Quand boire des Pixels devient possible

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Capture d'écran du jeu proposé avec l'achat d'une canette de soda. YouTube

Quand boire des pixels devient possible

Kenza Marry, Université de Caen Normandie

Tandis que l’on assiste à l’avènement des métavers et des NFT, les frontières entre le monde digital et le monde matériel se brouillent davantage avec le lancement début mai d’une édition limitée de Coca-Cola au « goût de pixels » : le Coca-Cola Byte. Selon la marque, le produit « invite à explorer le goût que pourraient avoir les pixels avec une expérience Coca d’une nouveauté rafraichissante nouveauté tout en étant délicieusement familière ». Ainsi, pour la somme de 14,77 dollars, il est possible de s’offrir deux canettes de la boisson et un sticker « commémoratif » (terme employé par la marque sur son site).

Quel est le goût d’un pixel ?

Selon le site de la marque, le soda propose une expérience gustative offrant « une mise en bouche lumineuse évoquant le démarrage d’un jeu vidéo suivie d’un goût rafraîchissant qui en fait un parfait compagnon de jeu ». Le ton est donné : la boisson s’adresse aux adeptes des jeux vidéo et adopte les codes et le vocabulaire du « gaming ».

L’achat du coffret donne accès à un mini-jeu en réalité augmentée développé pour l’occasion et le lancement s’accompagne d’un espace aux couleurs du produit crée dans le jeu Fortnite. De façon plus empirique, le Coca-Cola Byte propose un goût proche de son plus classique cousin, le Coca Zero, tout en étant plus pétillant.

Ce lancement de produit, aussi intrigant soit-il, relève avant tout d’une démarche marketing. Coca-Cola s’approprie le langage et les codes du digital pour s’adresser à une cible (vraisemblablement celle des gamers) et s’en attirer les faveurs. Il n’est évidemment pas réellement question de connaître soudain le goût des pixels mais de découvrir l’interprétation que la marque en fait dans le cadre d’une opération marketing. Pourtant, le simple fait qu’une marque envisage « le goût des pixels » comme une proposition attrayante et compréhensible ne peut que nous interroger sur les frontières entre le monde digital et le monde matériel.

Hybridation du monde digital et du monde matériel

En donnant la possibilité de « goûter des pixels », le Coca-Cola Byte illustre une hybridation dans les codes du digital et de la matérialité. On observe en effet un nombre croissant d’incursions d’un monde dans l’autre et la frontière entre les deux semble plus poreuse que jamais.

Avec le développement de la présence d’Internet dans nos vie quotidiennes s’est mise en place une digitalisation croissante d’éléments jusqu’alors matériels. C’est notamment ce que l’on nomme la consommation virtuelle digitale (Digital Virtual Consumption), qui nous a amenés à remplacer peu à peu nos albums de photos de famille par des dossiers sur nos ordinateurs, nos collections de DVDs par des fichiers de films, puis des abonnements à des plates-formes de streaming et même nos relevés bancaires par des e-mails.

Jusque récemment, ces objets digitaux étaient considérés comme ayant fondamentalement moins de valeur que des objets matériels. Le développement rapide et massif du phénomène des jetons non fongibles (non-fungible tokens, ou NFT) vient profondément remettre en question cette hypothèse d’une valeur toujours inférieure des objets digitaux. En garantissant à l’objet digital une unicité et en lui accordant le statut d’œuvre d’art, les NFT donnent à des objets digitaux une valeur (symbolique et monétaire) bien supérieure à certaines œuvres d’art bien matérielles.

Mais la digitalisation ne passe pas seulement par la transformation d’objets matériels en objets digitaux. On observe également l’intervention du digital au sein même du monde matériel, par le biais de la réalité augmentée notamment, qui en transforme la perception. On se souvient par exemple du phénomène de Pokémon Go qui a pris une ampleur inattendue pendant l’été 2016 (et qui, malgré un net ralentissement, bénéficie encore aujourd’hui d’une large communauté d’adeptes) en amenant des millions de personnes, dans le monde entier, à guetter l’apparition de créatures virtuelles dans des lieux bien réels, à travers l’objectif révélateur de leur smartphone. Ainsi, avec la réalité augmentée, des éléments virtuels apparaissent sous nos yeux, dans le monde matériel. Dans un esprit similaire, il est aujourd’hui possible de se rendre dans une boutique physique pour réaliser des achats virtuels.

L’entreprise Meta a ainsi ouvert un Meta Store début mai en Californie pour permettre aux utilisateurs du métavers Horizon World lancé par la maison mère de Facebook d’acheter des accessoires virtuels pour leurs avatars.

Goûter à l’immatériel

Le Coca-Cola Byte, lui, va à l’encontre de ces deux types d’hybridation du monde digital et du monde matériel. Jusque-là, il a été question de digitaliser le monde matériel ou d’importer le digital en son sein. Avec ce lancement de produit, la marque propose une tout autre démarche : celle de rendre le digital sensible, de lui donner une dimension sensorielle.

En offrant aux consommateurs et consommatrices de goûter à l’immatériel, Coca-Cola propose une expérience de brouillage sensoriel et de matérialisation du digital. Certes, il s’agit avant tout d’une démarche commerciale mais il est aussi possible d’y voir les éléments d’un questionnement plus profond. Digital, virtuel, immatériel, numérique versus physique, réel, matériel, analogue… Est-il encore pertinent de penser ces deux mondes comme étant opposés ? Il convient peut-être aujourd’hui de repenser ces concepts pour mieux en saisir la porosité et les nombreuses hybridations.The Conversation

Kenza Marry, Docteure en sciences de gestion - Laboratoire NIMEC, Université de Caen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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