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L'accent italien de Monica Bellucci semble inséparable de son identité. Reza Veziri/Flickr, CC BY

Accent étranger et célébrité : des stéréotypes et du sexisme

L'accent italien de Monica Bellucci semble inséparable de son identité. Reza Veziri/Flickr, CC BY
Grégory Miras, Université de Lorraine

Le 7 juin 2024 sort la série Becoming Karl Lagerfeld, retraçant une partie de la vie du célèbre couturier. S’il est reconnu pour ses 36 années de contribution à la maison Chanel, il l’est tout autant pour son franc-parler et sa manière de s’exprimer. Daniel Brühl, acteur germano-espagnol incarnant le personnage dans la série, s’est habillé de ces deux spécificités comme le relate l’une des actrices de la série pour le Huffington Post :

« Il parle français avec un accent allemand, mais quand il était en Karl, c’était encore un accent différent. »

Ce biopic est une occasion d’interroger la manière dont les accents étrangers de célébrités participent à l’émergence, la mise en circulation de stéréotypes, notamment au sein de représentations sexistes.

Le cas Lagerfeld

La question des accents autour de Karl Lagerfeld a toujours été présente. Il reconnaît lui-même avoir une « façon étrange de parler mais en allemand aussi » dans une interview de Thierry Ardisson.

Sa manière de parler résulterait donc d’activations croisées avec l’allemand mais aussi d’une rapidité d’élocution. En phonétique, les chercheurs dissocient deux mesures. D’une part, le débit de parole que l’on calcule à partir du nombre de mots ou de syllabes par minute ou seconde sur un temps de parole déterminé, et d’autre part la vitesse d’élocution mesurée de la même manière en excluant la durée des pauses. Concernant son accent, il serait élucidé à partir d’indices phonétiques se rapprochant de la phonologie de l’allemand, par exemple l’assourdissement de certaines consonnes finales. Ainsi « le village » (/l?vila?/) pourra être prononcé « le villach » (/l?vila?/).

Le couturier associe son débit de parole rapide au peu de temps que lui laissait sa mère pour raconter sa journée et ancre de ce fait ses deux spécificités de parole dans son identité franco-allemande. Ce rapport identitaire à son accent ne l’empêcha pas d’émettre de violents jugements à l’encontre d’autres accents. En effet, il avait qualifié l’accent d’Eva Joly, alors candidate franco-norvégienne à l’élection présidentielle, d’« insulte à la langue française », pensant que son accent constituait une incapacité à la plus haute fonction élective.

Contrairement à cette dernière, l’accent dit allemand de Karl Lagerfeld a plutôt été signalé comme un trait lui étant spécifique et qualifié de « légendaire », « inimitable » ou « irresistible ». Quelques exceptions renvoient son accent à une dimension « froide et autoritaire » voire à l’imaginaire des guerres mondiales : « Capable de saillies sanglantes, de déclarations polémiques, il a défrayé la chronique autant qu’il l’a amadouée, avec un débit mitraillette assorti d’un fort accent germanique ».

Inégalités de genre

Pour mieux comprendre les phénomènes sociolinguistiques qui touchent les accents, les scientifiques peuvent s’appuyer sur des corpus et les réseaux sociaux constituent une source inépuisable de discours. Des chercheurs comme Florent Moncomble développent des outils moissonnant le web afin de constituer ses propres corpus. Ces derniers permettent notamment de s’intéresser aux stéréotypes qu’Henri Boyer définit comme « une sorte de représentation que la notoriété, la fréquence, la simplicité ont imposée comme évidence à l’ensemble d’une communauté ».

Ainsi, un corpus de tweets regroupant les 80 derniers posts de 10 célébrités hommes (Karl Lagerfeld, Mika, Zlatan Ibrahimovi?, Timothée Chalamet, Nikos Aliagas) et femmes (Eva Joly, Cristina Córdula, Monica Bellucci, Tonya Kinzinger, Esther Perel) reconnues comme ayant un accent dit étranger est éclairant sur la manière dont les stéréotypes langagiers s’entremêlent avec d’autres clichés notamment ceux liés au genre. Tout d’abord, on peut noter que les femmes (et leur accent) sont fréquemment objectifiés, voire sexualisées par rapport au regard masculin. Cette sexualisation est d’autant plus forte si les stéréotypes de genre (« la femme fatale ») et d’accent (la supposée culture latine de la séduction) se rejoignent.

À l’opposé, un accent identifié comme « froid » renverra à l’imaginaire de la « frigidité ». L’accent belge de

et québécois de Nelly Arcan seront les victimes de l’impolitesse-spectacle des émissions de Thierry Ardisson. Eva Joly fera tout autant les frais de ces associations lorsque Nadine Morano évoque que « le problème de Joly n’est pas que son accent, c’est aussi physique ».

De la même manière, Tonya Kinzinger, actrice phare de la série Sous le soleil, fait face à des attaques physiques :

. Par ailleurs, son accent est perçu comme en adéquation avec son rôle d’actrice dans la série mais ne convient pas pour un rôle de présentatrice de la Star Academy :
. Pour terminer, le stéréotype de la femme « calculatrice » revient particulièrement pour des célébrités comme Cristina Córdula dont
.

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À l’inverse, l’accent de célébrités masculines, même s’il fait également l’objet de critiques, stimule des imaginaires et stéréotypes largement plus valorisants. L’accent de Thimothée Chalamet qualifié comme

renvoie à une perception androgyne de sa masculinité. Revenant à Karl Lagerfeld, si son accent est pointé, il est principalement présenté en miroir à « son génie » :
,
.

En ce qui concerne Mika, Nikos ou Zlatan Ibrahimovi?, peu de tweets traitent directement de leurs accents mais plutôt de situations relatives à ces derniers. L’accent de Mika est (faussement) démasqué derrière le personnage du « Croco » dans Mask Singer même s’il est perçu comme

. Le présentateur Nikos
d’autres accents que le sien.

La pluriphonie comme norme sociale

Clichés, représentations et stéréotypes nourrissent la manière dont des caractéristiques identitaires sont associées aux individus. Ces univers sont complexes et irrigués à différents niveaux. La science n’est par ailleurs pas épargnée par ces derniers, comme le souligne le linguiste Aron Arnold en démontrant que les phonéticiens ont eu tendance à réfléchir à partir de la physiologie vocale masculine et à pathologiser celle féminine. Aussi, l’accent dit « étranger », en plus de renvoyer à une forme d’exclusion sociale et du racisme, se double de stéréotypes de genre : l’accent de la femme met en valeur sa beauté ou participe à sa laideur et celui de l’homme, ses compétences professionnelles.

Toutes ces considérations amènent à se poser la question de la manière dont on perçoit les locuteurs et leur accent dans la société. Elles conduisent également à rappeler que l’accent est toujours le produit d’une perception subjective de celui qui croit l’entendre et que la norme est une pluriphonie – les individus ont des répertoires variés de prononciation qu’ils mobilisent en fonction des situations. Rendre visible la diversité de ces profils de locuteurs participe à normaliser cette vision pluriphonique du monde.

Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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