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Rihanna en nonne dénudée ou en « pape sexy » : sacrilège ou émancipation ?

Associated Press / Alamy Stock Photo
Chris Greenough, Edge Hill University

Rihanna n’en est pas à son premier coup d’éclat. Cette fois, elle a suscité la controverse et l’indignation avec une photo jugée par certains « déshumanisante et dégradante », sur laquelle elle est vêtue en religieuse, pour la couverture du printemps 2024 du magazine Interview.

Ce n’est pas la première fois que Rihanna utilise l’imagerie religieuse dans son travail. Prenons par exemple sa tenue « sexy pope » (pape sexy) lors du Met Gala 2018. C’est devenu un look emblématique, qui a même été immortalisé par une effigie en cire de la chanteuse dans le célèbre musée Madame Tussaud, et a incité le magazine Vogue à déclarer « Rihanna a gagné le Met Gala ».

Exactement comme avec la couverture du magazine Interview, certains ont jugé le thème du gala « corps célestes : la mode et l’imagination catholique » « sacrilège ».

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Pourtant, l’Église catholique s’est associée à l’exposition et a accompagné le Metropolitan Museum of Art, en prêtant plus de quarante vêtements papaux en provenance du Vatican. L’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan, a non seulement approuvé l’événement, mais y a également assisté.

Rihanna n’a pas non plus limité son utilisation du symbolisme religieux à la religion catholique. En 2021, elle a été accusée d’appropriation culturelle lorsqu’elle a été photographiée portant un pendentif représentant la divinité hindoue Ganesha.

Et l’année précédente, Rihanna s’est excusée d’avoir utilisé un texte islamique sacré dans la musique du défilé de sa marque de lingerie Savage x Fenty en 2020.

Le symbolisme religieux comme provocation culturelle

Comme de nombreuses stars de la pop, de Beyoncé à Madonna et Lady Gaga à Lil Nas X, Rihanna utilise l’imagerie religieuse à des fins de provocation.

Tout comme Beyoncé a utilisé l’imagerie associée à la Vierge Marie dans ses annonces de grossesse sur les réseaux sociaux, pour mieux subvertir les associations entre blancheur et pureté sexuelle, Rihanna parodie le genre « nunsploitation » – « nonnesploitation », mot-valise formé de nun – sœur ou nonne – et exploitation, un sous-genre du cinéma d’exploitation, ayant connu son zénith au Japon et dans l’Europe des années 1970 – pour jouer avec la question de la respectabilité et du bon goût, questionner l’abstinence sexuelle et la sexualisation systématique du corps des femmes.

Le look nonne de Rihanna a suscité un tollé parce qu’il met en lumière des idées reçues sur la façon dont les femmes doivent s’habiller. Utiliser l’imagerie religieuse lui permet d’utiliser la parodie pour repousser les idéaux issus de la religion concernant le corps des femmes.

Le christianisme a longtemps entretenu des préceptes stricts sur la tenue vestimentaire des femmes. Un certain nombre de textes bibliques proscrivent la modestie pour les femmes, notamment 1 Timothée 2 :9-10 : « Je veux aussi que les femmes s’habillent modestement, avec décence et convenance, et non avec des cheveux tressés, de l’or ou des perles, ou des vêtements coûteux. »

Ces codes vestimentaires restent en vigueur dans un certain nombre de confessions chrétiennes aujourd’hui.

Les religieuses en tant qu’image culturelle populaire

L’appropriation de la figure de la nonne est profondément ancrée dans la culture populaire, y compris au cinéma, dans des comédies musicales devenues des classiques, comme La Mélodie du bonheur et Sister Act.

Dans l’imaginaire populaire, les religieuses sont disciplinées, modestes, humbles, silencieuses et sexuellement abstinentes. Dans ces films, tout l’intérêt vient du fait que ces sœurs, actrices principales d’intrigues vibrantes, subvertissent les attentes concernant leur existence humble et apparemment passive.

L’obsession de la culture populaire pour les nonnes suscite à la fois l’intérêt et l’indignation parce qu’elle remet en cause l’orthodoxie religieuse, mais aussi les attentes sociales à l’égard des femmes et les présupposés culturels concernant leur corps. Les moines et les prêtres, par exemple, ne suscitent pas les mêmes inquiétudes et préoccupations.

Souvent dépeints comme inaccessibles ou célibataires, les prêtres peuvent être présentés comme « sexy » dans la culture pop sans susciter le même niveau d’indignation publique que des représentations similaires de femmes religieuses.

Les religieuses suscitent une forme d’inquiétude sociale parce qu’elles sont des femmes qui existent sans les hommes. La sexualisation des religieuses résulte de la rupture perçue des notions d’abstinence et de pureté, habituellement associées aux femmes qui sont entrées dans les ordres religieux.

Il serait réducteur de dire que l’usage de cette imagerie n’est qu’une tentative d’attirer l’attention et de susciter la controverse à peu de frais – même si c’est objectivement le cas.

Le symbolisme religieux est également un moyen important de soulever des questions et des débats sur des problèmes culturels importants, allant de la pertinence des institutions religieuses aux préjugés envers les femmes, en particulier les femmes de couleur. L’imagerie érotisée de Rihanna quand elle se présente en religieuse fonctionne donc comme une protestation contre les idéaux féminins de pudeur et de décence.

Le sein maternel en question

Sur la couverture du magazine Interview, Rihanna expose partiellement sa poitrine. Les seins exposés dans l’art religieux n’ont jamais suscité de controverse : il existe une d’innombrables « madones allaitantes » dans lesquelles Marie allaite l’enfant Jésus.

Bartolomé Bermejo, Mare de Déu de la Llet, Museu de Belles Arts de València, XV? siècle. Wikimedia

Ici, le sein nu ne provoque pas d’indignation parce qu’il s’agit d’une image axée sur la mère – Marie nourrissant l’enfant Jésus – et que la mère est vierge.

La religion joue un rôle important dans la culture contemporaine. En effet, si ces symboles et cette iconographie trouvent leurs racines dans les traditions religieuses, ils sont aussi des produits culturels, à tel point que la réaction contre Rihanna – et envers d’autres célébrités adoptant l’imagerie religieuse – est symptomatique de l’anxiété que suscite la perte de contrôle du christianisme sur ses symboles.

Il est donc révélateur que lorsqu’une femme s’exprime et décide de la façon dont elle a envie de se présenter, cela soit perçus par certains comme dangereux et blasphématoire. Au fond, cette réaction à la couverture d’Interview en dit beaucoup plus sur les attitudes sociales et culturelles à l’égard des femmes et de leur corps que sur Rihanna.

Chris Greenough, Reader in Social Sciences, Edge Hill University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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