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À Noël, des cadeaux de seconde main sous le sapin ?

Elodie Juge, Université de Lille; Eva Cerio, Université d'Angers; Isabelle Collin-Lachaud, Université de Lille et Tiphaine Chautard Dardé, Université d'Angers

Une étude récente de Tripartie, plate-forme sécurisant les paiements pour des produits de seconde main, en témoigne : le marché de l’occasion devient une alternative de plus en plus considérée par un nombre croissant de consommateurs.

« La demande de produits d’occasion affiche une nette augmentation : près de la moitié des Français (46 %) a acheté au moins un produit d’occasion au cours des 12 derniers mois ».

Bien que les discours convenus sur les bénéfices perçus de l’achat d’occasion concernent essentiellement le gain financier et la réduction de l’impact environnemental, plusieurs recherches ont montré l’appétence des consommateurs pour la « chose marchande ». L’achat pour soi-même ne traduit souvent pas tant une volonté de consommation raisonnée qu’un désir de consommer encore et toujours davantage grâce à des prix réduits. D’ailleurs, d’après un rapport de l’Ademe, 86 % des individus estiment que l’occasion permet d’acheter plus d’objets pour moins cher et 84 % y voient l’occasion d’économiser pour s’offrir plus de loisirs en retour. Les liens entre achat d’occasion et sobriété ne sont alors pas si évidents.

D’un autre côté, des freins persistent encore chez certains consommateurs comme la difficulté à trouver le produit recherché, la peur de la mauvaise affaire ou encore la crainte de l’escroquerie. Cela explique que de nombreuses garanties et facilitations soient mises en place par les plates-formes comme LeBonCoin ou Vinted : des applications faciles d’utilisation, une présentation optimisée des produits, des filtres de recherche, des transactions financières sécurisées, une protection acheteur incluse, un contrôle des contrefaçons pour les produits de luxe… Ces dispositifs participent à l’accélération de cette pratique de consommation, qui s’est institutionnalisée et devient aujourd’hui la norme.

Acheter des produits de seconde main n’est pas chose récente mais le phénomène a connu un essor fulgurant ces dernières années, facilité par les plates-formes de mise en relation de « particuliers à particuliers » et l’ouverture de nombreuses friperies ou ressourceries locales. Jusqu’à arriver au pied des sapins de Noël ?

Pour soi-même et pour les autres ?

Si les consommateurs sont désormais acculturés à l’achat d’occasion pour eux-mêmes, ils sont aussi de plus en plus nombreux à envisager d’offrir un cadeau de ce type. Un sondage récent mené par l’Ifop pour LeBonCoin le confirme : 43 % de sondés ont déjà offert un cadeau de seconde main. Parmi eux, 27 % possédaient déjà l’objet, 41 % l’ont acheté pour offrir, le reste a déjà pratiqué les deux.

Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons mené une recherche exploratoire à partir d’entretiens avec des consommateurs, individuels comme groupés. L’objectif était de chercher à identifier dans quelle mesure les adeptes de l’occasion pour eux-mêmes sont enclins ou non à considérer des produits de seconde main lorsqu’ils sont à la recherche d’un cadeau à offrir à un proche, un membre de la famille, un ami ou un collègue.

Nos résultats ont révélé que les bénéfices perçus de l’achat d’un cadeau d’occasion sont similaires à ceux identifiés dans la pratique d’achat d’occasion n’ayant pas vocation à être offert : le gain financier et l’impact écologique positif. Et comme pour l’achat d’occasion pour soi, un bénéfice additionnel apparaît : celui de pouvoir acheter « plus », et donc offrir « plus », en quantité et/ou en qualité. Nous retrouvons ici la même contradiction que pour les achats pour soi-même : des discours tournés vers une consommation plus responsable et sobre, alors que les pratiques restent ancrées dans l’hyperconsommation.

En ce qui concerne les freins relatifs à l’achat de cadeaux d’occasion, on retrouve ceux qui existaient il y a encore quelques années alors que l’achat d’occasion n’était pas devenu normalisé. Les consommateurs soulignent également qu’il ne leur paraît pas normal et naturel, et donc pas dans leurs habitudes d’achat, de se tourner vers des offres de seconde main lorsqu’il s’agit d’offrir un cadeau. Mathilde, 32 ans, explique :

« Je n’y ai jamais pensé. C’est sans doute par habitude : pour offrir un cadeau, on veut du neuf, pour que ce soit parfait, un beau jouet, tout emballé. On se met la pression. »

D’autres individus évoquent spontanément la crainte de l’image négative perçue par le destinataire du cadeau de seconde main, comme Ingrid, 46 ans :

« Jamais de la vie, je ne me le permettrais pas ! »

Il y a encore une forme de honte ou de culpabilité à offrir un cadeau d’occasion, ce que ressent Bruno, 36 ans :

« On est dans une société où offrir de l’occasion pourrait être mal pris par la personne. »

Dissimuler, assumer ou valoriser ?

Pour d’autres, malgré tout, la tentation de tirer profit des avantages de la seconde main l’emporte sur les freins potentiels. Dans ce cas, une attention particulière est portée à l’état du produit et tout particulièrement à son emballage. Pour Aurélien, 39 ans, les cadeaux d’occasion, c’est « oui » mais « à la condition que ceux-ci soient dans l’emballage d’origine ». Emeline, 39 ans, est aussi adepte de la seconde main pour offrir mais le dissimule :

« Je l’ai déjà fait mais je ne dis pas que c’est de l’occasion… »

D’ailleurs, la question de la transparence quant aux vies antérieures d’un produit offert divise. D’après le sondage Ifop, 44 % de ceux qui ont déjà offert de la seconde main l’ont toujours indiqué et 40 % l’ont dit parfois, mais pas tout le temps.

Au-delà d’être simplement « assumés », parfois sous la contrainte lorsqu’il est impossible de cacher que l’emballage ait déjà été ouvert, ou que la garantie ou le ticket d’échange ne peuvent pas être fournis, les cadeaux d’occasion sont parfois même « valorisés » auprès du destinataire. C’est notamment le cas lorsqu’ils sont explicitement demandés par conviction écologique ou lorsqu’il s’agit d’une pièce rare, vintage, ou de collection.

Si l’on en croit les chiffres régulièrement affichés par les plates-formes, on peut penser que Noël 2023 plus encore que les précédents, devrait voir de nombreux paquets contenant des produits d’occasion « dissimulés » ou « assumés » sous le sapin. Dans les deux cas, ce sera le moyen de gâter ses proches dans un contexte inflationniste encore présent avec la volonté d’adopter un mode de consommation plus raisonné et responsable.

Même si pour une grande majorité de nos répondants, le cadeau d’occasion n’a pas encore trouvé toute sa légitimité, les premiers signes d’un élargissement des pratiques liées à l’achat de seconde main sont déjà présents. Les plates-formes semblent l’avoir bien compris. Rakuten affiche le slogan « Idée cadeau pas cher : découvrez nos idées cadeaux incontournables pour faire plaisir autour de soi, du côté du neuf, de l’occasion et du reconditionné » ; la concurrence n’est pas en reste : « Pour un Noël plus abordable, plus durable, plus responsable, faites vos cadeaux sur LeBonCoin ». 73 % des personnes ayant déjà acheté des objets de seconde main pour les offrir se les sont procurés sur Internet.

Elodie Juge, Maître de Conférences - Univ. Lille, ULR 4999 LUMEN - Membre de la chaire TREND(S), Université de Lille; Eva Cerio, Enseignant-chercheur en marketing responsable, Université d'Angers; Isabelle Collin-Lachaud, Professeure des universités, LUMEN (ULR 4999), directrice scientifique de la chaire TREND(S), Université de Lille et Tiphaine Chautard Dardé, Maître de conférences / Associate Professor of Marketing, Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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