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La classe : une forme scolaire dépassée ?
Pascal Clerc, CY Cergy Paris UniversitéOn y passe des milliers d’heures en tant qu’élève ; on y est assis, placé, dans une ligne et une rangée. La salle de classe, ce parallélépipède de plus ou moins 10 mètres sur 6 mètres, est un lieu familier pour chacun d’entre nous.
La classe, c’est là que des enseignants enseignent et, quand tout se déroule bien, que des élèves apprennent. Elle va aussi de pair avec un enseignement (et un enseignant ou une enseignante), un groupe d’élèves et un temps dédié. D’ailleurs, on utilise le même mot pour les désigner. Dans les établissements scolaires, on « fait classe » à « une classe » dans une « salle de classe » pendant un « temps de classe » ; on peut parler de « système-classe » parce que tous ces éléments sont étroitement associés.
Les salles de classe et les établissements scolaires dans leur ensemble sont conçus et pensés pour une pédagogie dite « simultanée » qui consiste à réunir des élèves de même âge en un groupe considéré comme homogène pour transmettre à toutes et tous les mêmes données, informations, connaissances et savoirs. Jusqu’à la fin des années 1960, on y trouvait souvent une estrade, qui marquait l’autorité professorale et devait faciliter la diffusion de la parole, tout comme la surveillance des enfants ou adolescents. Aujourd’hui, cette sorte de tribune a disparu. Mais l’espace reste orienté vers le tableau, la « scène ».
Ce modèle de transmission simultané s’est imposé au cours du XIXe siècle au détriment de la méthode d’enseignement mutuel pour laquelle les âges et les niveaux étaient mélangés, et où les élèves les plus avancés épaulaient le maître.
Nouveau monde, nouvelles compétences
La méthode simultanée, au cœur de « la forme scolaire », a permis de passer d’une éducation réservée à quelques-uns à une éducation de masse. Mais le monde a changé, les attentes ont été bouleversées et de nouvelles compétences sont à acquérir « au-delà du contenu académique traditionnel » comme l’écrit l’Unesco qui, avec d’autres institutions, a rassemblé des experts pour définir les compétences du XXI? siècle.
La créativité, la pensée critique, la coopération et la communication font partie de ces principaux savoir-faire. Elles ont pour point commun de s’acquérir dans l’action, et pas à travers un cours magistral. Ainsi, coopérer s’apprend par le travail de groupe, en se confrontant aux autres, en négociant.
Il est un autre bouleversement majeur. Pendant longtemps, le savoir a été identifié à ses détenteurs. On n’y accédait que par leur intermédiaire comme le rappelait Michel Serres dans Petite Poucette. Puis, avec le développement de l’écrit, il a été plus largement distribué tout en restant localisé en quelques « lieux » comme la bibliothèque ou la parole enseignante. Aujourd’hui, tout a explosé. Le savoir est partout et notamment dans ce smartphone que chacun tient dans sa poche ou au fond de son sac.
Les données, les informations, les connaissances et les savoirs sont déliés de la personne qui traditionnellement était censée les transmettre. Dans le monde numérique, il est accessible à tout le monde, on peut en disposer quand on veut, comme on veut, où on veut. La salle de classe ne les contient plus et les enseignants n’en sont plus les détenteurs exclusifs.
Pourtant, le système-classe est la base de l’architecture scolaire actuelle et reste l’horizon de la plupart des projets, comme on peut le voir par exemple dans le programme « Bâtir l’école de demain » du ministère de l’Éducation nationale français visant à repenser les espaces scolaires. On y trouve de multiples pistes d’action pour ouvrir les établissements sur leur environnement immédiat ou des constructions plus écologiques. Mais quand il s’agit d’envisager concrètement l’organisation spatiale des établissements, le modèle ancien, structuré autour des salles de classe, resurgit.
Réinventer la géographie scolaire
Pourquoi ce modèle du XIXe siècle continue-t-il à organiser l’école du XXIe siècle ? On peut invoquer d’abord la paresse intellectuelle, le tropisme de la reproduction, la frilosité… Nous n’avons connu que ce modèle et nous ne savons pas qu’il n’en a pas toujours été ainsi, qu’il fut un temps où apprendre se conjuguait souvent au singulier et se faisait un peu partout, aux champs ou la forge, en se frottant aux autres, à ceux qui savaient. Il n’en a pas toujours été ainsi et il pourrait en être autrement. Mais l’ancienneté de la forme scolaire associée à l’organisation par classe semble une évidence. Pour les élèves, les parents et les enseignants, l’école c’est la forme scolaire.
Il faut compter aussi avec la complexité de la machinerie scolaire. L’ensemble de la structure repose sur la cohérence des quatre éléments (un espace, un moment, un groupe et une discipline scolaire), qu’on peut difficilement dissocier. Toucher à l’un, c’est bousculer les autres. Tous les chefs et cheffes d’établissement le savent. Limiter voire abandonner l’organisation spatiale en salles de classe, c’est toucher aussi au temps scolaire, aux découpages disciplinaires et aux groupes constitués d’élèves. Difficile dans ces conditions d’avancer par petites touches. Dépasser le modèle de la classe est au sens propre révolutionnaire.
La conception du métier enseignant est un autre point de blocage. Ce qui définit un enseignant ou une enseignante – surtout dans le second degré – c’est d’abord la maîtrise des savoirs académiques. Accepter que les savoirs diffusés traditionnellement par le truchement de sa voix soient disponibles partout et tout le temps n’est pas simple. Inventer une nouvelle géographie des établissements scolaires, c’est aussi interroger l’identité enseignante pour inventer un nouveau métier plus proche de l’accompagnement que de la transmission.
Enfin, la forme scolaire repose sur une logique de domination. Paolo Freire, Ivan Illich, Michel Foucault ou Jacques Rancière l’ont dénoncée depuis longtemps. Elle permet le contrôle et la surveillance. Dans un établissement scolaire, le système quadruple de la classe permet de savoir qui (les élèves comme les enseignants) est où, pour y faire quoi et à chaque moment de la journée d’école. Partir des apprentissages et de chaque individu, multiplier les parcours et les choix relève d’un processus émancipateur dont tout le monde ne veut sans doute pas.
Inventer l’école des apprentissages
L’école de la forme scolaire et du système-classe est dépassée « même si encore on ne voit qu’elle, même si on ne sait construire qu’elle », selon les mots de Michel Serres. Il faut individualiser les parcours et pour cela inventer de nouveaux espaces et de nouvelles organisations : pour apprendre seul, avec un livre ou devant un écran, pour apprendre et produire du savoir en groupe, pour apprendre en confrontant ses idées à celles des autres dans le cadre d’un débat, pour apprendre dehors, pour apprendre par les sens et le corps (debout, assis, en marche…), pour apprendre en expérimentant, en fabriquant, en démontant.
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Des enseignantes et enseignants s’y exercent depuis longtemps et se sentent à l’étroit dans le système-classe. Leurs pratiques reposent sur le travail de groupe, la pédagogie du projet, les jeux de rôle ou les débats ; ils et elles ont parfois réorganisé leur espace-classe. Ils et elles ont quelques modèles dont on pourrait s’inspirer, ceux de pédagogues qui depuis le début du XXe siècle au moins ont multiplié les propositions géo-pédagogiques.
On peut citer John Dewey et son école-laboratoire où l’on expérimente, Edmond Blanguernon qui proposait de faire la classe dehors, Maria Montessori et les enfants en mouvement, Célestin Freinet et son atelier ou encore José Pacheco qui, dans son école au Portugal,remplace les salles de classe par des « espaces de travail » où chaque élève peut avancer de manière autonome dans son projet.
Apprendre, c’est prendre en différents lieux et dans différents contextes ce qui permet de grandir. Le système-classe et la pratique qu’est l’enseignement n’en sont qu’un moyen parmi d’autres. On peut inventer une multitude d’espaces, de toutes tailles et de toutes formes pour dessiner une nouvelle géographie des établissements scolaires.
Pascal Clerc, Professeur des Universités en géographie, CY Cergy Paris Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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