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Le chien, cher dans les cœurs et pour le porte-monnaie

François Lévêque, Mines Paris - PSL

Les animaux domestiques occupent une place de plus en plus importante dans nos vies, notamment les chiens. L’analyse économique éclaire-t-elle ce drôle de rapport entre l’homme et l’animal ?


Le chien est un bien étrange animal. Leurs maîtres les achètent, les vendent et dépensent pour les entretenir, comme pour les automobiles. La statistique estime d’ailleurs qu’en France un ménage sur quatre possède un chien de la même façon qu’elle indique que neuf sur dix possèdent une automobile. D’un autre côté, le chien s’apparente à un membre de la famille, parfois même considéré comme un enfant. Qu’en est-il : bien de consommation durable ou membre permanent de la famille. Comment sont perçus les chiens par nos contemporains ?

Poursuivons un instant la comparaison entre le chien et de la voiture. Dans les deux cas, l’offre est pléthorique. Le nombre de modèles et versions – si les amis des animaux me permettent ce vocabulaire – se compte respectivement en centaines et milliers. Évidemment, le budget disponible restreint le choix : comptez 200 euros pour l’adoption d’un « corniaud » en refuge mais vingt fois plus pour un dogue du Tibet. D’autres contraintes s’exercent aussi pour celui qui veut « adopter », en particulier la taille de l’habitation. Alors que les voitures prennent du poids et du volume, les chiens rétrécissent. La demande se porte de plus en plus vers de petits formats comme le chihuahua. La mode joue aussi. Chaque reprise des 101 Dalmatiens entraîne un rebond des ventes de la race.

1000 euros par an !

Ranger le meilleur ami de l’homme parmi les biens de consommation durables permet de souligner deux déboires auxquels l’acheteur potentiel d’un chien s’expose.

D’abord celui de la myopie qui lui fait seulement très vaguement estimer et prendre en compte les coûts futurs liés à son acquisition. Et ce alors même qu’ils sont nettement supérieurs au prix d’achat. Gare alors aux difficultés financières futures et au risque de devoir se séparer, voire d’abandonner l’animal. Il faut compter de l’ordre de mille euros de dépenses annuelles pour son toutou. La moitié pour la nourriture. Finis depuis des lustres la préparation de la pâtée et l’os à moelle offert par le boucher ! Croquettes, boites et barquettes ont pris la suite. De toutes sortes – y compris bio, sans OGM, et même végan ! – et pour tous les régimes canins selon la santé, l’âge, et même la race. L’industrie pour l’alimentation animale est florissante. Ses prix croissent plus vite que ceux du panier moyen de consommation. Elle tire parti de sa concentration et du fort attachement des propriétaires pour leur animal de compagnie. Mars, connu pour sa barre au chocolat et caramel, est le numéro un du secteur avec ses marques Royal Canin et Canigou. Nestlé, avec notamment Friskies et Purina, occupe le troisième rang.

Les soins de santé représentent le second poste des dépenses canines. Mars – qui l’eût cru ? – est d’ailleurs à la tête de 3 000 cliniques vétérinaires dans le monde. Un sondage réalisé par l’IFOP montre que les propriétaires de chien sous-estiment systématiquement le nombre de fois où ils se rendront chez le vétérinaire. Ils ont de même tendance à sous-évaluer le prix de ses interventions. Ils estiment par exemple que le coût d’une rupture d’un ligament croisé – fréquente chez le chien – s’élève à 700 euros alors qu’elle s’établit à près de 1 000 euros.

Coûteuses asymétries

L’acheteur potentiel d’un chien se heurte aussi à une asymétrie d’information au bénéfice du vendeur. Il connaît beaucoup moins bien l’origine et les caractéristiques – qualités et défauts – de l’animal qu’il guigne. Cette asymétrie est un problème commun aux biens de consommation durables car, faute d’achats fréquents, l’expérience du consommateur est mince et la qualité du bien ne se révèle vraiment qu’à l’usage. Mais me voilà obligé de revenir à la voiture puisque le problème de l’asymétrie d’information a été modélisé la première fois dans le cas du marché de l’automobile d’occasion dans un célèbre article de l’économiste américain G. Akerlof. Dès lors que l’acheteur ne sait pas distinguer un véhicule de bonne qualité de celui avec des défauts cachés, le vendeur peu scrupuleux en profite en passant sous silence tout ce qui réduit le prix du véhicule d’occasion. Cette imperfection conduit à un prix trop bas proposé aux bons vendeurs et une moindre quantité de bons produits mis sur le marché. Toute une série de palliatifs (chartes, labels, certification, etc.) doit alors être mise en place pour mieux informer les consommateurs et rétablir leur confiance.

L’asymétrie d’information affecte tout particulièrement le marché des chiens de race. La sélection réalisée pour favoriser certains traits physiques réduit la diversité génétique, ce qui augmente la prévalence de caractéristiques défavorables à la santé des animaux. De façon générale, les chiens de race pure sont plus fragiles mais les acheteurs ne sont pas forcément mis au courant des risques qui affectent leur généalogie. On se souvient peut-être de la mine déconfite de Yolande, personnage du film Un air de famille, apprenant que le labrador qu’elle devrait bientôt recevoir finira sa vie paralysé par l’arthrose. À l’image de celui qui lui fait face, étalé sur un fauteuil, au regard infiniment triste. Il est devenu « décoratif comme un tapis, mais vivant », constate Denis, autre personnage du film.

Cette réplique offre une transition toute trouvée pour aborder la place du chien dans la famille. Si l’animal peut être considéré comme un bien de consommation durable d’un point de vue économique, c’est un « bien particulier » qui s’anime, aboie et remue la queue. Cela modifie évidemment la perspective !

Des prénoms et des surnoms

Remarquons d’abord l’humanisation croissante du chien. Il porte de plus en plus souvent un prénom de bipède comme Sam, Max, Oscar, ou Roxane. Rex, Spot, Fido ou Titi sont devenus moins courants. Dorénavant, les chiens peuvent aussi porter des sweats à capuche et manger des glaces.

Ils sont aussi plus nombreux à avoir une tête aplatie, comme nos visages sans museau. Les races brachycéphales comme le carlin ou le bouledogue français sont très à la mode. Vous avez sans doute aussi noté comme moi qu’il arrive souvent que les maîtres parlent de « mon bébé » ou de « mon enfant » à propos de leur chien et se désignent eux-mêmes quand ils s’adressent à lui comme « ta maman » ou « ton papa ». Cela n’arrive jamais à propos d’une voiture !

Le chien est-il alors un substitut de l’enfant ? Une question d’autant plus légitime que l’on observe parallèlement un déclin du nombre d’enfants et une hausse du nombre de chiens. Aux États-Unis, la proportion de foyers avec un chien a dépassé à celle de foyers avec un enfant mineur. En France, les proportions sont encore identiques.

En concurrence avec les enfants ?

Chien et/ou enfant ? La réponse a été apportée par un trio d’économistes dans une étude portant sur plus de cent mille observations de ménages américains avec ou sans chien, avec ou sans enfant, et différant selon le revenu, le lieu d’habitation, le niveau d’étude… Leur modèle économétrique montre que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité d’avoir un chien diminue avec la présence d’un enfant de moins de deux ans. Chien et enfant apparaissent alors substituables. En revanche, la probabilité augmente avec la présence d’un enfant plus âgé. Chien et enfant apparaissent alors complémentaires. Mais une relation de substitution resurgit : la présence d’enfant de plus de 2 ans a pour effet de diminuer les dépenses affectées au chien. Ce qui suggère que les parents accordent une plus grande importance à la qualité de vie de l’enfant qu’à celle de l’animal.

Dans un tout autre registre, l’écrivain Russel Banks, saisit remarquablement la place du chien dans une nouvelle intitulée précisément « Un membre permanent de la famille ». Un couple, parent de trois enfants, se sépare. Mari et femme décident de vivre à quelques centaines de mètres chacun et optent pour le mode de la garde alternée. Tous s’adaptent parfaitement à cette nouvelle vie, sauf Sergent, une chienne rétive à ce partage en deux. Elle refuse de suivre les enfants à pied quand ils doivent se rendre dans la maison de leur mère. Il faut à chaque fois l’embarquer dans le coffre de la voiture pour l’y conduire de force, et l’y reconduire car elle s’en échappe souvent. Plus finalement que les allers-retours des enfants, ce sont ceux de la chienne qui tiennent le fil d’une apparence d’une famille encore unie. Or un après-midi, en reculant son break, le mari écrase Sergent. De ce jour, éclate l’impermanence jusque-là occultée de la famille. Tout alors se délite.

Une vie de chien à 10 000 dollars

Dernier indice enfin sur la place du chien, un économiste, David Weimer, a même eu l’idée d’estimer la valeur d’une vie de chien. Plus précisément, sa valeur statistique en appliquant à la race canine le concept de valeur statistique d’une vie humaine utilisé dans les analyses coût-bénéfice du secteur de la santé. En interrogeant des milliers de propriétaires de chien sur leur consentement à payer pour un vaccin contre la grippe canine, il a estimé la valeur d’une vie de chien de l’ordre de 10 000 dollars.

David Weimer est aussi l’auteur de Dog Economics paru récemment chez Cambridge University Press, une maison d’édition sérieuse et prestigieuse. Un ouvrage très complet et, à ma connaissance, le seul livre académique dédicacé à des chiens avec photo à l’appui. Rien n’échappe à l’analyse économique, même les animaux domestiques à la fois biens de consommation et membres de la famille. Si le chien est un bien étrange animal, leurs maîtres le sont peut-être encore bien davantage…

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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