Poids des cartables, sanitaires : l’école néglige-t-elle le bien-être physique des élèves ?

France
The Conversation

Poids des cartables, sanitaires : l’école néglige-t-elle le bien-être physique des élèves ?

Claude Lelièvre, Université Paris Cité

La prise en compte du corps des élèves est trop souvent négligée dans l’école française comme le montrent entre autres l’état des toilettes scolaires, mis en cause régulièrement depuis des dizaines d’années, tout comme le poids excessif des cartables au collège. En cette rentrée scolaire 2023, on a pu entendre une nouvelle fois cette double mise en cause ô combien récurrente et significative.

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal s’est prononcé en faveur de la diminution de moitié du poids des cartables début septembre : « Je veux avancer sur ce sujet pendant cette année avec les représentants des enseignants, des personnels de direction, les collectivités locales », a-t-il déclaré sur M6.

Le numérique pour alléger les cartables ?

Les propos du ministre à la veille de la rentrée ne sont pas sans rappeler la circulaire du 11 janvier 2008 parue sous le ministère de Xavier Darcos :

« Le poids moyen d’un cartable est encore de 8,5 kilos, ce qui correspond à environ 20 % du poids de l’enfant. C’est pourquoi je vous demande d’agir et de trouver sans délai des solutions concrètes afin de diviser, sous brève échéance, le poids du cartable par deux. »

C’était il y a quinze ans. Et une note ministérielle du 17 octobre 1995 avait déjà indiqué que le poids du cartable d’un élève ne devait pas dépasser 10 % de son poids…

À la rentrée 2009, le ministère de l’Éducation nationale expérimente dans douze académies l’utilisation de manuels scolaires via l’espace numérique de travail (ENT) du collège. La circulaire du 16 mars 2010 demande aux recteurs d’« accélérer le développement du numérique à l’école » . Celle du 31 juillet 2012 a établi une liste de fournitures scolaires recommandées ayant pour objectif de réduire le coût de la rentrée et d’alléger le poids du cartable. Et il a été recommandé que l’ensemble des mesures destinées à alléger le poids du cartable soit mis à l’ordre du jour du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté dans chaque établissement scolaire .

Le poids des cartables, le poids des maux (Franceinfo INA, 2020)

Dix ans plus tard, en dépit des mises en garde des personnels de santé sur les risques encourus par les corps des élèves, le poids des disciplines accumulées avec leurs exigences spécifiques reste sur le dos des élèves. Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a préconisé de « jouer » sur les fournitures, sur les manuels, sur le numérique, sur les casiers dans les établissements. Dans les faits, le souci « instructif » l’a jusqu’ici emporté quasiment sans partage aux dépens du bien-être, comme si le souci réel du corps de l’enfant relevait du « supplément d’âme ».

Le tabou des toilettes scolaires

Mutatis mutandis, il en est de même pour ce qui concerne la question sensible, mais pour l’essentiel inchangée, des sanitaires scolaires. Une tribune collective signée par des élus, des représentants de parents, d’entreprises, d’associations et de spécialistes de l’enfance a sonné une nouvelle fois l’alerte dans Le Figaro du 27 août 2023 sous le titre « L’hygiène et la sécurité des toilettes scolaires relèvent des droits les plus essentiels des enfants ». Les signataires indiquent que le problème n’est certes pas nouveau, mais qu’il y a une prise de conscience récente quant à l’urgence de la situation. Acceptons-en l’augure :

« Nos enfants subissent une situation qu’aucun adulte ne serait prêt à endurer dans un environnement personnel ou professionnel. L’hygiène et l’usage des toilettes à l’école sont autant un sujet de santé publique que d’éducation, de sécurité et d’aménagement des espaces […] La situation appelle une réponse collective, massive et urgente pour améliorer le bien-être de tous les enfants de la République. »

En 2019, Essity, acteur de l’hygiène et de la santé, a mené avec l’IFOP une étude auprès de 500 enfants âgés de 6 à 11 ans. Il en ressort qu’un élève sur deux se retient d’aller aux toilettes en milieu scolaire, alors même que l’Association française d’urologie préconise d’aller uriner au moins toutes les trois heures au risque de développer, entre autres pathologies, des infections urinaires. L’étude d’Essity met en avant trois facteurs explicatifs de cette situation qui perdure :

  • le fait que la question des toilettes à l’école demeure un sujet tabou ;

  • l’absence de responsabilité claire et partagée concernant l’hygiène et la sécurité des toilettes ;

  • enfin (et sans doute surtout) la sous-estimation de la situation vécue par les enfants.

En 2006, après enquête, la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale écrivait :

« Ce qui existe partout en matière d’hygiène dans tous les lieux de travail et dans tous les lieux publics est absent dans nombre d’écoles… Ce qui serait intolérable pour des adultes est trop souvent accepté pour des enfants. »

Il y a 20 ans déjà, dans Le Parisien du 18 novembre 2003, Philippe Meirieu déclarait :

« Notre société exalte le corps, mais est incapable de reconnaître ses fonctions primordiales […] Il n’y a qu’un seul lieu où l’hygiène et le mépris de l’intime sont aussi choquants : c’est la prison. »

L’éducation physique, différente de la compétition sportive

On exalte en effet le corps, mais lequel ? On le voit bien en pleine préparation de l’accueil des Jeux olympiques à Paris dans moins d’un an. Il y est moins question de l’« éducation physique » du corps des enfants que de l’exaltation des « performances sportives ».

Comme il est indiqué sur le site du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le programme 30 minutes d’activité physique quotidienne est généralisé depuis septembre 2022 dans les écoles primaires du pays. Il est mis en valeur que l’accompagnement de ce dispositif transformateur constitue l’une des priorités des feuilles de route du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques et aussi du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. « Cette mesure s’inscrit dans la construction d’une Nation sportive » est-il dit. Et tout est dit.

Et que peut-on dire aussi, en point d’orgue, de la médecine scolaire ? De l’avis quasi général, elle est foncièrement sinistrée. Mais qui s’en soucie vraiment ? À l’école, tout semble se passer comme si les élèves n’avaient pas vraiment de corps, ou si peu.

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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