Après un cancer du sein, quand reprend-on le travail et après quelles trajectoires ?
Après un cancer du sein, la plupart des femmes reprennent le travail, nous apprend une étude épidémiologique mise en lumière à l’occasion d’Octobre rose. Mais leurs trajectoires de retour au travail, notamment le nombre et la durée des arrêts de travail, ainsi que les difficultés qu’elles rencontrent depuis le diagnostic jusqu’au retour à l’emploi, varient.
Le cancer du sein représente 33 % des cancers diagnostiqués chez les femmes, avec 61 000 nouveaux cas par an sur la période 1990-2023 en France. Au cours des dernières décennies, les programmes de dépistage et les progrès des traitements ont permis d’améliorer la survie des femmes atteintes de cancer du sein.
De nombreux diagnostics de cancer du sein concernent des femmes en âge de travailler, et beaucoup d’entre elles éprouvent des difficultés à reprendre le travail après les traitements. Pourtant, la reprise du travail est associée à une meilleure qualité de vie à long terme.
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Après un cancer du sein, la plupart des femmes reprennent le travail
Nous avons conduit une étude épidémiologique appelée TRAVERSÉES (Trajectoires de soins et Retour au trAVail après le diagnostic d’un cancER du Sein : les données du Système National des Données de Santé au service de l’accompagnement) qui souligne la grande variabilité des situations individuelles.
Notre étude a porté sur un échantillon représentatif de 317 femmes âgées de 25 à 55 ans ayant reçu un premier diagnostic de cancer du sein au stade précoce, dont nous avons retracé le parcours de retour au travail dans les trois années suivant le diagnostic.
Nos chiffres montrent surtout que la plupart des femmes reprennent le travail. Nos résultats ont révélé que :
le nombre de périodes d’arrêt de travail variait de 1 à 25 arrêts par patiente
la moitié des femmes ont eu un ou deux arrêts
le nombre total de jours d’arrêt variait entre 3 jours et 3 ans
la moitié des femmes reprennent le travail dans l’année suivant le diagnostic.
En regroupant les parcours individuels, nous avons observé trois groupes distincts de trajectoires de retour au travail :
la moitié des femmes retournaient au travail pendant la première année suivant le diagnostic ;
38 % des femmes reprenaient le travail à temps complet au cours de la deuxième année, généralement après une période de reprise à temps partiel ;
enfin, 13 % des femmes ont eu des périodes d’arrêt complet (arrêt maladie ou pension d’invalidité) jusqu’à la 3e année suivant le diagnostic de cancer du sein.
Ces résultats soulignent que l’accompagnement doit être pensé différemment pour soutenir ces femmes dans leur retour à l’emploi.
Exploiter une grande base de données de l’Assurance maladie
Le retour au travail est important pour la qualité de vie après un cancer du sein. Pourtant, son analyse au niveau de la population reste limitée en France car il est difficile de disposer des informations précises sur les parcours individuels des patients. Dans le cadre de la recherche publique, il est néanmoins possible d’avoir accès aux données de l’Assurance maladie.
Unique en Europe, voire au monde, le Système National des Données de Santé (SNDS) constitue une mine d’or pour mener des études sur la santé de la population française. Cette grande base de données, gérée par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM), comporte les données de consommations de soins à l’hôpital et en ville ainsi que les données de remboursements des indemnités journalières pour l’ensemble des personnes affiliées à l’Assurance maladie, c’est-à-dire plus de 98 % de la population française.
Les informations sur les dates et la durée des arrêts de travail peuvent être reconstituées pour les personnes salariées à partir de cette base de données.
Étudier les trajectoires de retour au travail
Nous avons donc mené l’étude TRAVERSÉES en nous appuyant sur un échantillon représentatif de cette base de données SNDS. Le projet se proposait d’analyser les données pour en apprendre davantage sur la temporalité de la reprise du travail après un cancer du sein diagnostiqué entre 2013 et 2016 en France et développer des indicateurs et des trajectoires de retour au travail.
Nous avons reconstitué les arrêts de travail compensés financièrement par des indemnités journalières ou par la perception de pensions d’invalidité. Nous avons calculé quand et pour combien de temps ces arrêts de travail ont été prescrits et observé s’ils étaient à temps complet ou partiel.
Recueillir aussi l’expérience des patientes et des soignants
Nous avons utilisé une approche mixte mêlant, d’une part, l’exploitation des données du SNDS pour définir des indicateurs quantitatifs sur le retour au travail et, d’autre part, le recueil des points de vue des parties prenantes sur l’interprétation, l’utilité et les limites des indicateurs construits.
Ces approches se révèlent très complémentaires, car elles permettent de comprendre le vécu des patientes et des professionnels de santé face à cette problématique du retour au travail, et ainsi d’exploiter leurs savoirs expérientiels.
Les points de vue des parties prenantes ont été recueillis lors de groupes de discussion (focus group) et d’entretiens auprès de cinq patientes ayant eu un cancer du sein et de six professionnels de santé impliqués dans la prise en charge de cette pathologie (chirurgie, oncologie médicale, radiothérapie, médecine du travail, psycho-oncologie et soins infirmiers).
Le retour au travail : un processus complexe qui dépend de facteurs liés à la maladie, à l’emploi, etc.
Nous avons demandé l’avis des experts parties prenantes sur les indicateurs de retour au travail calculés à partir des données du SNDS. Les professionnels de santé comme les patientes ont conclu que ces indicateurs illustraient bien le processus complexe qu’est le retour au travail.
Ils ont également souligné l’importance de personnaliser l’accompagnement de chaque patiente car chaque parcours de retour au travail est individuel et dépend d’un grand nombre de facteurs (type de traitement pour le cancer, mais également les caractéristiques des individus, leur contexte de vie et de travail).
En effet, la littérature scientifique nous apprend qu’après un cancer du sein, le retour au travail est influencé par plusieurs facteurs sociodémographiques, liés à la maladie et au travail, ce qui rend plus ou moins complexe la reprise dans l’environnement professionnel en fonction de chaque situation.
Ces facteurs sont notamment liés :
aux caractéristiques sociodémographiques des femmes (âge, niveau socio-économique, etc.)
à la maladie (notamment le type de traitements du cancer du sein que la femme aura subi, chimiothérapie ou autres)
à l’activité professionnelle qu’elle exerce (un travail pénible sur le plan physique aura, par exemple, un certain impact)
L’apport des points de vue des parties prenantes pour comprendre l’expérience du retour au travail
Il est très important d’étudier comment la reprise du travail s’est déroulée pour les personnes concernées. Ces retours d’expériences sont utiles aux patientes pour gérer leur vie personnelle et professionnelle mais également aux professionnels de santé afin de mieux planifier les parcours de soins.
Le conseil des experts parties prenantes (c’est-à-dire les soignants et patientes qui ont participé aux groupes et on apporté leur savoir lié à leur expérience, NDLR) à destination des patientes : n’hésitez pas à vous faire accompagner dans votre reprise de travail. Leur conseil aux professionnels de santé : évaluez avec les patientes quels sont leurs différents besoins, au moment d’évoquer la reprise du travail.
Les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du cancer ainsi que les services de médecine du travail et des ressources humaines doivent interagir afin que cette reprise se passe dans les meilleures conditions. Ils ont la responsabilité d’organiser au mieux les soins et l’accompagnement des patientes pendant et après leurs traitements.
Des outils pour mesurer l’évolution du retour au travail dans le temps
D’un point de vue méthodologique, cette étude a montré qu’il est faisable de calculer des indicateurs de retour au travail et d’identifier des trajectoires de retour au travail en utilisant les données nationales de l’Assurance maladie (SNDS).
Ces indicateurs pourraient être suivis dans le temps afin de mesurer l’évolution du retour au travail chez ces femmes avec un cancer du sein, et de voir si l’on progresse en termes de retour au travail. L’approche utilisée dans l’étude TRAVERSÉES et les indicateurs pourraient également être appliqués dans des études sur d’autres pathologies.
Marie Viprey, Cheffe de service Service des données de santé-Pôle de Santé Publique-Hospices Civils de Lyon, Research for Healthcare Performance (RESHAPE, Inserm U1290), Université Claude Bernard Lyon 1, Inserm; Aurélie Moskal, Ingénieure de recherche / Analyste des données de santé, Hospices Civils de Lyon, Pôle de Santé Publique, Service des données de santé / Research on Healthcare Performance (RESHAPE, Inserm U1290), Université Claude Bernard Lyon 1, Inserm et Romain Varnier, Oncologue médical au Centre Léon Bérard / Doctorant en Santé Publique au laboratoire Research on Healthcare Performance (RESHAPE, Inserm U1290), Université Claude Bernard Lyon 1, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.