La marque de luxe Guerlain s’est associée à l’Unesco pour lancer l’initiative Women for Bees dont la marraine est l’actrice Angelina Jolie (à gauche). Communiqué de presse de Guerlain
Quand le storytelling des marques se met au service de la durabilité
Laurence Dessart, Université de Liège et Willem Standaert, Université de LiègeNous sommes dans une société en mutation où les consommateurs exigent de plus en plus de produits et services représentant des valeurs et pratiques durables : en 2022, 73 % des consommateurs mondiaux indiquent que les pratiques de développement durable sont un élément clé de la marque et pour 53 %, elles ont un impact tangible sur leur choix de produits. La durabilité pose donc des challenges croissants aux entreprises, tout en leur offrant des perspectives d’abondance nouvelles.
Sous la houlette des 17 objectifs de développement durable des Nations unies, nombre d’entreprises s’efforcent donc de répercuter les attentes des consommateurs dans leur gestion stratégique et opérationnelle. Cependant, on remarque qu’améliorer leur réputation et leur image reste leur souci principal dans cette démarche de durabilité, ce qui reste pour le moins problématique. Les consommateurs ne sont pas dupes. Il est aujourd’hui important d’éviter les écueils et dérives du « greenwashing », cette pratique bien connue qui dénonce les entreprises faisant semblant d’être écoresponsables, vertes, durables ou égalitaires, mais ne le sont en réalité pas vraiment…
Des messages plus riches
Depuis quelques années, le storytelling se démarque comme technique de communication très appréciée des marques, car elle permet notamment d’affirmer leur héritage, leurs valeurs, voire même de se positionner comme icônes de changement culturel et sociétal.
Le storytelling promeut une marque au travers d’un récit qui vise à susciter une émotion. Cette mise en scène narrative permet d’offrir des messages plus riches de sens, qui permettent de convaincre de façon plus fine et sur des sujets complexes. Cette technique se prête donc particulièrement bien à la communication sur la durabilité, de par son attention à l’authenticité et aux émotions à transmettre.
Sur base d’une analyse de plusieurs cas pratiques, nous proposons dans une étude récente un plan d’action pour les entreprises désireuses de mobiliser le storytelling pour communiquer sur les aspects durables de sa marque, sur base de l’acronyme « ABCD ».
A : Acteurs
Les acteurs (ou personnages) sont un élément stratégique de tout storytelling. Sans eux, on ne peut s’identifier à l’histoire ou créer de l’empathie. Afin de créer un storytelling autour d’un sujet durable, nous recommandons de co-créer le storytelling avec les parties prenantes de l’entreprise. En impliquant les parties prenantes dans la création de l’histoire, celles-ci en deviennent les héros, permettant donc d’activer leur propre comportement durable.
Il peut s’agir de parties prenantes internes (comme chez le distributeur d’articles de sport
Les exemples actuels nous montrent que l’on peut aller beaucoup plus loin que d’impliquer uniquement les clients ou consommateurs dans notre storytelling durable, par exemple chez Unilever qui mobilise les différents partenaires de sa chaîne logistique).
B : But
Être clair sur le but du storytelling durable et le rôle que la durabilité joue en interne est clé avant de communiquer à son sujet. Qu’une entreprise soit fondamentalement durable depuis sa création (comme Houdini sportswear), qu’elle cherche à se repositionner comme plus durable qu’avant (comme
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Par exemple, la marque de biscuits Lu a mis en place un programme et une charte Harmony qui aide les agriculteurs à cultiver le blé de manière durable), toute entreprise doit (re)connaître son objectif stratégique afin de communiquer de façon authentique dans son storytelling.
Autre exemple Guerlain, une société de LVMH, a mis en place le programme Women for Bees, en partenariat avec l’Unesco en 2021. Ce programme correspond au symbole de leur marque depuis 1853, l’abeille, et met en lumière à quel point cet animal en voie de disparition est clé pour la biodiversité et donc aussi pour les ingrédients utilisés par Guerlain. Cette vidéo raconte l’histoire d’une apicultrice au Cambodge, qui reçoit la visite de l’actrice et philanthrope Angelina Jolie, marraine du programme.
C : Contexte
La durabilité n’est malheureusement pas un sujet facile à aborder, ni particulièrement attrayant (il demande souvent sacrifices, changements de faire, ou de penser). Ainsi, afin de rendre le sujet plus attrayant, nombre de marques abordent la durabilité sur un fond agréable, attrayant, voire même inspirant. Utiliser un contexte inspirant est donc une technique validée pour communiquer sur la durabilité. Le contexte apporte par ailleurs profondeur et richesse au storytelling, renfonçant encore l’aspect authentique et vraisemblable de la communication.
Dans les exemples forts dénichés récemment, on notera l’utilisation de contextes passionnants tels que l’espace, les sports ou encore l’architecture. L’éditeur de logiciel français Dassault Systèmes a ainsi développé un projet qui imagine à quoi pourrait ressembler la construction de la tour Eiffel aujourd’hui avec des pratiques durables. Un autre exemple inspirant est la chaîne d’hôtels Hilton qui a profité du 50e anniversaire du célèbre John Lennon et Yoko Ono Bed-In for Peace pour lancer une série de vidéos intitulée Room 702, faisant référence au numéro de la chambre où cela a eu lieu à Amsterdam.
D : Diffusion
Le dernier axe de décision pour un storytelling durable réussi concerne les canaux de diffusion. Choisir des canaux appropriés peut décupler l’impact positif du storytelling, ou à l’inverse le diminuer s’ils sont mal choisis. Certains canaux de communication seront plus technologiques, parfois complètement virtuels grâce à la réalité étendue ou un environnement de jeu.
Par exemple, H&M a créé un environnement dans le jeu populaire Animal Crossing pour inciter les (jeunes) consommateurs au recyclage. D’autres profiteront d’interactions locales où la co-création de l’histoire permet un impact direct sur le terrain. Par exemple, Schneider Electric met en place une plate-forme qui permet aux volontaires de rejoindre des projets locaux de développement durable.
Dans d’autres situations, le média choisi aura un impact moindre sur la durabilité en pratique, mais permettra peut-être d’éveiller plus de consciences. Par exemple, Guerlain, à nouveau, organise une exposition de photos qui soutient leur engagement pour la protection de la biodiversité.
En résumé, le storytelling est une technique permettant, grâce à ses caractéristiques, d’engager les parties prenantes d’une entreprise autour des sujets de durabilité de façon créative, collaborative et inspirante. Il est néanmoins à noter que les intentions stratégiques de l’entreprise doivent être cohérentes avec ses pratiques internes et valeurs profondes avant de s’engager dans ces pratiques de communication.
Laurence Dessart, Professeur de marketing, Université de Liège et Willem Standaert, Associate Professor, Université de Liège
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.