Le numéro un français de la grande distribution est accusé de contourner la loi et d’imposer des baisses de tarifs à ses fournisseurs.
A vouloir poursuivre coûte que coûte sa politique des prix les plus bas de la grande distribution, au nom de la défense du pouvoir d’achat, Leclerc a de nouveau trébuché. Dans un communiqué publié dimanche 21 juillet, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et sa secrétaire d’Etat, Agnès Pannier-Runacher, ont annoncé l’assignation en justice de plusieurs entités du groupe pour leur réclamer une amende record de 117,3 millions d’euros, confirmant une information du Figaro.
Pour justifier sa décision à l’encontre du numéro un français de la grande distribution, Bercy s’appuie sur une enquête approfondie de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Au début de 2018, elle avait été saisie par divers fournisseurs de Leclerc. Ils accusaient sa centrale d’achat française Galec et deux autres sises en Belgique, Eurelec et Scabel, qui regroupent les commandes des super- et hypermarchés, d’user de moyens illégaux pour faire baisser les prix, notamment de menaces – et de mises à exécution – de déréférencement dans les rayons.
« C’est une enquête très construite menée par plus de vingt agents : 5 000 messages et 8 000 pages de documents ont été saisis lors des perquisitions, qui ont eu lieu en février 2018, détaille Mme Pannier-Runacher. L’amende est élevée, car de nombreux éléments indiquent une volonté délibérée de contourner la loi française pour imposer aux fournisseurs des baisses de prix sans contrepartie. » Elle représente, selon elle, « trois fois le montant de l’indu perçu par Leclerc », qui était de 39 millions.
Une somme qui n’inclut pas les remboursements d’indus et sans comparaison avec les quelques millions réclamés jusqu’à présent. Elle envoie un signal fort : agriculteurs et industriels de l’agroalimentaire jugent en effet les amendes trop indolores pour faire cesser ces mauvaises pratiques.
Pour sa défense, le géant de la distribution rappelle que les négociations visées ne concernent ni les PME ni le monde agricole. « On ne peut interdire aux entreprises d’acheter au niveau européen, indique au Monde le PDG Michel-Edouard Leclerc, en rappelant que ces contrats concernent des achats fermes auprès « des douze plus grandes multinationales », comme Nestlé, Mondelez, Procter & Gamble ou Unilever.Lundi après-midi, Leclerc a annoncé dans un communiqué sa volonté de saisir la Cour de justice de l’Union européenne afin de faire cesser « l’acharnement des pouvoirs publics français ».
« Un cadeau fait à des multinationales »
Pour le président des centres E. Leclerc, le gouvernement « cherche des boucs émissaires dans un baroud médiatique » et « à rendre responsable E. Leclerc de l’échec de la loi Egalim » sur l’alimentation entrée en vigueur en janvier. « Et à augmenter les prix chez Leclerc », déplore le dirigeant, qui considère cette assignation comme « un cadeau fait à des multinationales ».
A Bercy, on réplique en pointant les délocalisations croissantes des négociations commerciales vers la Belgique. « On est passé de quatre groupes industriels en 2017 à 14 en 2018 et à 27 cette année », note la secrétaire d’Etat. Le gouvernement ne veut pas en rester là pour traquer ces pratiques commerciales abusives. « Nous portons une attention toute particulière aux centrales d’achat, et pas seulement celles de Leclerc. D’autres enquêtes sont en cours », souligne Mme Pannier-Runacher. C’est toute la philosophie de la loi Egalim qui est en jeu : trouver un équilibre économique entre monde agricole, industrie agroalimentaire et grande distribution, notamment pour permettre une augmentation du revenu de certains agriculteurs.
E. Leclerc avait été la moins conciliante des grandes enseignes lors des débats précédant cette loi. Ce n’est pas la première fois qu’il est dans la ligne de mire de Bercy. En juin 2018, il l’avait assigné devant le tribunal de commerce de Paris, réclamant 25 millions d’amende et 83 millions de remboursement d’indus, soit 108 millions.
Après trois ans d’enquête (2015-2017), la DGCCRF avait découvert que le groupe imposait des remises de prix de 10 % à une vingtaine de ses fournisseurs en plus de ce que prévoyaient leurs contrats, sans contrepartie commerciale (publicité, mise en avant de produits en magasin…). Ces remises additionnelles étaient imposées aux fabricants de grandes marques alimentaires vendues chez Lidl, un concurrent dont E. Leclerc redoute les petits prix. La justice doit encore se prononcer sur cette affaire.
En 2015, les juges avaient déjà sanctionné l’enseigne. La cour d’appel l’avait alors condamnée à rembourser 61,3 millions à 48 fournisseurs (Bonduelle, Ferrero, Jacquet…) pour des sommes indûment perçues lors de remises de fin d’année. Des demandes de ristourne qui, pour la justice, créaient « un déséquilibre significatif » entre les fabricants et l’enseigne, au profit de cette dernière. Le remboursement de ces sommes était assorti d’une amende de 2 millions d’euros.