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Entre 2007 et 2010, l’immeuble « Berges de Seine », à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), fait régulièrement l’objet de dégradations. Certains logements de cette résidence de services pour jeunes et étudiants, livrée en 2000, sont en effet squattés, et font l’objet d’un vaste trafic de stupéfiants.

La porte principale de l’immeuble est détruite, le 2 août 2010. Malgré les demandes du conseil syndical de la copropriété, le syndic ne la fait pas remplacer immédiatement – elle ne le sera qu’un an plus tard. Le 24 décembre 2010, le local des boîtes aux lettres est vandalisé; le 3 mars 2011, les parties communes sont incendiées; le 11 juin 2011, c’est la laverie qui brûle.


Lien de cause à effet

Le 29 mars 2012,  le syndicat des copropriétaires assigne devant le tribunal de grande instance de Nanterre le cabinet Nexity Lamy, qui a été son syndic du 1er décembre 2007 au 30 juin 2011. Il demande qu’il soit condamné à lui rembourser le montant des travaux qui ont dû être entrepris à la suite de ces trois sinistres, soit 850 000 euros.

Il reproche au syndic de ne pas avoir fait procéder de sa propre initiative à l’exécution des travaux qui étaient nécessaires à la sauvegarde de l’immeuble, comme l’y autorise l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Il estime qu’en ne remplaçant pas la porte en urgence, il a rendu possibles ces trois actes de vandalisme.


Contexte et obligation de moyen

Le syndic Nexity Lamy assure qu’il n’a pas manqué à son obligation de moyens, eu égard au contexte dans lequel il est intervenu : la résidence ne respectait pas les normes de sécurité et d’incendie; elle était squattée; elle a été l’objet de très nombreux actes de vandalisme, depuis mars 2010 : dégradation de la loge du gardien, tags sur les paliers et les ascenseurs, vol dans un logement, cambriolage du local des vigiles par percement d’un mur mitoyen, agression des vigiles, par arme blanche et arme à feu, d’où la démission de deux d’entre eux…

Le cabinet Nexity Lamy rappelle que, dès son arrivée, il a fait voter les travaux les plus urgents, sur les recommandations d’un architecte (sécurité incendie, ascenseur, réparation de serrures cassées), et installé des vigiles, en plus du gardien. Qu’il est intervenu auprès des services de la police et de la ville, mais qu’il ne pouvait redresser la barre seul. Il déplore que l’assemblée générale des copropriétaires ait refusé en janvier 2010 de voter l’installation de caméras de surveillance et en mars 2011 la construction d’un mur devant la laverie, comme il le lui demandait.

Le syndic assure que le syndicat ne fait la preuve ni de son préjudice (certaines sommes qu’il réclame n’étant pas liées aux incendies mais aux travaux effectués à la suite de la prise d’ un arrêté de péril), ni d’un lien de causalité entre les sommes qu’il réclame et son intervention.


Manquement, mais rejet

Le tribunal, qui statue le 30 mai 2014, considère que « le syndic a manqué à son obligation de moyens dans la garde et l’entretien de l’immeuble, et que ces manquements ont contribué à la réalisation de certains des préjudices allégués, dans une proportion qu’il convient de fixer à 50% ». Il le condamne à payer la somme de 22 000 euros, correspondant à 50% des premier et troisième sinistres, seulement. Il rejette les demandes du syndicat concernant l’indemnisation du deuxième sinistre, à hauteur de 670 000 euros. [Rappelons qu’en cliquant sur les liens de ce blog, vous pouvez accéder aux jugements de Doctrine].

Le syndicat et le syndic font appel, pour des raisons opposées. La cour d’appel de Versailles, qui statue le  6 février 2017, juge à son tour que le fait de ne pas avoir remplacé la porte au plus vite constitue un « manquement aux obligations de conservation et de garde », et que « ce manquement a facilité les deux actes de vandalisme reprochés » (décembre 2010 et juin 2011).

Toutefois,  ajoute-t-elle : « Des dégradations existaient déjà avant la prise de fonction, le syndic n’est pas à l’origine de la venue des squatters qu’il a été nécessaire d’expulser jusqu’en mars 2011, il a fait voter immédiatement les premiers travaux, la présence de squatters rendaient difficile le vote de travaux importants, l’assemblée générale a refusé de voter en janvier 2010, l’installation de caméras de surveillance et en mars 2011, des travaux visant à mettre des barreaux et à poser un mur devant la laverie. Enfin, le cabinet Nexity Lamy a assuré une liaison avec les services de la ville et de la police qui étaient devenus les seuls compétents pour reprendre la situation.
Le cabinet, tenu à une obligation de moyen, a fait de nombreuses diligences, mais la situation ne pouvait être traitée efficacement sans l’intervention des services de la ville et de la police, du fait du vandalisme par les squatters et quelques locataires au sein de l’immeuble et par des éléments extérieurs à ce dernier. »
Elle confirme le jugement.


Responsabilité et indemnisation

Le syndicat se pourvoit en cassation. Il soutient que la cour d’appel aurait dû chercher à savoir si la faute du syndic avait permis l’incendie du 3 mars 2011, auquel il impute les travaux de réhabilitation dont il demande le remboursement. Faute de quoi, elle a privé sa décision de base légale, au regard des articles 1147 (ancien)  et 1992 du code civil et de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.

La Cour de cassation lui donne raison, le 13 septembre (2018), et casse l’arrêt d’appel sur ce point. Elle renvoie les parties devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.

Les Editions Francis Lefebvre,qui commentent son arrêt, expliquent que « le syndic doit faire procéder aux travaux urgents de sa propre initiative », en vertu de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 . En cas d’urgence, « il a l’obligation d’agir avant même la convocation de l’assemblée générale (…) Il doit toutefois en informer les copropriétaires et convoquer immédiatement une assemblée ».
Il s’agit là d’une confirmation de jurisprudence :  la responsabilité du syndic est « régulièrement engagée pour manquement à son obligation de faire procéder à des travaux urgents (Cass. 3e civ. 28-1-2016 n° 14-24.478 ; Cass. 3e civ. 6-7-2017 n° 16-18.950)».

Le syndic de copropriété devra indemniser l’incendie, si celui-ci est considéré comme la conséquence de l’absence de porte de l’immeuble; la cour d’appel de Versailles ne pouvait rejeter la demande d’indemnisation du syndicat, quelles que soient les autres diligences faites par le syndic. 


Lire la suite : Le syndic de l’immeuble aurait dû faire réparer la porte en urgence


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