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Nausées de grossesse : les causes mieux comprises, des espoirs de traitement
Sam Lockhart, University of Cambridge et Stephen O'Rahilly, University of CambridgeLes maux qui surviennent pendant la grossesse, ou hyperémèse gravidique, sont fréquents et toucheraient sept femmes sur dix à un moment ou à un autre de leur grossesse. Mais jusqu'à récemment, on ne savait pas grand-chose sur les mécanismes à l'œuvre.
(On parle d’hyperémèse gravidique quand les nausées et vomissements au cours de la grossesse atteignent une certaine gravité, ndlr).
De nouvelles recherches menées par notre équipe ont montré que la sensibilité à une hormone produite en abondance quand la grossesse se met en place, le GDF15, contribue au risque de souffrir de ces maux de la grossesse.
Cette maladie peut affecter la qualité de vie des femmes enceintes, même dans les situations dites bénignes. Entre 1 et 3 % des femmes souffrent d'une forme sévère de maux de grossesse. Les nausées et les vomissements sont si importants que les femmes perdent du poids ou se déshydratent, voire les deux. Selon une étude, cette maladie était la raison la plus fréquente pour laquelle les femmes étaient admises à l'hôpital au cours des trois premiers mois de leur grossesse.
Cette maladie est associée à des grossesses dont l'issue est plus mauvaise et ses effets se prolongent au-delà de la fin de la grossesse, certaines femmes faisant état d'une détresse psychologique et hésitant à concevoir à nouveau.
Le fait qu'elle apparaisse au début de la grossesse et qu'elle disparaisse invariablement quand celle-ci s'achève suggère fortement que la cause de cette maladie est liée au développement de la grossesse. Mais les détails permettant de comprendre comment et pourquoi cette maladie se déclare sont restés insaisissables. Ce manque de compréhension rend difficile la mise au point de traitements et contribue sans doute à la stigmatisation considérable associée à cette maladie.
GDF15
Le GDF15 est une hormone qui supprime la prise alimentaire chez la souris en agissant, probablement exclusivement, sur un petit groupe de cellules à la base du cerveau qui sont également connues pour induire des nausées et des vomissements. À ce titre, des recherches ont été menées autour du GDF15 dans l'éventualité d'y recourir dans le traitement de l'obésité.
Les premiers essais chez l'être humain ont confirmé que cette hormone supprime l'appétit. Ils ont montré qu'elle provoque également des nausées et vomissements. On sait depuis longtemps que le GDF15 est abondant dans le placenta humain et qu'il est présent à des concentrations très élevées dans le sang des femmes enceintes en bonne santé. Ces facteurs en font une cause plausible des maux de la grossesse, mais nous manquons d'éléments de compréhension précis pour dire si le GDF15 affecte la gravité des maux de grossesse.
Nous avons utilisé diverses méthodes pour étudier comment le GDF15 augmente le risque de survenue de maux de grossesse. Nous avons mesuré le GDF15 dans le sang de femmes enceintes qui se rendaient à l'hôpital soit parce qu'elles souffraient de maux de grossesse, soit pour d'autres raisons.
Nous avons constaté que les femmes souffrant de maux de grossesse présentaient effectivement des niveaux plus élevés de GDF15. Même si cela est lié au fait que le GDF15 contribue à la maladie, les niveaux de GDF15 dans chaque groupe se chevauchaient considérablement. Cela suggère que des facteurs autres que la quantité absolue de GDF15 produit quand la grossesse se développe pourraient déterminer le risque de maladie.
Les variations naturelles de l'ADN des futures mères contribuent au risque de survenue de maux de grossesse. Des études antérieures ont identifié les modifications de l'ADN à proximité de la protéine GDF15 comme étant les principaux facteurs déterminant le risque de survenue de maux de grossesse. En particulier, une mutation génétique rare (présente chez environ une personne sur 1 500), qui affecte la composition de la protéine GDF15 dans le sang, a un effet important sur ce risque.
(GDF15, comme beaucoup d'hormones, fait partie de la famille des protéines. La synthèse des protéines s'opère à partir d'une information génétique présente sur l'ADN localisée dans le noyau des cellules. Une variation, appelée aussi mutation, au niveau de cette information génétique va modifier la protéine qui en résultera, ndlr).
Pour comprendre l'impact potentiel de ce variant génétique (c'est-à-dire de cette mutation génétique rare, ndlr) sur les niveaux de GDF15 dans la circulation sanguine, nous avons étudié ses effets sur la protéine dans des cellules cultivées en laboratoire.
Nous avons découvert que la molécule GDF15 mutée restait bloquée à l'intérieur des cellules. Qui plus est, elle se colle à la GDF15 «normale» et l'emprisonne, ce qui crée un double effet qui entrave le transport de la GDF15 hors des cellules. Les personnes en bonne santé qui présentent cette mutation ont des taux de GDF15 nettement inférieurs dans le sang, ce qui est conforme à ces résultats.
Nous avons découvert que les modifications de l'ADN à proximité de GDF15, que l'on retrouve chez environ 15 à 30 % des personnes, réduisent les niveaux d'hormone présents. Ces modifications augmentent légèrement le risque de souffrir de maux de grossesse. À l'inverse, chez les femmes atteintes d'une maladie du sang appelée thalassémie, qui ont des niveaux très élevés de GDF15 tout au long de leur vie, on relève beaucoup moins de nausées et de vomissements pendant la grossesse.
Une feuille de route pour un traitement
La conclusion de notre étude est claire : une prédisposition à des niveaux plus élevés de GDF15 en dehors de la grossesse réduit le risque de souffrir de maux de grossesse une fois enceinte. À première vue, cela laisse perplexe, car comment le fait d'avoir des niveaux plus élevés d'une hormone qui vous rend malade peut-il protéger contre les nausées de la grossesse ?
En fait, plusieurs systèmes hormonaux présentent un phénomène similaire à la mémoire dans lequel la sensibilité à une hormone est influencée par une exposition antérieure à cette hormone. Cela semble être l'explication la plus plausible pour comprendre nos résultats. Ce qui supporte cette théorie est le fait que des souris présentant des niveaux élevés et persistants de GDF15 dans leur circulation sanguine ont relativement peu réagi à une augmentation aiguë des niveaux de GDF15.
Nos résultats suggèrent que des niveaux plus faibles de GDF15 avant la grossesse entraînent une hypersensibilité des femmes à des quantités élevées de GDF15 libérées quand la grossesse se développe. Il existe donc deux approches évidentes pour le traitement de cette pathologie : désensibiliser les femmes au GDF15 en augmentant ses niveaux avant la grossesse ou bloquer son action pendant la grossesse.
Le défi consiste maintenant à développer et à tester des stratégies, permettant d'atteindre ces objectifs, qui se révèlent sûres et acceptables pour les femmes exposées à cette maladie invalidante.
Sam Lockhart, Wellcome Trust Clinical PhD Fellow, Institute of Metabolic Science and Medical Research Council Metabolic Diseases Unit, University of Cambridge et Stephen O'Rahilly, Professor and Co-Director of the Institute of Metabolic Science and Director of the Medical Research Council Metabolic Diseases Unit, University of Cambridge
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.