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Autorité à l’école : éduquer ou punir ?

Claude Lelièvre, Université Paris Cité

Ces derniers temps, la question d’un déficit d’autorité auprès des jeunes et des sanctions nécessaires pour remédier à cette situation s’est invitée à la « une » de l’actualité. Vendredi 3 mai, le ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs lancé une grande concertation sur le respect de l’autorité à l’école qui doit durer huit semaines.

Quand il s’agit d’autorité, les discours invoquent souvent de façon quelque peu nostalgique un passé qui serait malencontreusement révolu et où le problème aurait été mieux traité et résolu. La période qu’ils prennent pour référence correspond à celle de la fondation de l’école de la IIIe République.

Il est vrai que la question de la discipline a fait l’objet d’une très grande attention de la part des penseurs de cette école républicaine. En témoigne le fait qu’ils ont participé à une « Commission » spéciale sur ce sujet à partir de 1888 qui a abouti aux recommandations et décisions de 1890. Il n’est pas inutile de revisiter ce moment, d’autant que ce qui a été dit et décidé alors est plus complexe qu’on ne le croit et peut encore faire sens aujourd’hui.

Sous la III? République, apprendre à l’élève à « se gouverner lui-même »

Signe des temps, un inspecteur d’académie n’hésite pas – dès 1889 ! – à mettre en valeur une thématique promise à un bel avenir, notant que, dans les collèges, « on rend souvent responsable du relâchement de la discipline l’affaiblissement du principe d’autorité dans la famille comme dans la société » et appelant à changer la discipline des établissements « avec le temps et les mœurs ».

Le rapport de la Commission énonce quelques orientations et propositions précises, en particulier quant à ce que doit être la discipline, « visant à améliorer, non à mater ». Il s’agit « non pas de faire craindre la règle, mais de la faire respecter et aimer » et d’en finir avec les sanctions « n’ayant pour but que d’exercer des représailles, d’infliger une souffrance en retour d’une infraction au règlement ». Le pensum doit être supprimé et « à plus forte raison les vieilles pénalités physiques : arrêts, séquestres, privations d’air ou de mouvement, travaux forcés où l’esprit n’a point de part ».

L’arrêté du 5 juillet 1890, expliqué par la circulaire du 7 juillet, met en forme les orientations dégagées par la Commission. Désormais, « les punitions auront toujours un caractère moral et réparateur ». Les punitions autorisées sont la mauvaise note, la leçon à refaire, le devoir extraordinaire, la retenue du jeudi ou du dimanche, la privation de sortie ou l’exclusion qui doit être utilisée avec circonspection. La circulaire ministérielle du 15 juillet 1890 précise que le Conseil supérieur de l’Instruction publique a :

« manifesté sa préférence pour une discipline libérale et son éloignement d’une discipline répressive. Celle-ci, reposant sur la défiance, n’usant que de la contrainte, se contente d’un ordre apparent et d’une soumission extérieure, sous lesquels se dissimulent les mauvais instincts comprimés, et les sourdes révoltes qui éclateront plus tard. […] La discipline libérale cherche, au contraire, à améliorer l’enfant plutôt qu’à le contenir, à le gagner plutôt qu’à le soumettre. Elle veut toucher le fond, la conscience, et obtenir non cette tranquillité de surface qui ne dure pas, mais l’ordre intérieur, c’est-à-dire le consentement de l’enfant à une règle reconnue nécessaire : elle veut lui apprendre à se gouverner lui-même ».

On terminera sur l’importance du « collectif », pourtant généralement perdu de vue) en l’occurrence. Car, pour les républicains fondateurs historiques de l’école républicaine, qui se méfient d’une acclimatation au « pouvoir personnel » de type royaliste ou bonapartiste, il s’agit de former les jeunes à se régler sur des règles communes, collectives mais surtout pas d’obéir à l’arbitraire privé d’un « maître ». C’est pourquoi ils préconisent (et ce n’est nullement un détail pour eux) la tenue d’un registre quotidien des sanctions disciplinaires effectivement données dans chaque établissement.

La justice des règles, un critère essentiel à un bon climat scolaire

L’importance du collectif est sans doute ce qui apparaît le plus important en l’occurrence, par delà la nature et surtout la « hauteur » des sanctions. Il est en effet remarquable que les succès les plus probants de la lutte pour réduire l’ampleur et l’intensité des violences scolaires passent par certaines mises en œuvre collectives, par le collectif.

De nombreux travaux de chercheurs américains le montrent sans appel, en particulier ceux de l’équipe de Denise C. Gottfredson, qui a mené une enquête de victimation et climat scolaire sur un échantillon de plus de deux cents établissements. Cette recherche a établi que les facteurs les plus explicatifs de l’augmentation de la victimation sont l’instabilité de l’équipe enseignante (« teacher turnover ») et le manque de clarté et l’injustice dans l’application des règles (« fairness », « clarity »)/

« Les écoles dans lesquelles le corps enseignant et l’administration communiquent et travaillent ensemble pour planifier le changement et résoudre les problèmes possèdent un meilleur moral des enseignants et pâtissent de moins de désordre. Les écoles dans lesquelles les élèves perçoivent des règles claires, des structures valorisantes et des sanctions sans ambiguïtés souffrent également de moins de désordre »

Pourtant, le modèle traditionnel reste le plus souvent celui de l’enseignant maître après Dieu dans sa classe, avec sa dose d’arbitraire privé. Mais l’arbitraire n’est pas très positif sur le plan éducatif car il peut développer le sentiment d’injustice chez les élèves, et nourrir en retour la violence, ou bien aboutir à leur soumission à un maître selon son arbitraire privé (ce qui est une autre forme de violence) alors qu’il devrait s’agir non d’obéir à quelqu’un mais de se régler sur des règles communes.

Alors que la légitimité et l’efficacité (éducatives) vont pourtant dans le même sens, on se heurte aux résurgences de la tradition, toujours très prégnante dans le monde de l’école. Il faudrait en sortir, et non pas abonder dans ce sens. Oui la question de l’autorité et des sanctions à l’école est une vraie question, mais à condition d’en profiter pour mieux s’orienter vers des solutions ad hoc.

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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