L’OCDE doit présenter, mardi 8 octobre, l’état d’avancement de ses projets en matière de taxation des multinationales. Les pays en développement ne doivent pas laisser les pays riches faire prévaloir leur point de vue sur ce sujet stratégique, alerte, dans une tribune au « Monde », l’économiste colombien José Antonio Ocampo.
Tribune. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a réussi un joli coup. Alors que, dans le monde entier, les gouvernements sont interpellés par leurs opinions publiques, scandalisées de voir les multinationales ne payer pratiquement aucun impôt, ce club de pays riches a réussi à s’imposer comme la seule instance susceptible de mettre fin à ces abus. Le 9 octobre, l’OCDE va même publier des propositions pour un nouveau système fiscal international qui pourrait s’imposer au monde entier pendant des décennies.
Des décennies, vraiment ? Oui, ce n’est pas une exagération. Il a fallu près d’un siècle pour que, pour la première fois cette année, apparaisse l’opportunité d’un changement. Car si, aux Etats-Unis par exemple, 60 des 500 plus importantes entreprises, parmi lesquelles Amazon, Netflix ou General Motors, n’ont payé aucun impôt en 2018, malgré un bénéfice cumulé de 79 milliards de dollars (72 milliards d’euros), c’est parce que le système en vigueur leur permet de le faire et, de surcroît, en toute légalité.
Ces détournements reposent sur des montages complexes, mais au principe très simple. Il suffit à la multinationale de jouer avec l’attribution des profits déclarés entre ses différentes filiales. De cette façon, elle affiche des déficits là où les impôts sont relativement élevés – même si c’est dans ces pays que l’entreprise génère l’essentiel de ses activités – pour déclarer des bénéfices élevés dans des juridictions où l’imposition est très faible, voire nulle – même si en réalité, l’entreprise n’y dispose d’aucun client.
Remise en cause les fondements de la fiscalité internationale
C’est ainsi que, chaque année, les pays en développement sont privés d’au moins 100 milliards de dollars, déviés par des entreprises dans des paradis fiscaux. A l’échelle mondiale, ces derniers concentrent 40 % des profits réalisés par les multinationales, selon les calculs de l’économiste Gabriel Zucman. D’autant qu’avec la numérisation accélérée de l’économie, les pertes fiscales ne cessent d’augmenter, dénoncées désormais par les plus orthodoxes des institutions, comme le Fonds monétaire international.
Mais c’est de l’OCDE qu’est venu le coup d’éclat le plus important, avec la proposition, début 2019, de remettre en cause les fondements de la fiscalité internationale, à savoir la capacité des multinationales à déclarer leurs bénéfices dans la filiale de leur choix. Après des décennies d’inaction, le processus s’emballe : après la publication du projet cette semaine, l’organisation fera une proposition finale courant 2020. La messe sera alors dite, et il ne sera pratiquement plus possible de peser sur le processus de réforme.
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