Avec son album country, Beyoncé questionne la dimension raciale des genres musicaux aux États-Unis
A Paris, un affichage sauvage pour annoncer la sortie du nouvel album de Beyoncé, Act II - Cowboy Carter, le 29 mars 2024.
Photo SZ / The Conversation, CC BY-NCElsa Grassy, Université de Strasbourg
Les réactions qui ont entouré cette sortie révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux, unités structurantes de l’industrie musicale, comprennent une dimension raciale, ce qui explique que Beyoncé soit la seule femme noire à s’être hissée à la première place du Hot Country 100 du magazine Billboard.
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Vue de France, cette déclaration pourrait paraître exagérée. Pourtant elle reflète tout à fait les mécanismes qui ont présidé à la création de la country comme genre musical au début du XX? siècle. Ceux-ci sont inséparables de la mise en place d’une ségrégation musicale entre, d’un côté, les « race records » regroupant les musiques « noires » (blues, gospel et jazz, entre autres) et, de l’autre, ce qui deviendra la country, appelée alors « hillbilly music » ou « old-time tunes » présentée elle comme blanche, par opposition.
Les premiers recherchent, dans des endroits qu’ils estiment reculés, la trace de traditions préservées du monde moderne, à l’image de l’Américain John Lomax ou de l’Anglais Cecil Sharp, qui considérait que la musique des Appalaches avait mieux conservé le génie de la race anglo-saxonne (lire : « blanche ») que l’Angleterre industrielle de la fin du XIX? siècle.
A une époque où les disques servent avant tout à stimuler les ventes de phonographes dans les magasins de meubles, ségrégués, l’industrie musicale pense qu’elle augmentera ses bénéfices en concevant une offre racialement ciblée.
Les Afro-Américains exclus progressivement de la country
Cela ne se fera qu’au prix de nombreuses manipulations. Les folkloristes les rêvent comme une population protégée de la modernité et de sa corruption, mais les musiciens ruraux du Sud, quelle que soit la couleur de leur peau, ont un répertoire très large et jouent souvent ensemble, y compris la variété de l’époque.
Qu’à cela ne tienne : comme les folkloristes, le personnel des maisons de disques fait le tri, n’enregistrant que ce qui semble traditionnel et correspond à l’origine ethnique des artistes. Lorsque le morceau ne colle pas, mais qu’il est trop bon pour être rejeté, on maquille l’origine des artistes en leur donnant des pseudonymes.
Progressivement, les diverses médiations de la musique – image, textes, pratiques – excluent les Afro-Américains de l’univers de la country, consolidant ainsi une division raciale arbitraire, à laquelle se conforment les musiciens par nécessité économique. Elle se poursuivra sous diverses formes, plus discrètes, après la Seconde Guerre mondiale.
C’est donc cette composante raciale du genre que taquine la sortie de Cowboy Carter, en réclamant le droit à la country des artistes afro-américains et, par là-même, leur légitimité à revendiquer une identité sudiste, mouvement associé au « hee haw agenda » – onomatopée qui imite le hi-han de l’âne et qu’on retrouve dans bon nombre de chansons country – dont on trouve un écho dans la résurgence de la figure du cowboy noir et des productions culturelles récentes comme le film Nope de Jordan Peele.
Sous cette impulsion, en 2021, la journaliste musicale et manager afro américaine autoproclamée « perturbatrice de la musique country » Holly G créait le Black Opry, un site dédié à augmenter la visibilité de la country noire. Signe qu’une dynamique s’était mise en place, le New York Times consacrait un article à la nouvelle génération d’artistes folk et country noirs en novembre dernier.
En finir avec le mythe d’une country exclusivement blanche
Aussi Beyoncé a-t-elle pris soin de s’entourer d’artistes reconnus dans le genre, dont certains militent depuis des années pour que le mythe d’une country exclusivement blanche explose.
A partir de ce moment-là, avant même la country, le banjo devient un signifiant du Sud blanc, chargé d’une histoire douloureuse. La réappropriation du banjo par Giddens tient donc de l’exorcisme : elle joue elle-même sur la réplique d’un banjo de minstrel, celui qu’on entend au début de « Texas Hold’Em », et grâce à elle, de nombreux artistes noirs comme Kaia Kater, Jake Blount et Amythyst Kiah ont réinvesti cet instrument, malgré les stéréotypes qui lui sont associés.