Plusieurs chiffrages circulent, de 14 milliards d’euros par an à plus d’une centaine. En réalité, tout dépend de quoi on parle.
En mettant en avant le coût des niches fiscales pour le budget de l’Etat – pas moins de « 14 milliards d’euros » par an –, Gérald Darmanin a rouvert un vieux débat qui est encore loin d’être tranché : que faire de ces centaines de règles particulières qui viennent réduire les recettes de l’Etat ?
Au-delà des propos du ministre de l’action et des comptes publics se cache un débat plus complexe qu’il n’y paraît. Il n’existe en réalité aucune liste officielle ni aucun chiffrage exhaustif des niches fiscales, tout simplement car ce concept en lui-même est vague.
Dans l’imaginaire collectif, l’expression « niche fiscale » est associée à des privilèges indus. Dans les faits, elle eut désigner tout type de mécanisme qui réduit le montant de l’imposition. Cela va des plus anodins (par exemple, le fait de déclarer des enfants à sa charge ou de payer des frais de garde) à des dispositifs plus techniques, comme les crédits d’impôt accordés pour certains investissements immobiliers.
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14 milliards d’euros ?
C’est le chiffre cité par Gérald Darmanin dans une interview au Parisien, le 3 février. Mais il s’agit en fait d’une estimation très partielle.
La somme de 14 milliards d’euros ne concerne que les dispositifs de réduction de l’impôt sur le revenu. Elle exclut de fait toutes les exonérations d’impôt accordées aux entreprises, ainsi que les réductions ou exonérations de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) ou de droits de mutation.
Ce chiffrage ne prend en compte qu’un seul type de niche fiscale sur l’impôt sur le revenu : les crédits d’impôt et les réductions d’impôt. Ces règles sont celles qui viennent directement diminuer la somme versée à l’Etat, voire la rendre négative pour les crédits. On peut par exemple citer les dépenses d’aide à domicile pour les retraités, les frais de garde des enfants de moins de 6 ans ou encore les dispositifs d’investissements locatifs (loi Pinel, loi Duflot, loi Scellier…).
Bien d’autres dispositifs ne sont pas inclus dans ce décompte, tels que les abattements, ce mécanisme qui permet de déclarer un revenu minoré sous conditions, sur les retraites mutualistes des combattants ou pour certaines professions (dont les journalistes).
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33 milliards d’euros ?
Plutôt que de parler de niches fiscales, les spécialistes des comptes publics parlent plutôt couramment de dépenses fiscales. Cette notion englobe les règles particulières de calcul de l’impôt qui ont un coût pour les finances publiques et représentent donc un manque à gagner pour l’Etat.
Par exemple, le fait que certains types de revenus fassent l’objet de règles d’imposition particulières, comme les plus-values réalisées sur les biens immobiliers.
On compare le montant final de l’impôt collecté avec la somme théorique qui aurait été récoltée
Pour parvenir à ce montant, on compare le montant final de l’impôt collecté avec la somme théorique qui aurait été récoltée si tous ces cas particuliers n’existaient pas. C’est pourquoi ce calcul aboutit à un résultat bien supérieur à celui du ministre : 33,3 milliards en 2019 et non 14 – et ce, sans compter les dispositions relatives aux bénéfices industriels et commerciaux.
Une annexe de plus de 250 pages à la loi de finances pour 2019 est consacrée à ces exceptions, détaillant les mesures dont il est question.
Il s’agit là encore d’une estimation qui n’est ni exhaustive ni indiscutable. Elle ne compte ainsi pas de nombreux cas de figure car ils n’ont pas été jugés comme dérogeant à la norme. Le quotient familial, c’est-à-dire la prise en compte du nombre de membres du foyer (adultes et enfants), n’entre ainsi pas dans ce raisonnement.
De même ne figure pas dans le calcul l’abattement pour frais professionnels de 10 % accordés aux salariés. En revanche est inclus dans le calcul de la dépense fiscale l’abattement de 10 % accordé aux pensions (y compris alimentaires) et retraites – c’est un poste très coûteux, 4,2 milliards d’euros estimés en 2019.
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100 milliards d’euros ?
Au-delà de l’impôt sur le revenu, l’administration évalue les dépenses fiscales qui portent sur tous les types d’impôt. Ce qui suffit pour multiplier par trois l’estimation de leur coût, pour un total attendu à 98,2 milliards d’euros en 2019.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) représente à lui seul près d’un cinquième de ce total (19,6 milliards en 2019), ce qui en fait la plus grande dépense fiscale. Et, selon les chiffrages de Bercy, les dix mesures les plus coûteuses représentent à elles seules plus de la moitié du total : 49,5 milliards d’euros en 2019.
Bien qu’il ne prenne pas en compte l’intégralité des règles du calcul des impôts, parce qu’elles sont considérées comme la « norme » fiscale, c’est cet ordre de grandeur de 100 milliards d’euros qui est généralement évoqué dans la presse ou par bon nombre de spécialistes.
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