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Réduire la vitesse maximale sur les routes permettrait de rendre les véhicules électriques compétitifs. Chuttersnap / Unsplash, CC BY

Faut-il limiter la vitesse pour rendre les véhicules électriques plus attractifs ?

Réduire la vitesse maximale sur les routes permettrait de rendre les véhicules électriques compétitifs. Chuttersnap / Unsplash, CC BY
Julien Baltazar, CentraleSupélec – Université Paris-Saclay

La société est de plus en plus consciente des conséquences de l’usage intensif des véhicules thermiques, notamment vis-à-vis de l’approvisionnement en pétrole, du changement climatique et de la qualité de l’air. Pour résoudre ces problèmes, différentes stratégies visant les pratiques de mobilité et l’offre de transport sont à mettre en œuvre.

Vis-à-vis du levier technologique, électrifier le parc automobile est une perspective intéressante, car les véhicules électriques admettent divers avantages par rapport à leurs homologues thermiques. Néanmoins, leur déploiement est associé à des risques et limites, notamment liés aux problématiques d’autonomie, de vitesse de recharge et de dimensionnement des batteries et des stations de recharge.

Dans ce contexte, j’étudie ici les conséquences d’une réduction des vitesses de circulation à 110 km/h sur les performances et l’attractivité des véhicules électriques (qui désignent ici uniquement les véhicules tout-électriques, excluant donc les hybrides). Je me base pour cela sur mes travaux sur l’analyse du déploiement des véhicules électriques dans le contexte des trajets longue distance.

Le véhicule électrique : un véhicule à zéro émission ?

Les véhicules électriques sont parfois désignés comme des véhicules « zéro émission ». Cette expression signifie qu’aucun polluant n’est émis à l’échappement lors de la circulation.

En revanche, cette notion exclut toutes les émissions indirectes, telles que celles liées à la production de l’électricité nécessaire à la recharge de la batterie, ou encore à la fabrication et au traitement en fin de vie du véhicule. La notion d’émission « à l’échappement » exclut également certaines pollutions liées à la phase d’usage du véhicule, notamment celles causées par l’usure des freins, des pneus et de la chaussée.

En dépit de ces nuances, les véhicules électriques émettent globalement moins de polluants que les véhicules thermiques. D’une part, ils émettent moins de polluants atmosphériques lors de la phase d’usage et permettent donc de réduire les dommages causés à la santé, en particulier dans les zones denses.

D’autre part, même en considérant l’ensemble du cycle de vie (de l’approvisionnement en matériaux jusqu’à la fin de vie), une voiture électrique génère en moyenne moins de gaz à effet de serre que ses homologues thermiques. Par exemple, un véhicule électrique rechargé en France et parcourant 225 000 km, génère 74 % de gaz à effet de serre en moins qu’une voiture à essence.

Le temps de trajet, frein majeur à l’acceptabilité

En 2022, en France, seuls 13 % des immatriculations de voitures particulières neuves étaient des modèles tout électriques.

Malgré leurs avantages, les véhicules électriques peinent à se substituer aux véhicules thermiques, notamment parce que l’acceptabilité est limitée par les contraintes d’autonomie et de temps de recharge pour les trajets longue distance.

Prenons l’exemple d’un véhicule ayant une batterie d’une capacité de 50 kWh (cette énergie correspond au « volume » d’électricité qu’elle peut stocker), utilisée sur une plage d’état de charge comprise entre 10 et 80 %, et qui peut être rechargée à 100 kW maximum (cette puissance correspond au « débit » maximal auquel la batterie peut être rechargée ; la puissance moyenne d’une recharge est généralement inférieure à la puissance maximale, typiquement 82 kW pour un véhicule pouvant être rechargé à 100 kW maximum). Ces caractéristiques correspondent à celle d’une Peugeot e-208, qui est représentative du véhicule moyen immatriculé en 2021.

D’après la consommation réelle donnée par le constructeur, le conducteur peut réaliser des trajets à 130 km/h en alternant des phases de circulation de 55 minutes et des pauses de 25 minutes pour faire les recharges.

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À cause des besoins de recharge, les véhicules électriques réalisent donc les longs trajets à grande vitesse significativement plus lentement que les véhicules thermiques. À titre de comparaison, les conducteurs de véhicules thermiques qui suivent les recommandations de sécurité routière effectuent des trajets à 130 km/h en faisant 20 minutes de pause toutes les 2 heures.

Améliorer l’attractivité des véhicules électriques

Pour rendre les véhicules électriques plus attractifs, il faudrait que les trajets soient aussi longs en véhicule électrique qu’en véhicule thermique. Deux stratégies sont alors possibles.

La première est d’augmenter fortement les capacités des batteries et les performances des recharges des véhicules électriques. Des batteries de l’ordre de 110 kWh, rechargeables à 320 kW en pointe environ, seraient nécessaires pour effectuer des cycles de 2 heures de circulation à 130 km/h et de 20 minutes de pause.

La seconde stratégie est de réduire les vitesses de circulation sur autoroute pour désavantager les véhicules thermiques. Pour les véhicules électriques, faire des cycles de 2 heures de circulation à 110 km/h et de 20 minutes de pause nécessiterait des batteries de 60 kWh, rechargeables à 170 kW en pointe environ.

Sur autoroute, les bornes de recharge sont majoritairement des bornes à haute puissance permettant une recharge rapide. Elles sont connectées au réseau électrique via de grandes armoires électriques qui permettent d’obtenir de forts courants électriques. Ces armoires sont plus ou moins isolées des usagers, ici, elles sont masquées par des palissades noires. Ionity

Ces deux scénarios induisent des difficultés de mise en œuvre et des risques différents.

Le scénario où les tailles des batteries sont doublées ne semble ni réalisable à court terme compte tenu des contraintes industrielles, ni souhaitable à plus long terme.

D’abord, cette stratégie aurait un effet direct sur les tensions d’approvisionnement en matériaux pour la fabrication des batteries. Or, il ne faut pas substituer la dépendance au pétrole par la dépendance au lithium, au cobalt ou au graphite, qui sont des matériaux considérés comme critiques par la Commission européenne.

De plus, le surdimensionnement des batteries ferait augmenter le coût économique et environnemental des véhicules, alors que l’autonomie n’est une contrainte que pour les trajets longs sur autoroute, qui ne représentent généralement qu’une part marginale de l’usage réel d’un véhicule.

Le second scénario, impliquant de généraliser la circulation à 110 km/h maximum, est quant à lui techniquement atteignable à l’horizon 2030. D’abord, il serait très pertinent pour l’attractivité des véhicules électriques et limiterait la course aux batteries de haute capacité.

De plus, il réduirait les besoins d’infrastructures de recharge sur les autoroutes, permettant une réduction des dépenses et de la consommation de matières premières. En effet, l’installation d’une borne de recharge ultrarapide de 150 kW coûte environ 130 000 euros, dont 45 000 sont subventionnés par des fonds publics, et sa fabrication, armoire électrique incluse, nécessite environ 1,2 tonne de matières (d’après les fiches produits d’EVBox, d’ABB et d’Efacec).

Enfin, ce scénario est également recommandé pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Une responsabilité collective pour un développement maîtrisé des véhicules électriques

Limiter la vitesse maximale autorisée sur autoroute et favoriser l’adoption de véhicules électriques « sobres » permettrait de rendre le processus d’électrification plus robuste, mais aussi plus juste.

Aujourd’hui, pour les trajets longue distance, il existe déjà de grandes inégalités entre les performances de divers véhicules électriques neufs. Par exemple, les véhicules les plus citadins (tels que la Twingo ZE) ne permettent pas de faire des trajets longs. De plus, un véhicule haut de gamme (comme une Tesla Model S) est environ 15 % plus rapide pour réaliser un trajet long avec des recharges qu’un véhicule milieu de gamme (comme la Peugeot e208).

Cette nouvelle forme d’inégalité liée au temps de trajet pourrait s’accentuer avec, d’un côté, l’apparition de nouveaux modèles de véhicules avec des batteries à haute capacité et, de l’autre, un parc de véhicules électriques vieillissants. De plus, ceci constituerait une forme dangereuse d’obsolescence des anciens véhicules : de nouveaux véhicules avec des performances sans cesse augmentées apparaîtront sur le marché, alors que le parc comportera encore de nombreux véhicules plus anciens. La volonté de renouveler son véhicule électrique sera alors exacerbée et poussera à la surconsommation, avec les impacts qui lui sont associés.

Même si l’électrification des véhicules est un des leviers d’action pour rendre la mobilité plus soutenable, les pratiques des usagers et le système de transport doivent s’adapter aux contraintes d’un tel processus. Il y a alors une responsabilité collective à développer par toutes les parties prenantes : chaque usager, constructeur et décideur public est appelé à y contribuer.

Réduire temporairement les vitesses de circulation sur autoroute est une mesure controversée. Elle exige alors un engagement personnel pour adapter la manière de se déplacer et de voyager, un engagement politique pour porter ce projet et garantir le respect des limitations de vitesse, ainsi qu’un devoir de cohérence avec nos voisins européens afin d’harmoniser les vitesses réglementaires sur autoroute.

D’une façon similaire, limiter les vitesses maximales atteignables par les véhicules permettrait également de réduire les excès et de commercialiser des véhicules plus sobres.

Enfin, l’émergence des véhicules électriques montre le besoin d’une vision globale pour mener une transition environnementale : miser sur des espoirs purement technologiques risque d’être insuffisant pour résoudre les grands défis environnementaux et risque de plus de faire naître de nouveaux problèmes de résilience et d’accroître la fragilité des plus vulnérables.

Julien Baltazar, Doctorant en mobilité et management environnemental, CentraleSupélec – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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