Karine Bonjour décrit la crise sanitaire, sociale et humaine que les effondrements des numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne, à Marseille, ont révélée.
Le livre. Ce livre raconte une déflagration. Celle qui frappe Marseille depuis ce matin du 5 novembre 2018 où deux immeubles du centre-ville se sont effondrés. Les chiffres de la catastrophe sont connus. Huit morts, auxquels s’ajoute le décès de Zineb Redouane, touchée chez elle par une grenade lacrymogène en marge d’une manifestation quelques jours après. Plus de 3 500 habitants délogés de leurs lieux de vie pour cause de danger imminent ; 350 immeubles bouclés par des arrêtés de péril et des dizaines de rues fermées par principe de précaution. L’alignement comptable reste sidérant, mais il ne peut résumer la crise sanitaire, sociale et humaine que les effondrements des numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne ont révéléé.
Récit d’une rupture (Parenthèses) donne un plus juste sentiment de l’impact de la catastrophe. Semaine après semaine depuis ce triste 5 novembre, la documentariste marseillaise Karine Bonjour a choisi et compilé textes, articles de presse, photographies, créations graphiques fleurissant sur les murs, mots lancés sur les réseaux sociaux. Un corpus puissant, livré sans quête de pathos mais finement mis en scène, qui permet, soudain, d’appréhender toute la réalité de la déflagration. Ses grands effets et ses petits à-côtés, ses magnifiques solidarités et ses bassesses, la douleur qu’elle charrie et la colère qui l’accompagne encore.
On y croise les mots de la rappeuse Keny Arkana, fille de ces quartiers du centre-ville, les textes à l’amertume cinglante de Valérie Manteau, prix Renaudot 2018, qui habite Noailles, le quartier que traverse la rue d’Aubagne, les chroniques radiophoniques de Nicole Ferroni, Thomas Legrand ou Jean-Michel Aphatie, appelant à la démission du maire LR, Jean-Claude Gaudin.
Mesquineries administratives
On y retrouve le formidable travail d’enquête et de témoignages des médias locaux, Marsactu et La Marseillaise en tête, et des journaux nationaux. Les places des concerts de soutien et les tracts d’appels aux dons qui ont financé la solidarité. Les cris du cœur de délogés, abandonnés dans des hôtels, qui fustigent la municipalité : « Nous ne pardonnerons jamais les fautes meurtrières commises dans le passé. Vous êtes responsables des mauvais traitements que nous subissons à l’heure actuelle. »
Ce livre raconte également les multiples mesquineries administratives et l’indigne communication de l’équipe municipale auxquelles les victimes ont été confrontées. Ce communiqué de presse évoquant, dans un premier temps, les « fortes pluies » comme cause potentielle des effondrements. Ce tweet du compte officiel du maire, Jean-Claude Gaudin, se disant « effondré » après le drame, mais aussi ces courriers d’assureurs imposant le retrait de la garantie « effondrement » aux habitants de la rue d’Aubagne, sous peine de résiliation de leurs contrats.
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