Editorial du « Monde ». Tout homme politique qui a maille à partir avec la justice a tendance à voir dans sa mise en cause un complot ourdi contre le combat qu’il mène. A ce jeu de défense, les tribuns excellent. A chaque ennui judiciaire, des personnalités comme Marine Le Pen ou Patrick Balkany invoquent le peuple contre les juges pour tenter de rebondir aussi loin qu’ils le pourront. Mais, pour fonctionner, ce mode de défense suppose de ne pas franchir certaines limites.
Or, Jean-Luc Mélenchon a d’emblée opté pour l’outrance en transformant sa comparution devant le tribunal correctionnel de Bobigny, jeudi 19 et vendredi 20 septembre, en une lourde charge contre la justice. Le leader de La France insoumise avait à répondre « d’actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation » commis lors de perquisitions menées le 16 octobre 2018 au siège de son parti. Avec plusieurs proches, il avait tenté de s’opposer au travail des enquêteurs et contraint les magistrats à écourter les opérations en hurlant : « Vous ne me touchez pas ! La République c’est moi. »
Fuite en avant
Plutôt que de plaider le coup de sang malencontreux, l’« insoumis » n’a cessé de faire monter les enchères, dans le but d’accréditer la thèse selon laquelle les deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris, l’une liée à des soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen, l’autre aux comptes de sa campagne présidentielle de 2017, seraient le fruit d’un complot politique destiné à l’abattre, lui qui prétendait être le premier opposant à Macron. A l’entendre, la justice serait aux ordres, la garde des sceaux « chargée d’assurer le spectacle » et lui victime « d’un procès politique ».
Mais, pour soutenir une telle charge, il faut un minimum de preuves. Le chef de La France insoumise n’en a produit aucune, mettant en avant des « violences policières » commises lors des manifestations des « gilets jaunes » ou la noyade non élucidée du jeune Steve Maia Caniço, lors de la Fête de la musique, à Nantes.
Dans la foulée, il théorise l’irruption en France du « lawfare » qu’il définit comme « une instrumentalisation délibérée de la justice et de la police par le pouvoir pour atteindre un but d’élimination politique d’un adversaire ».
Durant l’été, il rend visite à l’ancien président du Brésil Lula, emprisonné pour corruption alors qu’il était candidat déclaré à l’élection présidentielle, cosigne avec lui et d’autres responsables de gauche une déclaration mettant à nu ce processus pernicieux qui, de « dénonciations sans preuves » en « obsédantes campagnes de dénigrement médiatiques », conduit « à la prison, aux amendes » et à « des élections faussées ».
La comparaison apparaît tellement outrancière qu’elle peine à convaincre au-delà du petit carré de ses fidèles. Elle n’en est pas moins fondamentalement dangereuse par la remise en cause de l’Etat de droit qu’elle sous-tend. A l’issue du procès, trois mois de prison avec sursis ont été requis contre Jean-Luc Mélenchon. « Tout ce souk pour ça ! », s’est-il exclamé. On peut lui retourner la remarque, car sa fuite en avant s’apparente à une dérive sectaire.
Lors de la présidentielle de 2017, il avait obtenu 19,58 % des suffrages exprimés. Aujourd’hui, sa présidentialité est fortement remise en cause. Dans la foulée de son élection, dix-sept députés LFI avaient fait leur entrée à l’Assemblée nationale. Depuis, des personnalités fortes ont émergé – François Ruffin, Adrien Quatennens notamment –, pour qui la question se pose de savoir combien de temps ils accepteront de cautionner sans broncher les outrances du chef.
Source : Le mauvais procès de Jean-Luc Mélenchon
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