Une personne peut avoir plusieurs milliers de pensées par jour, dont beaucoup peuvent être classées comme spontanées ou involontaires. (Shutterstock)
Francois Richer, Université du Québec à Montréal (UQAM)Nos pensées sont comme un théâtre intime qui nous étonne et nous fascine. Elles peuvent nous surprendre, nous stimuler, nous pousser à l’action et parfois aux larmes. Autant certaines pensées peuvent déclencher des émotions, autant d’autres peuvent être déclenchées par ces dernières : les sentiments influencent le contenu de notre théâtre mental.
Les images et les phrases éphémères qui occupent notre esprit font partie intégrante de notre vie. Des estimations de neuro-imagerie basées sur les transitions d’état du cerveau montrent que nous pouvons avoir de quatre à huit pensées par minute. Même en tenant compte de certaines périodes de fatigue ou d’apathie et de nombreuses périodes consacrées à visionner, lire ou écouter, cela peut représenter plusieurs milliers de pensées par jour.
Plusieurs troubles psychologiques entraînent des modifications du flux de pensée. Les états maniaques, les déficits de l’attention et l’anxiété augmentent souvent le rythme des pensées, tandis que la dépression et la démence peuvent le réduire.
Nos pensées spontanées
De nombreuses pensées peuvent être classées comme spontanées ou involontaires. Elles surgissent à l’esprit ; elles ne sont pas délibérées ou invoquées dans nos raisonnements ou nos tentatives de scruter notre mémoire. Il peut s’agir d’idées ou d’intuitions découlant d’une situation actuelle, de pensées intrusives liées à des préoccupations, ou encore d’« associations libres » lorsque l’esprit vagabonde. Certaines sont également des souvenirs autobiographiques qui ont un lien avec des expériences récentes.
D’où viennent nos pensées spontanées ? Elles peuvent évidemment tirer leur origine d’une stimulation environnementale ; des idées évoquées par ce que nous voyons et entendons. Cependant, les pensées spontanées apparaissent souvent lorsque l’environnement est relativement stable, comme lorsque l’on prend une marche ou que l’on est assis dans un autobus.
Les pensées spontanées émergent souvent des fragments de phrases, d’images, d’actions et d’informations abstraites qui meublent notre mémoire à long terme.
Ces informations correspondent à l’activité de réseaux de neurones généralement inactifs, mais qui s’activent simultanément quand le réseau est stimulé. Les réseaux neuronaux stimulés se font concurrence pour accéder à la conscience et la force concurrentielle des réseaux est influencée par leur pertinence par rapport à notre situation, nos objectifs, nos besoins, nos intérêts ou nos émotions. Nous pensons plus facilement à la nourriture lorsque nous avons faim, mais aussi lorsque nous avons un dîner important à préparer.
Les émotions jouent un rôle clé dans de nombreux types de pensées spontanées. Par exemple, les pensées intrusives nous sont imposées par les émotions afin que nous nous concentrions sur des informations hautement prioritaires telles que les menaces, les frustrations ou les opportunités. L’anxiété produit souvent des pensées intrusives pointant vers des menaces réelles ou imaginaires. Dans le cas du stress post-traumatique, elle peut provoquer des flashbacks et des ruminations.
Alors que les émotions négatives nous poussent vers une certaine urgence, les émotions positives semblent faciliter des associations plus lointaines ou inhabituelles qui favorisent la mémorisation et la créativité. Par exemple, l’euphorie et la passion font souvent naître des anticipations optimistes ou des idées imaginatives.
Les microémotions
Même quand nous ne vivons pas d’émotions fortes, il arrive que de faibles émotions, ou microémotions, telles que les inquiétudes, les désirs, l’irritation, le stress, la surprise ou l’intérêt activent nos pensées spontanées.
En contraste avec les émotions fortes, les microémotions sont brèves, discrètes et souvent inconscientes. Elles déclenchent principalement des micromouvements comme une légère tension musculaire ou des micro-expressions faciales, et produisent de petites réactions physiologiques, notamment une sécrétion d’adrénaline et des réponses cardiovasculaires.
Les microcraintes déclenchent souvent des pensées de type « et si… ? » et des inquiétudes qui alimentent l’anxiété par une boucle de rétroaction positive, source d’insomnie. Les désirs activent régulièrement des pensées telles que des objectifs, des souhaits et des thèmes de conversation. Les microémotions de culpabilité ou de fierté déclenchent des intuitions morales de désapprobation ou d’approbation anticipée des autres, qui sont essentielles pour développer un comportement prosocial. Les microémotions d’ennui ou d’envie de stimulation peuvent déclencher la distraction ou le vagabondage de l’esprit et peuvent être à l’origine de certains symptômes d’inattention. Les microémotions d’intérêt, de plaisir ou de tristesse peuvent faire naître des pensées créatives.
Les microémotions influencent nos pensées de diverses manières. Elles détournent notre attention de son objet actuel, elles sensibilisent les systèmes sensoriels pour qu’ils remarquent les choses liées à leur thème dominant et elles facilitent la récupération des souvenirs et informations liés à ce thème. Les microémotions sont elles-mêmes déclenchées par une perception ou une idée, souvent inconsciente, qui est suffisamment importante pour activer subtilement les systèmes émotionnels.
L’amygdale
Les émotions peuvent activer des pensées spontanées par le biais de plusieurs circuits cérébraux centrés sur une portion de nos circuits émotionnels cérébraux, appelée amygdale. Cette plaque tournante de nos émotions apprend par association la signification émotionnelle de nos pensées. Grâce à ces associations, l’amygdale déclenche les émotions issues de nos pensées et, réciproquement, elle oriente notre attention et nos pensées en fonction de nos émotions.
Lorsque la pensée évoquée par une émotion est elle-même source d’émotion, une boucle est créée entre la pensée et l’émotion qui entretient l’émotion. Cette boucle émotion-pensée est arrêtée par la distraction ou une émotion concurrente.
Finalement, les pensées spontanées sont en grande partie des pensées motivées : chaque minute, des sentiments poussent notre attention, notre voix intérieure et notre théâtre mental vers un thème spécifique. Un meilleur contrôle du stress, des émotions et des expériences quotidiennes peut améliorer la qualité de ces pensées spontanées et la satisfaction qui en découle.
Francois Richer, Professor, neuropsychology, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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