Marie-Anne Paveau, spécialisée dans l’analyse des discours numériques, explique que le sexisme est « intimement lié » au shaming.
En avril dernier, un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes provoquait un petit séisme dans les consciences sur le sexisme au quotidien :
« 100% des utilisatrices des transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agressions sexuelles, conscientes ou non que cela relève de ce phénomène. »
En ligne, pas besoin de rapport, c’est flagrant. Les échanges démultipliés permis par les réseaux, couplés au mimétisme et à l’anonymat offerts par Internet, semblent fournir un terrain privilégié pour les violences sexistes et le « shaming ».
Nous avons interrogé Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à l’université de Paris XIII, spécialisée dans l’analyse des discours numériques, en particulier ceux liés aux femmes, au sexe et au corps.
Rue89 : Comment définiriez-vous le phénomène de shaming ?
Marie-Anne Paveau : Le shaming c’est d’abord un discours disqualifiant sur l’autre ou à l’autre, qui porte le plus souvent sur des phénomènes liés au corps ou à la sexualité : on parle par exemple de « slut shaming », de « body shaming » ou de « fat shaming ».
C’est le terme anglais qui est passé en français sous forme d’emprunt, et il s’est acclimaté sous cette forme (ce serait étrange d’en proposer une traduction en français maintenant, qui ne prendrait sans doute pas de toute façon).
Il s’agit de culpabiliser (littéralement « faire honte ») une femme pour son comportement jugé trop sexuel, à un gros, le plus souvent une grosse d’ailleurs, pour son poids, ou à un individu quelconque pour des traits corporels considérés comme laids, ridicules, dégoûtants etc.
L’obésité, mais aussi la maigreur extrême, les cicatrices de césarienne, la peau ridée du grand âge, ou tout autre trait considéré comme n’entrant pas dans les normes.
Le terme de shaming et ses composés sont des termes militants, créés pour dénoncer ces comportements, chez les féministes surtout (le slut shaming), qui plaident pour la liberté de chacun et chacune d’avoir et de montrer le corps qu’il ou elle a. Fondamentalement, le shaming est un discours normatif : tout ce qui n’entre pas dans les canons esthétiques actuels, bien représentés dans la publicité et les médias, canons considérés comme les seuls dignes d’exister, est susceptible d’être stigmatisé...
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