Histoire racontée, histoire lue : quelles différences pour les enfants à l’heure de l’IA et des livres audio ?

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Histoire racontée, histoire lue : quelles différences pour les enfants à l’heure de l’IA et des livres audio ?

The Conversation

Histoire racontée, histoire lue : quelles différences pour les enfants à l’heure de l’IA et des livres audio ?

Frédéric Bernard, Université de Strasbourg

En partageant des histoires avec leurs parents, les enfants progressent dans leur apprentissage de la lecture et enrichissent leur imaginaire. Mais les supports utilisés influencent-ils leurs perceptions ? Quelles différences cela fait-il d’avoir recours à un livre audio ou à un livre papier ? Quelques réflexions à l’heure où les nouvelles technologies démultiplient les modalités à disposition.


Il existe différentes façons de raconter une histoire à un enfant. S’improviser conteur, sans autre support que sa propre voix, en est une, la lecture d’un livre illustré en est une autre. Avec le numérique, la palette de livres audio disponibles se diversifie. Et avec l’arrivée de l’IA, les possibilités se multiplient.

Chacune de ces modalités a ses charmes et ses effets. Mais comment l’enfant appréhende-t-il vraiment ces différents formats ? En quoi le vecteur du récit influence-t-il son attention, sa compréhension ou son imagination ? Comment ces approches variées peuvent-elles façonner son rapport au langage et à la narration elle-même ? La recherche nous offre quelques pistes pour y voir plus clair.

Raconter « simplement » l’histoire : la magie de l’oralité

Imaginez un adulte prenant la parole pour conter une histoire sans aucun support visuel, en ne se servant que de sa voix, son regard, ses gestes. L’enfant, captivé, écoute et se fabrique dans sa tête ses propres images. Ici, tout passe par l’intonation, le rythme et l’expressivité du conteur.

C’est un véritable spectacle oral, une transmission vivante qui peut s’adapter en temps réel : le conteur voit si l’enfant suit, s’il est intrigué ou perplexe, et peut réexpliquer ou insister sur certains détails. D’un côté, cela stimule l’imagination : pas d’images imposées, l’enfant invente ses propres décors. De l’autre, même sans support visuel, l’ajustement constant du conteur aux réactions de l’enfant peut soutenir voire améliorer la compréhension du récit.

Selon les résultats d’une étude publiée par Rebecca Isbell et ses collègues dans Early Childhood Education Journal en 2004, les enfants de 3 à 5 ans exposés à des histoires purement orales démontraient une meilleure compréhension que ceux ayant entendu les mêmes récits lus dans un livre. Cette interaction directe, flexible et réactive place l’enfant au cœur du dialogue narratif, levant plus facilement les ambiguïtés et renforçant la pertinence de l’oralité dans le processus d’apprentissage.

La lecture partagée : un riche moment de complicité

Le grand classique reste la lecture d’un livre illustré. On ouvre l’album, on découvre les personnages dessinés, leurs expressions, les paysages colorés. Les illustrations captent principalement l’attention des enfants pendant la lecture partagée. Cette focalisation visuelle peut jouer un rôle clé dans la compréhension globale de l’histoire, en fournissant des indices visuels complémentaires au texte.

Ce mode de partage est particulièrement efficace pour enrichir le vocabulaire, éveiller l’enfant à la lecture et l’aider à développer des repères visuels et textuels, comme l’explique remarquablement bien Maryanne Wolf, spécialiste du développement de l’enfant, dans Proust et le calamar. Avec le livre papier, on peut revenir en arrière, commenter un détail, pointer du doigt un personnage, bref, créer une interaction très concrète.

Certes, l’image fixe limite un peu l’imagination, mais c’est un soutien précieux pour l’apprentissage des mots et la compréhension de la trame narrative, surtout chez les plus petits. De plus, le livre, en tant qu’objet familier, renforce ce sentiment de proximité et de partage.

Écouter un livre audio : se plonger dans la voix et les sons

Après la lecture partagée, un autre format gagne en popularité : les livres audio. Ces derniers permettent à l’enfant de se plonger dans un univers sonore : une voix souvent professionnelle, parfois accompagnée de musique ou de bruitages.

L’expérience est immersive et peut devenir très agréable : on peut fermer les yeux, imaginer les scènes, laisser son esprit vagabonder. Cependant, contrairement à la situation où le conteur ou parent est présent, l’enregistrement ne permet pas d’interrompre pour poser une question. Cela demande donc plus d’autonomie et de capacité de concentration.

Les études indiquent que les livres audio peuvent encourager les enfants, en particulier ceux ayant des difficultés de lecture, à explorer de nouvelles histoires et à développer leur capacité d’écoute attentive. Pour les plus jeunes, un accompagnement par un adulte reste souvent nécessaire, ne serait-ce que pour réexpliquer un mot inconnu. Ce format purement auditif peut aussi affiner la sensibilité de l’enfant aux nuances de la voix et du langage.

L’IA, un nouveau conteur à portée de main ?

Depuis peu, l’intelligence artificielle est entrée dans la danse. Des outils tels que ChatGPT peuvent, à la demande, inventer une histoire complète, en changer le style, adapter le niveau de langage, répondre aux questions de l’enfant, reformuler des passages complexes ou expliquer instantanément un mot inconnu. On peut ainsi créer un récit personnalisé dans lequel l’enfant devient le héros, ou demander à l’IA de « réécrire » une scène en y ajoutant davantage de suspense, d’humour ou de poésie.

Cette flexibilité inédite permet d’interagir facilement avec une source narrative modulable. Par exemple, une étude récente menée par Ying Xu et ses collègues (2022) et publiée dans le journal Child Development a montré que des agents conversationnels peuvent reproduire les bénéfices de la « lecture dialogique » réalisée avec un adulte, une approche interactive où l’enfant est invité à répondre à des questions sur l’histoire, ce qui renforce son engagement et sa compréhension. Ces agents, en posant des questions ouvertes et en fournissant des retours adaptés, ont permis d’améliorer l’engagement des enfants et leur compréhension narrative.

Cette recherche souligne le potentiel des agents intelligents à jouer un rôle éducatif complémentaire, notamment lorsque l’interaction humaine n’est pas disponible. Leur capacité à imiter la lecture dialogique confirme l’importance de l’interaction dans le processus narratif.

Néanmoins, l’IA n’a pas encore la sensibilité ni la finesse d’un conteur humain qui connaît bien l’enfant et sait interpréter ses réactions non verbales (expressions du visage, posture, attention fluctuante). Elle ne « comprend » pas réellement l’histoire ni les émotions qu’elle suscite. Elle ne peut adapter spontanément son récit en fonction de l’humeur du moment ni choisir la morale la plus appropriée au contexte familial ou culturel.

À l’avenir, l’amélioration des modèles d’IA et leur capacité croissante à intégrer des données sensorielles ou contextuelles pourraient affiner cette expérience. L’IA pourrait ainsi mieux cerner les préférences individuelles de l’enfant (thèmes, difficultés linguistiques, style préféré), proposer des histoires plus nuancées, et même travailler en complémentarité avec d’autres supports (images générées par IA, effets sonores adaptés, etc.). Si cette technologie ne remplace ni le conteur humain, ni la lecture traditionnelle, elle peut néanmoins devenir un outil supplémentaire, disponible à tout moment, pour enrichir l’univers narratif de l’enfant, susciter sa curiosité et soutenir son apprentissage.

Quels effets sur l’enfant ?

Chacun de ces modes procure un certain nombre de bienfaits uniques. Le récit oral encourage l’interaction et la créativité. La lecture d’un livre illustré soutient l’apprentissage du langage, prépare à la lecture et renforce le lien avec les parents. Le livre audio développe la concentration auditive, tandis que l’IA apporte une flexibilité et une disponibilité inédites.

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Aucun de ces formats n’éclipse les autres. Ils sont complémentaires. L’important est de varier les plaisirs et d’adapter le choix à l’âge et aux goûts de l’enfant. Après la séance, discuter de l’histoire est essentiel : qu’a-t-il aimé ? Qu’a-t-il compris ? Quels mots étaient nouveaux ? Des approches interactives comme la lecture dialogique, décrites par les chercheurs Grover J. Whitehurst et Christopher J. Lonigan, montrent que l’échange actif entre l’adulte et l’enfant facilite l’appropriation du récit et le développement des compétences langagières.

L’exposition des enfants aux histoires, quelles que soient les approches utilisées, bénéficie sur le long terme au développement de leur langage, de leur attention et de leur imagination et joue aussi un rôle essentiel dans la transmission de références culturelles et familiales.

Frédéric Bernard, Maître de conférences en neuropsychologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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