De ses premiers pas de juge d’instruction jusqu’à son dernier geste fatal, rien finalement n’aura pu nous échapper. L’affaire Grégory traverse les époques avec ses clichés, ses modes, et donc ses personnages clés. Sur les photos de presse, chacun a pu les voir surgir, grandir et aujourd’hui mourir. Quand Jean-Michel Lambert débute sa carrière, fin janvier 1980, le décor est en noir et blanc, les vestes cintrées avec des motifs grands carreaux et lui est un total inconnu. Dans un grand bureau Empire de la cour d’appel de Nancy où tel un jeune homme débutant, il est venu se présenter à ses supérieurs avant de prendre son premier poste de juge d’instruction à Epinal, l’atmosphère est à la tranquillité étouffante.
"Si vous aimez la randonnée pédestre, vous vous plairez dans les Vosges. Et puis vous verrez, sur le plan du travail, vous serez bien. C’est un département tranquille où il ne se passe rien", lui avait lancé le premier président de la cour d’appel.
Curieux présage mais "ces dernières paroles m’avaient permis d’aborder d’un cœur léger la cérémonie d’installation dans mes fonctions de juge d’instruction", racontait Jean-Michel Lambert dans son livre "Le Petit Juge" (Albin Michel, 1987).
Plus loin, l’affaire Grégory étant venue entre temps faire éclater la tranquillité apparente, il confiait comment des journalistes l’appelaient parfois chez lui, "sur son téléphone pourtant sur liste rouge" et même, puisqu’il fallait tout savoir, à quel point il souffrait de cette affaire qui l’empêchait de dormir. Durant l’instruction sur la mort de Grégory Villemin, avait-il écrit, il se laissait surprendre par des crises de boulimie qui "le poussaient à se jeter sur les réserves de biscuit à apéritif" et, confiait-il encore, il se laissait enfermer dans une "atonie sexuelle" tant les rebondissements de l’affaire paralysaient tout son être.
Feuilleton médiatique
Trente-sept ans après l’entrée du juge sur la scène, notre décor et nos rythmes ont changé. Mardi 11 juillet, l’alerte du "Parisien" tombe sur nos smartphones à 22 heures. Le juge Lambert, oui, celui-là même qui instruisit l’affaire Grégory, a été retrouvé mort. On se frotte les yeux, on pense à une erreur. On relit. Mort. Suicide probable. Aujourd’hui, le petit magistrat qui prenait son poste timidement n’est plus un inconnu pour personne. Il est un personnage-clé du fait divers le plus fameux de l’après-guerre en France. On en suit tous les rebondissements. L’après-midi même sur Twitter, le hashtag "Grégory", évoquait encore Muriel Bolle : elle arrêtait sa grève de la faim, entamée la semaine dernière. La veille c’était l’interview de Marie-Ange Laroche, qui disait que "sa vie était fichue".
Comme journalistes, nous étions mal à l’aise, tant cette affaire semble attirer le malheur, comme une sale glue, une tragédie poisseuse qui charrie les morts. Mais on ne pouvait pas imaginer ça. Un autre mort. Cela ne s’est pas passé du côté de la vallée de la Vologne, mais au Mans, là où le juge Lambert, 65 ans, avait pris sa retraite en 2004. C’est une voisine qui a donné l’alerte, à 19h11. Les secours ont ensuite découvert le corps inanimé avec un sac en plastique sur la tête. Le matin même, BFM évoquait l’affaire Grégory. Et notamment les "carnets secrets" du juge Simon qui avait repris l’affaire et critiquait alors durement "les carences, les irrégularités, les fautes (…) du juge Lambert".
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