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Qui consomme du CBD en France, et pourquoi ?

Tangui Barré, Inserm; Clémence Casanova, Aix-Marseille Université (AMU) et Davide Fortin, Inserm

Si vous n’avez pas suivi les rebonds judiciaires liés à l’autorisation du cannabidiol (CBD) en France, vous ignorez peut-être que cette substance dérivée du cannabis est désormais légale dans notre pays.

La justice française avait dans un premier temps interdit ce dérivé du cannabis, avant de faire machine arrière suite à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a jugé cette position illégale au motif que cette substance « n’apparaît pas avoir d’effet psychotrope ni d’effet nocif sur la santé humaine ».

Le CBD est donc légalement en vente libre en France, et les boutiques qui en proposent sont nombreuses. Mais qui sont leurs clients, pourquoi consomment-ils ce produit ?

Des effets thérapeutiques qui restent à établir

Avant tout, il faut savoir que les effets thérapeutiques du CBD ne sont pas encore solidement établis, à l’exception de son intérêt dans le cadre de la prise en charge de certaines formes d’épilepsies pharmacorésistantes (actuellement, un seul médicament au CBD, l’Epidyolex, est autorisé en France).

Ses effets indésirables à forte dose, en revanche, sont bien documentés, tout comme les risques d’interactions médicamenteuses.

Par ailleurs, les produits étiquetés « CBD » ne sont pas strictement contrôlés du point de vue de leurs constituants. De ce fait, les risques liés à la présence de contaminants de diverse nature sont à prendre en compte, qu’il s’agisse de métaux lourds, de cannabinoïdes de synthèse ou de THC (le THC, ou ?9-tetrahydrocannabinol, est la principale molécule responsable des effets psychotropes du cannabis).

Soulignons que les produits qui contiennent du CBD ne doivent pas contenir plus de 0,3 % de THC associé.

Enfin, rappelons que la voie fumée comporte des risques, notamment en raison des particules produites lors de la combustion (des travaux ont montré que la fumée d’un joint de cannabis produit trois fois plus de matière particulaire qu’une cigarette de tabac à filtre, dont la nocivité est bien établie).

Qui sont les consommateurs de CBD en France ?

Des enquêtes menées au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Canada ont établi que les usagers de CBD l’utilisent souvent dans un objectif de réduction du stress ou de l’anxiété. Nos propres travaux ont également mis en évidence ce type d’usage en France.

Nous avons également estimé que fin 2021, 69 % des adultes français avaient déjà entendu parler du CBD et que 10 % en avaient déjà utilisé (pour 3,3 %, cette utilisation avait eu lieu au moins plusieurs fois par semaine). Ces chiffres font écho à ceux de l’Institut de sondage Ifop (entre 8 % (mai 2021) et 26? % (janvier 2022)) des adultes français en ont déjà consommé.

Les utilisateurs de CBD se retrouvent préférentiellement parmi les personnes les plus jeunes, les fumeurs de tabac ou de cannabis, les personnes qui s’estiment en moins bonne santé, et celles qui accordent du crédit aux médecines alternatives.

Une fois ces facteurs identifiés, nous avons cherché à voir si des sous-groupes pouvaient être distingués, par une méthode statistique de partitionnement des données (« clusterisation »). En résumé, nous avons identifié 4 sous-groupes d’usagers du CBD correspondant à différents critères sociodémographiques (197 personnes concernées) :

  • Des personnes âgées rurales et en mauvaise santé (33 usagers) ;

  • Des hommes en difficulté financière, en mauvaise santé, usagers d’alcool (25 usagers) ;

  • Des mères éduquées en bonne santé (71 usagers) ;

  • De jeunes fumeurs (68?usagers).

Ces résultats révèlent l’existence d’une grande diversité d’usagers, probablement liée à une diversité des raisons motivant la prise de CBD. Parmi eux figure une importante proportion d’usagers de cannabis (34,2 % sont usagers de cannabis, dont 57 dans le groupe 4).

Cette situation n’est pas propre à la France. Une explication pourrait être que le CBD permettrait de contrecarrer certaines conséquences découlant de l’usage du cannabis, notamment l’anxiété ou la paranoïa. Il est intéressant de souligner que les premières preuves cliniques de la réduction du stress par le CBD ont été apportées par une étude portant sur le stress induit par le THC.

Si l’interaction entre THC et CBD a depuis été plus largement étudiée, aucune conclusion tranchée n’a pour l’instant pu être apportée quant aux effets du CBD dans un tel contexte. Cependant, les grandes lignes dessinées par ces travaux semblent aller dans le sens d’une modération des effets aigus du THC par le CBD.

Quelle relation entre usage de cannabis et usage de CBD ?

Les effets potentiels du CBD concernant la modération des conséquences de l’usage de cannabis sont particulièrement intéressants dans le contexte français. En effet, dans notre pays, l’usage de cannabis « normal », c’est-à-dire contenant du THC, est interdit et criminalisé. De ce fait, les usagers de cannabis n’ont donc accès qu’au marché noir pour se fournir.

Or, les produits qu’on y trouve contiennent des concentrations en THC de plus en plus élevées. Autrement dit, ils sont de plus en plus dangereux, car le risque d’effets indésirables augmente, notamment le risque de psychose ou d’usage problématique du cannabis (« addiction ») (sans même considérer les effets des possibles contaminations ou frelatages). L’incorporation de CBD (y compris sous forme de fleur) dans les pratiques des usagers de cannabis, notamment français, peut donc être considérée comme une stratégie de réduction des risques et des dommages.

À ce sujet, une étude menée aux États-Unis auprès d’usagers de cannabis a comparé les effets et la satisfaction liés à l’utilisation de fleurs « équilibrées » en THC et CBD comparés à l’utilisation de fleurs à dominante THC. L’usage des premières a été associé à des effets subjectifs positifs similaires à ceux des secondes. Cependant, l’emploi des fleurs « équilibrées » s’est avéré associé à moins de paranoïa et d’anxiété. Soulignons toutefois qu’une récente étude rigoureuse n’a cependant pas confirmé ces résultats. D’autres travaux ont en revanche mis en évidence que le recours à du cannabis à dominante CBD (par rapport à la dominante THC) est associé à un usage plus « thérapeutique » et à des doses ou des fréquences moindres.

Par une large enquête auprès d’usagers de CBD en France, nous avons mis en évidence que le recours au CBD, notamment sous forme fumée, pour réduire l’usage de cannabis existe dans notre pays et que les utilisateurs concernés le jugent efficace.

La question de l’efficacité du CBD dans le cadre du trouble de l’usage de cannabis a également été étudiée. Dans ce contexte, des effets préliminaires ont été mis en évidence pour des doses quotidiennes supérieures ou égales à 400 mg. Une étude française a également montré un intérêt potentiel du CBD vapé pour la réduction de l’usage de cannabis chez des personnes présentant une telle addiction.

Le temps du pragmatisme

Compte tenu notamment de ces résultats, il semble qu’il est temps de mettre en place un cadre législatif garantissant un accès à du CBD de qualité contrôlée en France.

La diffusion d’informations fiables sur le CBD est également cruciale pour accompagner au mieux ce qui ressemble fort à un engouement populaire. Cette sensibilisation doit non seulement être mise en place dans les points de vente de CBD, mais aussi auprès des soignants.

Parallèlement, une politique pragmatique d’accès aux produits à base de cannabis, dans un cadre thérapeutique, doit selon nous également être mise en place.

Associé à une collecte de données en vie réelle, un tel dispositif pourrait profiter à la fois aux patients, aux professionnels de santé, aux scientifiques et aux décideurs politiques. Dans ces conditions, il deviendrait possible de maximiser les bienfaits de ces substances et usages, tout en minimisant leurs risques.

Tangui Barré, Post-doctorant en épidémiologie et santé publique, Inserm; Clémence Casanova, Post-doctorante en santé publique, Aix-Marseille Université (AMU) et Davide Fortin, Économiste spécialisé sur le marché du cannabis - laboratoire SESSTIM, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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