Six milliards d’euros, c’est le chiffre que le gouvernement veut que les Français retiennent à l’issue de la présentation du budget 2019, lundi 24 septembre. Il correspond aux baisses d’impôt prévues pour l’année prochaine et a été répété à l’envi ces derniers jours par la majorité. Mais cette estimation est déjà contestée par des membres de l’opposition et par certains observateurs. D’où vient-elle ? A quoi correspond-elle réellement ?
Ce qu’on entend
Invité de LCI lundi 24 septembre, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, Julien Denormandie, a mis en avant l’argument phare du gouvernement pour défendre son prochain budget :
« Dans le budget [2019], c’est 6 milliards d’euros de diminution d’impôt pour les Français. »
Cette opération de communication du gouvernement est contestée par d’autres personnalités politiques. « Ça me fait hurler de rire », a ainsi ironisé Nicolas Dupont-Aignan
POURQUOI C’EST DISCUTABLE
1. Le gouvernement a bien compté les baisses et les hausses d’impôt
Pour arriver à ce chiffre de 6 milliards d’euros de diminution des impôts, le gouvernement a compté deux choses :
- les baisses d’impôt, pour un total estimé de 9 milliards d’euros : il s’agit principalement de la deuxième partie de la suppression de la taxe d’habitation (- 3,8 milliards) et de la baisse des cotisations salariales (- 4 milliards) ;
- les hausses d’impôt, pour un total estimé de 3,1 milliards d’euros : il s’agit des hausses de la fiscalité sur l’énergie, notamment sur les carburants, pour 1,9 milliard, ainsi que de la hausse des prix du tabac (0,4 milliard) et du « recentrage » du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), dont l’enveloppe sera réduite de 0,8 milliard.
3 milliards de hausses d'impôts contre 9 milliards de baisses dans le budget 2019
Contrairement à ce qu’a affirmé Nicolas Dupont-Aignan sur France 2, les hausses d’impôt, notamment sur les prix des carburants, sont donc bien prises en compte dans le calcul gouvernemental.
On notera également qu’il n’est pas incohérent qu’une baisse des cotisations salariales de 4 milliards d’euros soit comptabilisée dans l’exercice budgétaire de 2019. La diminution des cotisations a été planifiée en deux temps en 2018 (une petite partie en janvier, la majeure partie en octobre), alors que la contribution sociale généralisée (CSG) — dont la hausse doit compenser ces baisses de cotisations — a été augmentée en une fois au début de l’année.
Ce décalage fait que la « bascule » de charges avait été comptabilisée comme une hausse d’impôt en 2018, parce que c’est surtout l’effet négatif de la réforme qui était entré en vigueur. Mais il compte à l’inverse comme une baisse d’impôt équivalente en 2019, du fait que la hausse de la CSG sera désormais compensée. Sur la fiche de paie des personnes concernées, en revanche, la différence se verra à partir d’octobre 2018 et pas de l’année prochaine.
2. Un chiffrage cohérent avec celui de l’OFCE
Certes, le chiffre de 6 milliards d’euros n’est qu’une prévision, l’effet réel de certaines mesures étant toujours difficile à anticiper. Mais il n’a rien d’incohérent. Lorsqu’on le compare avec l’étude publiée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, un organisme de prévision et d’évaluation des politiques publiques) le 20 septembre sur le budget 2019, on s’aperçoit qu’à périmètre égal les conclusions sont sensiblement les mêmes.
Là où le gouvernement a compté 9 milliards de baisse d’impôt et 3,1 milliards de hausse, l’OFCE aboutit de son côté respectivement à 9,6 et à 3,4 milliards. Dans les deux cas, la différence entre les mesures favorables et défavorables aux contribuables est d’environ 6 milliards à l’arrivée.
« Il n’y a pas de désaccord majeur sur ce plan, nous confirme Pierre Madec, économiste à l’OFCE, bien que les chiffrages précis diffèrent sur certaines mesures. La vraie question, c’est de savoir si l’on parle uniquement des baisses d’impôt ou si l’on s’intéresse à l’ensemble des mesures qui ont un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages. »
3. Un pouvoir d’achat en partie plombé par des mesures non fiscales
C’est précisément ce qu’a fait l’OFCE pour aboutir au chiffre d’une hausse de pouvoir d’achat de 3,5 milliards d’euros liée aux arbitrages du budget 2019. Un décalage qui s’explique par une série de mesures qui ne sont ni des hausses ni des baisses d’impôt, mais qui joueront bel et bien sur le budget de millions de Français.
Certaines leur seront favorables, comme les revalorisations de prestations sociales : la prime d’activité (+ 1 milliard), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (+ 0,2 milliard), l’allocation pour adulte handicapé (+ 0,5 milliard). Mais aussi une batterie de mesures ciblées comme le chèque énergie ou la garantie jeune, chiffrées par l’OFCE à 0,3 milliard d’euros.
Par contre, d’autres mesures gréveront le pouvoir d’achat des Français. Ainsi, la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL) représente une perte de 1,2 milliard d’euros. Surtout, la désindexation de l’inflation des retraites et des prestations familiales, qui devraient augmenter moins vite que les prix, représenterait une perte de pouvoir d’achat de 3 milliards d’euros, estime l’OFCE.
Comme l’a noté Nicolas Dupont-Aignan, ces mesures ne sont pas comptées dans le chiffrage du gouvernement, puisqu’il ne s’agit pas d’impôts. Mais elles représenteront, à l’arrivée, 2,3 milliards d’euros de pouvoir d’achat en moins pour les contribuables, selon l’OFCE. Voilà pourquoi l’organisme de prévision table sur une hausse du pouvoir d’achat de 3,5 milliards d’euros en 2019. Et encore : cette hausse sera de surcroît minorée par la hausse des cotisations des complémentaires retraites Agirc-Arrco décidée par les partenaires sociaux, qui représentera 1,8 milliard d’euros. Si l’on tient compte de tous ces facteurs, la hausse du pouvoir d’achat ne serait plus que de 1,7 milliard d’euros.
Il faut garder à l’esprit que les différentes décisions du gouvernement feront des gagnants et des perdants. « Derrière les chiffres d’ensemble se cachent des transferts très importants, par exemple chez les retraités », note Pierre Madec. Ainsi, ceux qui verront leurs pensions de retraite progresser moins vite que l’inflation en 2019 ressentiront une nouvelle perte nette de pouvoir d’achat, tandis que les plus modestes bénéficieront d’une deuxième hausse du minimum vieillesse.
En résumé, le chiffre de 6 milliards d’euros de baisse d’impôt avancé par le gouvernement correspond bien à une réalité. En revanche, il ne prend pas en compte toutes les mesures qui joueront sur le pouvoir d’achat des Français en 2019.
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