Cette instance, voulue par le gouvernement et qui souhaite scruter les pratiques journalistiques, doit tenir sa première assemblée générale, lundi.
L’accouchement se fait sur fond de divergences profondes. Lundi 2 décembre, le tout nouveau conseil de déontologie journalistique et de médiation doit tenir sa première assemblée générale. Cet organe se présente comme une instance « d’autorégulation, indépendante de l’Etat ». « C’est un instrument de dialogue et de confiance du public dans les médias », indique son instigateur Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), une association de veille du respect de la déontologie dans les médias.
Ce nouveau conseil n’exercera aucune sanction, mais émettra des avis sur les pratiques journalistiques. Les médias ont-ils bien fait leur travail lors de l’arrestation d’un faux Xavier Dupont de Ligonnès en Ecosse, au mois d’octobre ? Ce genre de question sera soumise à la sagacité d’un collège, réparti à parts égales entre journalistes, éditeurs et grand public. S’il existe « dix-huit conseils dans l’Union européenne », en France, cette initiative, qui a le soutien de la CFDT-Journalistes, du Syndicat national des journalistes, et de plusieurs collectifs de journalistes comme Informer n’est pas un délit ou Profession pigiste, provoque une levée de boucliers au sein des rédactions.
« Nous ne sommes pas contre un conseil de la presse, mais les conditions ne sont pas remplies. Rendre des comptes à nos lecteurs, nous le faisons déjà quotidiennement », explique Ellen Salvi, membre de la Société des journalistes (SDJ) de Mediapart. Dix-neuf SDJ de grands médias, parmi lesquels Le Figaro, l’AFP, L’Obs,Le Point, LCI ou France Inter, ont signé la lettre ouverte du site d’investigation : « Ce sont les lecteurs qui jugent les journalistes, pas les journalistes qui se jugent entre eux », détaille la missive. Pour le moment, la Société des rédacteurs du Monde n’a pas pris position.
De nombreux patrons de presse, comme ceux du Figaro, du Parisien, des Echos ou du Monde, sont également hostiles à ce conseil, dont il faudra, en outre, financer le fonctionnement. « C’est une fausse bonne idée. Ce type d’instance crée à l’extérieur de la loi un code d’appréciation morale », estime Marc Feuillée, directeur général du Figaro.« Le Monde dispose déjà d’un comité d’éthique qui fonctionne, qui est actif et qui traite de nos problèmes », ajoute Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde.
24 % des Français accordent leur confiance aux médias
C’est surtout le contexte dans lequel s’inscrit la création du conseil qui suscite le plus de réticence. « L’idée a été relancée avec grand intérêt par le gouvernement, qui a fait passer deux textes, entachant la liberté de la presse, la loi sur les fausses nouvelles et celle concernant le secret des affaires », souligne Ellen Salvi.
Alors que s’exacerbent les tensions entre Emmanuel Macron et la presse, c’est l’ancienne ministre de la culture, Françoise Nyssen, qui, à l’automne 2018, charge l’ex-patron de l’AFP Emmanuel Hoog d’une mission sur le sujet. La ministre est aussitôt applaudie par Jean-Luc Mélenchon, grand critique des médias, et qui a tenté d’instaurer un tel organe par la voie législative.
En juin 2019, Cédric O, le secrétaire d’Etat chargé du numérique, prône la création d’un « conseil de l’ordre » de la presse. La profession y voit l’ultime preuve de la volonté du pouvoir de la mettre au pas. Pour calmer le jeu, le premier ministre, Edouard Philippe, invite la profession à une grande réunion un mois plus tard, assurant que rien ne se fera par la contrainte.
Depuis, le silence radio prévalait. Jusqu’à ce que l’ODI relance les hostilités. Rappelant que la sphère politique n’aura pas voix au chapitre dans ce conseil, Informer n’est pas un délit s’est désolé, dimanche 1er décembre, de la désertion des grandes sociétés de journalistes, à l’heure où seulement « 24 % des Français [accordent] encore leur confiance » aux médias. « Nous, professionnels de l’information, devons montrer au public qu’il existe bien des normes déontologiques dans l’exercice du journalisme», a plaidé Jean-Christophe Boulanger, le fondateur de Contexte, un site d’information politique. « C’est une opération qui ne va pas se faire d’un coup de baguette magique », philosophe Patrick Eveno.
Source : La création d’un conseil de déontologie des médias divise la profession
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