Avec la flambée des prix immobiliers qu’elle connaît, comme beaucoup de grandes métropoles, la ville de Paris voit s’éloigner de plus en plus les familles des classes moyennes.
« Paris est une ville où on laisse des plumes. Il faut se battre pour y habiter. » A 37 ans, Florence et son conjoint, Alban, ont quitté le ring « après avoir bataillé pendant des années pour y rester ». Les 5 000 euros de revenus, « dans les bons mois », de ce couple de travailleurs indépendants dans le domaine de la communication n’auront donc pas suffi.
« Quand le propriétaire de notre appartement est décédé, on avait le choix : soitde racheter le bien au prix de 700 000 euros, ce qui était impossible pour nous, ou de repartir dans une recherche immobilière monstrueuse, vu notre profil d’indépendants, relate Florence, qui payait jusque-là 1 700 euros de loyer pour un trois-pièces dans le 9e arrondissement. Nos parents sont retraités de la fonction publique, mais ça ne suffisait pas comme garants, et parce qu’ils ont plus de 70 ans, c’était même un handicap auprès des bailleurs. » Froidement, elle en tire une conclusion : « En tant qu’enfant de la classe moyenne, je n’ai plus ma place à Paris. »
Le couple vient d’emménager à Montbard (Côte-d’Or), une ville bourguignonne de 5 500 habitants située sur la ligne TGV Paris-Dijon. Un changement radical pour le couple, qui fait pourtant partie de la fourchette haute de la classe moyenne, constituée, selon l’Insee, de toutes les personnes dont le revenu disponible est situé entre 1 350 euros et 2 487 euros par mois. « Au final, c’est un vrai soulagement, j’ai le sentiment d’être descendue d’un manège infernal », souffle la jeune femme.
« J’ai loué un trois-pièces 1 600 euros auprès d’un particulier, car les agences immobilières écartaient mon dossier », Karine
Professeure de sciences de la vie et de la terre dans un collège du 14e arrondissement de Paris, Karine a déménagé dans le Val-de-Marne fin 2018. Séparée de son mari en 2016, elle a dû revendre l’appartement qu’ils occupaient avec leurs deux enfants, à quelques encablures de son établissement scolaire. « Je me suis retrouvée seule à assumer la charge de la famille, sans pension alimentaire. J’ai loué un trois-pièces 1 600 euros auprès d’un particulier, car les agences immobilières écartaient mon dossier au motif que je ne gagnais pas trois fois le montant du loyer », détaille Karine, qui gagne 2 800 euros par mois. Mais, très vite, « le reste à vivre » de la famille s’étiole.
L’attente devient interminable pour un logement social. Après deux propositions finalement avortées, à Paris et à Issy-les-Moulineaux, c’est à Villejuif que Karine et ses enfants finissent par poser leurs valises. « Je vis une nouvelle vie. Je redécouvre ce que sont les rapports avec des gens moins favorisés que moi, mais aussi des nuisances sonores que je ne connaissais plus », confie, « aigrie », celle pour qui emménager à Paris au début de sa carrière avait été « un saut qualitatif ».
Bientôt 10 000 euros le mètre carré
La capitale est-elle toujours en mesure de loger des enseignants, des infirmiers, des indépendants, des commerçants ou de petits entrepreneurs ? Ni pauvre ni riche, la classe moyenne y a-t-elle encore droit de cité ? A Paris, le montant des loyers a augmenté de 1,4 % en 2018 et de 2,9 % en cas de changement de locataire, soit une hausse supérieure à celle des quatre années précédentes, souligne l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP).
Désormais, plus aucun arrondissement n’est à moins de 8 000 euros le mètre carré
A l’achat, le coût du mètre carré s’est accru, lui, de 6,4 % en un an et atteint, en moyenne, 9 680 euros, selon les chiffres des notaires et de l’Insee publiés fin mai. D’ici au mois de juillet, il devrait même approcher des 10 000 euros (9 990 euros), en hausse de 27 % depuis mai 2015.Désormais, plus aucun arrondissement n’est à moins de 8 000 euros le mètre carré. Fait nouveau, les quartiers populaires connaissent aussi une envolée des prix : + 13,8 % dans le 19e arrondissement, + 11,4 % dans le 10e. Mais aussi la petite couronne, avec une progression de 4,2 %, voire 4,9 % en Seine-Saint-Denis.
Avec ses 105 km², Paris intra-muros attire des populations aux profils de plus en plus contrastés, les très riches s’établissant dans « l’ancien » et les très pauvres dans des logements sociaux. L’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) de la région Ile-de-France note un accroissement significatif des ménages les plus aisés dans les 7e et 8e arrondissements.
L’enrichissement touche également des quartiers proches, « par un effet de diffusion et de consolidation des territoires de la richesse », observe-t-il dans une étude parue début juin consacrée à la gentrification et à la paupérisation en Ile-de-France. Entre 2001 et 2015, la part des ménages très aisés s’est fortement accrue (+ 5 points) dans les 2e et 3e arrondissements, et sensiblement (de 2 à 3 points) dans les 17e, 4e et 1er arrondissements. Les ménages aisés, souvent cadres de profession, investissent aussi les quartiers populaires du nord de Paris. C’est dans le 18e arrondissement que le phénomène est le plus marqué : la part de ménages riches à très riches s’est accrue de 3,6 points et celle relevant des ménages les plus pauvres a baissé d’autant.
« Un repaire pour super-riches »
« Si vous faites partie de la classe moyenne, lorsque vous êtes majeur, il faudrait vous inscrire aussitôt sur la liste pour obtenir un logement social !, ironise Martin Omhovère, directeur du département habitat de l’IAU [Institut d’aménagement et d’urbanisme]. Au-delà des prix, le parc de logements parisien n’est pas fait pour les familles des classes moyennes. A 50 %, il se compose d’habitations d’une ou deux pièces, ce qui ne correspond pas aux aspirations d’un couple avec enfants. »
« Paris est en train de devenir un repaire pour super-riches, corrobore Emmanuel Trouillard, géographe chargé d’études sur le logement à l’IAU. Des familles s’en vont, des écoles ferment dans les arrondissements du centre de la capitale… Le problème de Paris, c’est de maintenir l’accès des classes moyennes au logement intermédiaire et au logement social. »
Une gageure, même si la ville se targue d’offrir aujourd’hui plus de 20 % de logements sociaux, contre 13 % seulement en 2001, souligne Emilie Moreau, pilote des études sociétales à l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Fin 2017, sur plus de 244 000 ménages inscrits comme demandeurs d’un logement social intra-muros, 134 964 étaient déjà des Parisiens. Combien parmi eux finiront-ils par s’établir en dehors de la capitale ?
« Des professions essentielles au fonctionnement de la métropole se retrouvent avec des difficultés pour se loger dans la capitale », M. Rivaton
« Les très riches à Paris sont plus riches que les très riches à l’échelle du pays. Mais les classes moyennes qui touchent le smic, elles, n’ont pas de primes particulières lorsqu’elles vivent à Paris », relève Robin Rivaton, entrepreneur et auteur de La Ville pour tous (2019, Editions de l’Observatoire). Résultat : « Des professions essentielles au fonctionnement de la métropole, tels les enseignants,les infirmiers ou les policiers, se retrouvent avec de réelles difficultés pour se loger dans la capitale. Difficultés que leurs collègues en province ne rencontrent absolument pas. »
Une nouvelle catégorie de population tire son épingle de ce jeu immobilier : les touristes. A la faveur du succès des plates-formes comme Airbnb ou Abritel, un marché parallèle s’est créé, venant assécher un peu plus l’offre locative privée. « Airbnb tue beaucoup de quartiers. En quatre ans, le marché locatif traditionnel a perdu 20 000 logements », dénonce Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris chargé du logement.
L’élu pointe aussi les 100 000 logements vacants et les 100 000 résidences secondaires (en hausse de 40 % en cinq ans) que compte la capitale, sujet d’autant plus brûlant qu’il existe très peu de possibilités pour construire du neuf dans une ville déjà saturée. « Il faudrait réquisitionner les immeubles vides, mais ce droit relève du préfet et non du maire », précise Ian Brossat, qui appelle à une redistribution des compétences. Pour l’heure, l’élu mise sur le retour – après deux ans de suspension – de l’encadrement des loyers qui devrait « donner un appel d’air aux classes moyennes ». A condition, toutefois, que les bailleurs ne choisissent pas exclusivement les locataires aux revenus les plus élevés.
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