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En juin 2021, le village de Miquelon vu depuis le bateau de liaison avec Saint-Pierre. Xénia Philippenko / BRGM, CC BY-NC-ND

Xénia Philippenko, BRGM

Face à la montée du niveau des océans, l’adaptation devient nécessaire et inévitable : même si nous réduisons nos contributions en gaz à effet de serre, certains mécanismes de changement sont déjà irrémédiables et nous aurons à répondre et nous adapter face à ces bouleversements.

Les outre-mer et les territoires insulaires situés en zone tropicale sont particulièrement sensibles aux conséquences du changement climatique : on pense particulièrement aux atolls des îles Marshall ou aux îles basses des Maldives dont l’existence même se trouve menacée.

S’adapter aux risques côtiers

On distingue généralement quatre attitudes face aux risques côtiers : se protéger, adapter les infrastructures et les comportements, accompagner le changement par des solutions fondées sur la nature ; enfin, déplacer les infrastructures.

Cette dernière option est souvent difficile à mettre en place techniquement, réclamant de l’expertise, des financements et un processus de concertation entre les différentes parties prenantes. Le déplacement est fréquemment mal accepté par les populations, comme on a pu le voir à Lacanau ou Gouville-sur-Mer.

Ces dernières années, les scientifiques ont toutefois insisté sur le rôle de l’acceptabilité et des perceptions pour la réussite ou l’échec de ces stratégies d’adaptation.

L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est situé au sud de l’île canadienne de Terre-Neuve. Google Map

Il existe néanmoins un village français en outre-mer, dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, non loin du Canada, où le processus de déplacement a déjà débuté, avec une mobilisation forte de la population tout au long des différentes étapes.

À Miquelon, vivre entouré par l’eau à l’heure des dérèglements climatiques

Le village de Miquelon se trouve au niveau de l’eau, sur un cordon de galet, reliant deux îles aux altitudes plus élevées : l’île du Cap et celle de Miquelon.

Les premiers habitants s’établissent ici à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle ; ce sont principalement de petits pêcheurs, installés au plus près de la mer, sur le cordon de galets. Entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui, le village se développe tout le long du littoral, jusqu’à compter 600 âmes.

Localisation du village de Miquelon dans l’archipel. Wikimedia, CC BY-NC-ND

Dans les années 2000, le changement climatique les rattrape : les évènements de submersion, de tempêtes et d’érosion se font plus fréquents, plus violents, et le village doit faire face à des dégâts de plus en plus récurrents. Dans un contexte d’élévation du niveau des mers, c’est la disparition de l’isthme, sur lequel est situé le village, qui constitue la menace principale.

En 2014, le président français François Hollande, de passage sur l’archipel, déclare que Miquelon pourrait disparaître avec la montée du niveau de la mer et annonce la mise en place d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL).

Le village de Miquelon vu d’avion. Xénia Philippenko/BRGM, 4 décembre 2018, CC BY-NC-ND

Cet outil réglementaire sert en particulier à réguler l’urbanisme en zone submersible, à travers l’interdiction de construire dans les espaces les plus vulnérables. Dans le même temps, la question du déplacement du village vers un site moins exposé commence à être évoquée. La population et les élus protestent et font entendre leur opposition.

En 2018, lors de notre première mission sur le terrain dans le cadre de nos recherches doctorales sur l’adaptation de l’archipel au changement climatique, les habitants étaient encore farouchement opposés au déplacement du village. Mais en novembre 2018, deux tempêtes successives – avec des vents dépassant les 150 km/h à l’origine de dégâts importants dans le village et d’inondations par remontée de la nappe phréatique – provoquent un retournement de l’opinion.

Reportage de France TV sur les dégâts occasionnés par la tempête du 28 novembre 2018.

Quelques mois plus tard, à l’été 2019, nous avons conduit un questionnaire auprès de 300 habitants de l’archipel pour cerner les perceptions du changement climatique et les préférences des habitants pour les solutions d’adaptation. Les résultats à Miquelon sont étonnants : 89 % des personnes interrogées se disent en faveur du déplacement du village.

Accepter la relocalisation, un premier pas vers l’adaptation

Plusieurs facteurs expliquent ce résultat. Premièrement, la mise en place du PPRL et l’interdiction de construire a alerté la population, générant parfois des tensions. Deuxièmement, les tempêtes de novembre 2018 ont rendu plus tangibles les impacts de l’élévation du niveau de la mer et du changement climatique.

Un dernier facteur a fortement joué sur l’acceptabilité du déplacement : le fort attachement des habitants à leur île les conduit à une attitude proactive. Ayant compris que rester dans le village historique ne serait pas possible à long terme, l’attachement au territoire s’est élargi à l’île de façon plus générale, orientant l’opinion vers le déplacement malgré les difficultés inhérentes à la situation.

L’attachement au territoire, au lieu d’être un frein comme c’est souvent le cas, s’est ici transformé en opportunité d’adaptation.

Où se déplacer ?

Mais si la relocalisation est globalement acceptée, le processus de déplacement va lui nécessiter du temps. Dès 2019, décideurs et habitants entament ce processus, la question principale étant : où déplacer ?

La collectivité territoriale propose un déplacement vers la presqu’île du Cap, mais celle-ci, très petite et isolée, n’a pas la faveur des habitants qui préfèrent l’île de Miquelon, plus grande et connectée à l’île voisine de Langlade. En janvier 2020, lors de la visite de la ministre des Outre-mer de l’époque, Annick Girardin, les habitants manifestent et délimitent visuellement les parcelles de terrain qu’ils souhaitent investir pour le nouveau village.

Reportage de France TV lors de la visite d’Annick Girardin en 2020.

Le nouveau maire du village, Franck Detcheverry s’inscrit au cœur du processus. Il multiplie les demandes d’aide à l’État et à la collectivité territoriale ; il réclame des solutions pour les jeunes adultes ne pouvant construire ni acheter de maison.

Entre 2019 et 2022 plusieurs actions sont menées par le maire, accompagné au fil des mois par les élus de l’archipel, la préfecture, les services de l’État et de la collectivité territoriale, ainsi que par différents groupes d’experts et de scientifiques : modification du schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme pour permettre des constructions en hauteur ; élaboration d’un programme d’action de prévention des inondations ; réunions de discussions entre décideurs et techniciens pour débattre du déplacement du village ; mobilisation des élus à l’échelle nationale ; enfin, ateliers et échanges avec la population.

Depuis fin 2021, le système d’accompagnement « Atelier des territoires » a ainsi débuté pour penser et imaginer le nouveau village : ce processus vise à favoriser l’émergence d’une stratégie de territoire en collaboration avec les acteurs locaux et avec le soutien d’une équipe d’experts, en s’appuyant sur les atouts et les dynamiques territoriales.

La relocalisation de Miquelon est donc initiée, mais doit encore faire face à de nombreux défis – financiers, législatifs, politiques, techniques et environnementaux. S’adapter nécessite d’accepter le changement, mais aussi d’avoir conscience qu’une stratégie peut mettre des décennies avant de se concrétiser. Pendant ce temps, l’élévation du niveau de la mer et ses impacts associés se poursuivent.


Ywenn De La Torre (BRGM) est co-auteur de cet article.

Xénia Philippenko, Doctorante sur l'adaptation sociétale littorale au changement climatique, BRGM

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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