont également associées à une autre pathologie infectieuse majeure : le Sida (Syndrome de l’immunodéficience acquise), causé par le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les sujets touchés ont en moyenne 16 fois plus de risque de développer une tuberculose (OMS 2021), qui est la première cause de décès parmi les personnes vivant avec le VIH (environ 187 000 personnes en 2021). L’Afrique et les pays de l’ancienne URSS sont les plus concernés du fait d’un manque d’accès aux soins et d’une stigmatisation de ces populations.

Des solutions existent, par l’amélioration des diagnostics et des traitements. Mais il ne faut pas oublier la base du problème : la tuberculose est un révélateur de l’état de nos sociétés. Avec les autres maladies infectieuses, elles mettent en exergue nos failles et nos faiblesses. Inégalités socio-économiques, accès aux soins et exclusion font leur lit. Aucune politique d’éradication ne pourra faire l’économie de cette réflexion, y compris dans une Europe occidentale parfois tentée par des solutions démagogiques en ces temps d’incertitudes.

Simon Bessis, Médecin infectiologue et chercheur au Centre international de recherche en infectiologie (CIRI) - Institut Pasteur, Institut Pasteur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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