L’empreinte carbone de la France due aux services numériques représente, sur un an, 16,9 millions de tonnes eqCO?. Shutterstock
Raphaël Guastavi, Ademe (Agence de la transition écologique)Dans deux études dévoilées ce 19 janvier 2022, l’Agence de la transition écologique (Ademe) se penche sur le numérique et ses effets sur l’environnement en France. La première, menée conjointement avec l’Arcep, dresse un état des lieux de l’impact des services numériques en France, en tenant compte de tous les éléments nécessaires à la construction d’un service numérique : réseaux et infrastructure, data centers, équipement des usagers chez les particuliers et les entreprises (smartphones, téléviseurs connectés, objets connectés).
Parmi les enseignements de ce travail systémique, un aspect ressort : la fabrication constitue l’étape du cycle de vie dont l’impact environnemental est le plus fort. Et la partie « terminaux » (c’est-à-dire nos appareils numériques) est de loin la partie la plus marquante. D’où l’intérêt de la seconde étude, qui consiste justement à mesurer les bénéfices environnementaux générés par le reconditionnement des équipements – un travail mené dans un premier temps sur les smartphones et qui sera suivi par d’autres catégories d’équipements électroniques.
Dans ces deux démarches, l’Ademe a fait le choix d’une approche cycle de vie, qui permet de mesurer l’empreinte environnementale depuis l’extraction de matière jusqu’à la fin de vie du produit. Les travaux se penchent par ailleurs non seulement sur les indicateurs « changement climatique » mais également sur l’épuisement des ressources naturelles, l’empreinte matière et la consommation d’énergie.
Le numérique, 2,5 % de l’empreinte carbone de la France
Plusieurs chiffres parlants mentionnés dans ces travaux méritent d’être soulignés, chaque fois exprimés sur une année d’usage.
En premier lieu, l’empreinte carbone de la France – émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes – dû aux services numériques représente, sur un an, 16,9 millions de tonnes eqCO2. Cela équivaut à 2,5 % de l’empreinte carbone totale de la France et correspond environ la même empreinte que le secteur des déchets.
En matière d’exploitation des ressources naturelles, l’empreinte numérique correspond quant à elle sur une année à l’équivalent de l’extraction de 21 tonnes d’or.
Le secteur produit par ailleurs 20 millions de tonnes de déchets par an, essentiellement générés par l’exploitation de ressources naturelles et la production – déchets à ne pas confondre avec les déchets directement générés par les équipements, inclus dans ce volume.
Enfin, la part du numérique dans la consommation électrique française s’élève à 10 %, avec un volume de 48,7TWh. Par habitant et par an, ces différents impacts représentent 253kg eqCO2, 300kg de déchets produits et près de 1 tonne de matériaux déplacés.
Nos terminaux, 60 à 90 % de l’empreinte numérique
Ce travail d’ampleur, jamais mené de manière aussi aboutie en France, permet d’identifier que le sujet du numérique ne se réduit pas à la seule question du changement climatique et que la majorité de l’impact se situe au niveau des terminaux, c’est-à-dire des appareils que nous utilisons au quotidien.
Selon les indicateurs environnementaux que l’on considère, ces derniers sont responsables de 60 à 90 % de l’impact du numérique, quand les 10 à 40 % restants sont imputables aux réseaux fixes et mobiles ainsi qu’aux data centers. Si l’on prend l’exemple de l’épuisement des ressources (matériaux), on constate que 90 % de l’empreinte du numérique en la matière provient de nos terminaux fixes et mobiles.
Considérons maintenant le cycle de vie : les travaux de l’Ademe révèlent que l’impact environnemental de l’étape de fabrication est très largement prépondérant au cours de l’ensemble du cycle de vie.
Autant d’éléments qui insistent sur la nécessité d’allonger la durée d’usage de nos équipements. Entre autres, par l’achat d’objets reconditionnés.
Les bénéfices du reconditionnement
Pour mesurer les bénéfices environnementaux du reconditionnement, l’Ademe a collaboré avec l’ensemble des parties prenantes du secteur en France. Elle s’est dans un premier temps concentrée sur le smartphone, d’autres résultats viendront plus tard sur d’autres équipements (ordinateurs, tablettes et consoles de jeu).
En ressortent plusieurs chiffres intéressants, qui constituent des moyennes variables en fonction de certains critères, comme la durée d’usage du produit antérieure à son reconditionnement ainsi que les conditions de ce reconditionnement.
En moyenne, l’acquisition d’un smartphone reconditionné permettrait ainsi la réduction d’impact environnemental annuel de 77 % à 91 % par rapport à un achat neuf, en fonction des indicateurs. Sur l’empreinte « changement climatique », en particulier, l’impact chute de 87 %. Ce choix évite également l’extraction de 82 kg de matières premières et les émissions de 23 kg de gaz à effet de serre sur un an par smartphone reconditionné (versus neuf).
Plus l’appareil reconditionné est utilisé longtemps, plus l’économie de matière et de gaz à effet de serre est élevée – dans la mesure où l’on substitue l’appareil reconditionné à un neuf.
Un choix imparfait mais toujours gagnant
Soulignons que nous n’avons cherché dans cette étude ni à minimiser ni à maximiser le bénéfice environnemental, puisque nous avons tenu compte de cas où étaient changées des pièces maîtresses telles que l’écran et la batterie : même dans ces cas-là et y compris lorsque sont intégrés à la vente des accessoires neufs – chargeur et écouteurs, ce qui est souvent le cas – l’impact environnemental demeure plus de 2 à 4 fois moins important que dans la production d’un équipement neuf. Et ce, quand bien même le reconditionnement est effectué à l’étranger, dans des pays de l’Est ou en Chine, par exemple.
En tenant compte de ces éléments et de la place prépondérante de la phase de fabrication dans l’impact environnemental du numérique, il apparaît essentiel de limiter le suréquipement, d’allonger au maximum la durée de vie des appareils, en les entretenant, en les faisant réparer et en se tournant vers de l’occasion ou du reconditionnement lorsque l’on en change, cette dernière option offrant des garanties de fonctionnement.
Bonnes pratiques pour un reconditionnement optimal
Le reconditionnement n’étant pas pour autant exempt d’impacts, il est préférable pour les consommateurs de privilégier des produits issus d’un reconditionnement local et d’éviter les modèles reconditionnés trop récents afin d’encourager la logique d’allongement d’usage.
Côté reconditionneurs, plusieurs pistes existent pour améliorer l’empreinte de leur pratique : essayer de collecter des téléphones usagés localement, favoriser des pièces de rechange de seconde main, proposer au client de ne pas fournir d’accessoires neufs systématiquement et déployer des ateliers de réparation en France plutôt qu’à l’étranger.
Mais il s’agit aussi de professionnaliser le reconditionnement. D’abord en proposant une démarche de service de qualité avec un bon service après vente afin de donner confiance aux clients dans l’achat d’équipements reconditionnés.
Également en optimisant les processus, en développant l’innovation, en automatisant certaines tâches afin de réaliser des économies d’échelle et, par ricochet, de baisser les prix afin de rendre la différence de prix entre le neuf et le reconditionné plus attractive. Enfin, en diminuant les consommations d’énergie et d’eau du site de reconditionnement, qui pèsent dans l’empreinte de ce dernier.
Raphaël Guastavi, Responsable du service « Produits et efficacité matière », Ademe (Agence de la transition écologique)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.