Par le

Image de freepik

Image de freepik

Cancer : prendre en charge le « brouillard cognitif » qui peut persister après les traitements

Pedro Alejandro Rodriguez, Université de Bordeaux; Véronique Gérat-Muller, Université de Bordeaux et Virginie Postal, Université de Bordeaux

Perte de mots, incapacité à finir la page d’un livre, oublis récurrents… Un « brouillard cognitif » peut perdurer après la fin de traitements contre le cancer par chimiothérapie ou hormonothérapie. Des prises en charge se mettent en place pour faire face à ces troubles.


Le cancer est une maladie qui affecte environ 433 000 nouvelles personnes chaque année en France. Elle représente la première cause de mort chez l’homme et la deuxième chez la femme. Cette maladie met en danger la vie des patients et pour cette raison l’objectif principal de la médecine a été de prolonger leur vie le plus possible.

Grâce aux progrès médicaux, un nombre croissant de patients peut aujourd’hui survivre au cancer. Ce succès a poussé la recherche à se concentrer non seulement sur la survie, mais également sur la qualité de vie à long terme des patients.

Des troubles dus au cancer et aux traitements

Celle-ci peut en effet être affectée après la fin des traitements. D’un côté, car la personne a vécu un évènement traumatique, mais aussi, car les traitements peuvent entraîner des troubles physiologiques à long terme, comme l’illustrent des études sur le cancer du sein.

Les troubles peuvent varier en fonction du type de cancer, du traitement reçu, de l’âge des patients et des comorbidités individuelles. Plusieurs recherches se sont intéressées plus particulièrement au cancer du sein, qui est l’un des plus étudiés du fait de sa haute fréquence et de son taux de survie élevé comparé à d’autres cancers.

En France, on recensait 61 214 nouveaux cas de cancer du sein en France métropolitaine en 2023. Heureusement, le taux de survie continue à augmenter (il est actuellement de 88 % à 5 ans). La recherche explore davantage les manières d’améliorer la qualité de vie des patients survivant au cancer.

Une gêne qui peut durer après la maladie

Une fois que la vie est sauvée, plusieurs conséquences surviennent, certaines plus connues que d’autres. Les personnes ayant eu un cancer peuvent ressentir de la culpabilité d’avoir survécu et une peur de la récidive. Par ailleurs, les effets indésirables les plus directs et évidents des traitements anticancéreux commencent à s’évanouir, tels que la fatigue, la douleur chronique, la perte des cheveux, ainsi que les problèmes de peau et d’ongles.

Cependant, il existe une gêne qui peut rester et perdurer. Les personnes ayant eu un cancer peuvent par exemple percevoir des difficultés à se concentrer, ne pas réussir à finir la page d’un livre, oublier ce qu’elles allaient acheter au supermarché, conduire une voiture et oublier leur chemin, ou encore perdre ou remplacer des mots lorsqu’elles parlent.

Les proches de ces personnes peuvent également faire ces constats et signaler des oublis ou manques d’attention. Ces problèmes peuvent perdurer après le traitement et ce, pendant des années. Des études ont constaté la présence des troubles jusqu’à 10 ans après la fin des traitements. Certains patients affirment sentir qu’ils perdent la tête, deviennent fous. Certains évoquent des problèmes mnésiques et exécutifs. La gêne produit par ces symptômes peut même conduire à un isolement social.

Un chemobrain ou « brouillard cognitif » avec des conséquences sociales

Les atteintes liées aux traitements anticancéreux, aussi connues sous le terme de chemobrain ou « brouillard cognitif », sont considérées comme légères. Mais elles peuvent impacter la qualité de vie des patients.

Premièrement, car ces troubles cognitifs peuvent affecter la performance dans les tâches quotidiennes. Deuxièmement, car cela peut entamer la confiance en ses propres capacités cognitives, ce qui peut conduire à laisser de côté certaines activités par peur de ne pas réussir à les faire. Troisièmement, car les personnes ayant eu un cancer commencent à cacher les difficultés qu’elles rencontrent, ce qui peut les conduire à une fuite du milieu professionnel et à un isolement social.

Dans le cancer du sein, par exemple, loin d’être le fruit de l’imagination des patientes, ces atteintes ont été objectivées à l’aide de tests neuropsychologiques et d’études en neuroimagerie.

Les tests en neuropsychologie ont mis en évidence une atteinte de la mémoire verbale, de la flexibilité et de la mémoire de travail. La neuroimagerie a révélé une réduction de la matière grise du cerveau et du volume cérébral total. (On distingue deux catégories de tissus dans le cerveau : la matière grise et la matière blanche, la matière grise étant notamment responsable de fonctions cognitives comme la lecture, le calcul, l’attention, la mémoire… NDLR).

Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer l’origine de ces atteintes. Certains chercheurs considèrent qu’elles sont issues des processus inflammatoires déclenchés par les traitements anticancéreux. D’autres que les traitements modifient la perméabilité de la barrière hématoencéphalique, une structure qui a pour fonction de protéger le cerveau contre des agents nocifs, ce qui conduirait au passage de substances qui, normalement, sont retenues par cette barrière.

Quelles prises en charge sont proposées ?

Aujourd’hui, ces troubles sont de plus en plus connus, et différentes prises en charge sont proposées aux patientes. L’activité physique et, ce que l’on appelle, la remédiation cognitive comptent parmi les prises en charge les plus connues.

La remédiation cognitive est utilisée en santé mentale. Désormais, on expérimente également cette approche pour lutter contre les troubles cognitifs post-traitements oncologiques.

Cette prise en charge utilise des exercices personnalisés pour traiter des différents processus cognitifs tels que la mémoire, l’attention et les fonctions exécutives. Les progrès de la technologie numérique comme les applications et les logiciels facilitent la réalisation d’exercices cognitifs à domicile, permettant un suivi détaillé des progrès, ainsi que la possibilité pour les neuropsychologues de mettre en place un suivi personnalisé.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Cette approche est basée sur la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à se réorganiser et à former de nouvelles connexions, ce qui est essentiel pour récupérer et améliorer les fonctions cognitives. Ces innovations visent à la récupération des capacités affectées, ce qui offre de l’espoir et améliore de manière significative la qualité de vie des personnes touchées.

Bien que la remédiation cognitive soit une option qui semble efficace, il reste du chemin à parcourir pour l’adapter au mieux aux besoins des patients. Traditionnellement, ce type de thérapie est coûteuse et elle est classiquement délivrée en présentiel. Aujourd’hui, dans le domaine de la neuropsychologie, sont proposées des méthodes innovantes de remédiation cognitive, certaines via l’utilisation des logiciels, des applications, visioconférences et de la réalité virtuelle.

Les innovations en cours offrent un espoir significatif pour améliorer à terme la qualité de vie des personnes affectées par les séquelles cognitives des traitements anticancéreux. L’évaluation de l’efficacité de ces programmes de remédiation est aujourd’hui un enjeu prioritaire des études en psychologie cognitive.

Pedro Alejandro Rodriguez, Doctorant en psychologie, Université de Bordeaux; Véronique Gérat-Muller, Docteur en psychologie, psychologue clinicienne, psychopathologie - neuropsychologie, Université de Bordeaux et Virginie Postal, Professeur en psychologie cognitive, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Articles en relation

Après le cancer : est-on en rémission, ou peut-on espérer vivre sans la maladie ... Image de freepik Après le cancer : est-on en rémission, ou peut-on espérer vivre sans la maladie ? Cathe..... Read Full Article
Sardines, maquereaux et autres poissons gras : contre le cancer, l’intérêt des o... Image de freepik Image de freepik Sardines, maquereaux et autres poissons gras : contre le cancer, l’intérêt des oméga-3 et lipides du mili..... Read Full Article
Cancers les plus fréquents : le rôle du « gras » dans leur prévention et leur év... Image de freepik Image de freepik Cancers les plus fréquents : le rôle du « gras » dans leur prévention et leur évolution Jean-Fra..... Read Full Article
Cancer colorectal : qui doit se faire dépister, et comment ? Image de julos sur Freepik Image de gpointstudio sur Freepik Cancer colorectal : qui doit se faire dépister, et comment ? Lucien G..... Read Full Article
Troubles de la personnalité : apprenez à les reconnaître ! Troubles de la personnalité : apprenez à les reconnaître ! Dominique Servant, Université de Lille - initiative d'excellence Les..... Read Full Article
« Back to Black » : le film sur Amy Winehouse, du point de vue d’une experte en ... @Capture Youtube « Back to Black » : le film sur Amy Winehouse, du point de vue d’une experte en alcoolisme Sadie Boniface, King's C..... Read Full Article