À l’adolescence, une pédagogie de l’argent de poche ?

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Selon que l'argent est reçu ou gagné, les jeunes ne le perçoivent pas de la même façon. Shutterstock

Elodie Gentina, IÉSEG School of Management

Les adolescents sont nombreux à recevoir régulièrement de petites sommes d’argent de la part de leurs proches, qu’ils dépensent la plupart du temps dans un cadre amical. C’est ce qu’on appelle communément de « l’argent de poche ». D’après le baromètre Pixpay, établi auprès d’un échantillon de 1000 parents d’adolescents collégiens et lycéens, 92 % des adolescents français en recevraient, depuis l’âge de 11 ans, dès l’entrée au collège.

Pour 42 % d’entre eux, ce don est régulier, pour un montant moyen de 30 euros par mois. Avec l’âge, le montant d’argent de poche augmente. Entre 10 et 12 ans, la somme reçue est en moyenne de 18 euros contre 26 euros pour les 13-14 ans, 37 euros pour les 15-16 ans et 44 euros pour les 17-18 ans.

L’usage de l’argent de poche resterait toutefois genré : le premier poste de dépense pour 87 % des filles serait l’achat de vêtements, alors qu’il s’agirait de l’achat de jeux vidéo pour 78 % des garçons.

Fini la tirelire !

80 % des parents décident de donner de l’argent de poche à leur progéniture afin de lui inculquer la valeur de l’argent, de l’initier à la gestion d’un budget et de lui donner une autonomie financière. Dès le plus jeune âge, les enfants peuvent même avoir accès à un compte bancaire ainsi qu’à une application dédiée, voire une carte bleue associée.

Bien que la carte de paiement soit plébiscitée par les parents pour sa praticité (55 %) et son côté pédagogique (73 %), seuls 26 % des adolescents possèdent aujourd’hui une carte à leur nom. En quoi l’argent de poche du XXIe siècle, dématérialisé, peut-il contribuer au processus de socialisation économique des adolescents ?

1963 : Comment les garçons dépensent-ils leur argent ? (INA Société, 1963).

Depuis la crise sanitaire du Covid-19, 32 % des adolescents ont diminué leurs visites dans les magasins alors que 27 % d’entre eux ont augmenté leurs achats en ligne. Posséder un compte bancaire devient intéressant pour les adolescents dans une telle configuration. Incluant carte bancaire, compte courant et application mobile dernier cri à petit prix, les offres des néo-banques, fraîchement débarquées sur le marché – Freedom (ex-Kador, chez Boursorama), Xaalys, Pixpay ou encore Kard – ciblent exclusivement les jeunes à partir de 10 ans.

Certaines vont jusqu’à développer un porte-monnaie connecté, comme Money Walkie, porte-monnaie électronique qui se recharge via une application et qui permet à l’enfant/l’adolescent d’effectuer de petites dépenses chez des commerçants.

À l’heure où l’argent liquide serait condamné à disparaître pour donner naissance à une société « cashless », le porte-monnaie virtuel apparaît comme un moyen de contribuer au processus de socialisation économique des adolescents, en expérimentant la gestion d’un budget, même stocké virtuellement, et en ayant des discussions plus approfondies avec les parents sur l’éducation financière.

Rôle symbolique

L’argent n’est pas qu’un simple moyen d’échange il a aussi un rôle symbolique significatif. Dès lors, que signifie l’argent pour l’adolescent ?

Une étude, menée auprès de 510 adolescents français et américains (233 garçons et 277 filles, âgés de 12 à 18 ans) et publiée dans La Revue Française du Marketing, a évalué les représentations des adolescents à ce sujet et montré l’existence de quatre principales significations symboliques de l’argent : le statut, l’inquiétude, l’accomplissement et la sécurité.

92 % des adolescents français recevraient de l’argent de poche depuis l’âge de 11 ans. Shutterstock

Le facteur statut se définit comme la tendance à percevoir l’argent comme un signe de prestige. L’accomplissement mesure aussi la tendance à considérer l’argent comme un signe de succès mais davantage à travers le prisme de la réalisation de soi. La dimension sécurité représente le désir de protection qu’inspire l’argent face à l’incertitude de l’avenir. La dimension inquiétude renvoie à l’idée que l’argent, plus particulièrement, le manque d’argent, peut être une source d’angoisse pour l’adolescent.

Les résultats ont mis en évidence l’influence positive de l’âge uniquement sur l’inquiétude à l’égard de l’argent. Ainsi, lors du passage au lycée, l’adolescent intègre que l’argent dont il dispose ne sécurise plus forcément son avenir. Il commence aussi à réaliser des activités rémunérées (dans et hors de la sphère domestique) et prend conscience que tout salaire se mérite. La provenance de l’argent (don vs. gain) joue ainsi un rôle significatif sur la perception de l’argent comme un moyen d’accomplissement, de revendication d’un statut social ou source d’inquiétude.

Le fait de gagner de l’argent par soi-même, via des activités rémunérées, est un moyen pour l’adolescent de satisfaire ses besoins ou envies de consommation, tout en permettant aux parents de remplir leur devoir pédagogique : enseigner le sens de l’effort. Cela permet aussi à l’adolescent de considérer l’argent comme une source de réalisation de soi alors que le fait de dépendre de l’argent de poche peut alimenter la crainte de manquer de ressources.

Stratégies de consommation

Ces perceptions de l’argent (en tant que source d’accomplissement de soi, de statut, de sécurité ou d’inquiétude) permettent de mieux comprendre les différentes stratégies de consommation adoptées par les adolescents : la capacité à rechercher des prix avantageux, la préférence à la marque, la recherche de nouveauté, la capacité à rechercher de l’information avant l’achat, la consultation du groupe de pairs avant l’achat.

1973 : Les jeunes et l’argent de poche (INA Société, 1973).

L’analyse des résultats a montré qu’il existe une relation significative et positive entre les dimensions sécurité/inquiétude et la capacité à rechercher des prix avantageux, ainsi que les dimensions accomplissement de soi/statut et la préférence à la marque ainsi que la recherche de nouveauté.

En d’autres termes, les adolescents, se représentant l’argent comme une source de sécurité, tendent à dépenser selon une logique qu’ils jugent rationnelle, la première en règle étant de ne pas dépenser au-delà de leurs moyens. Afin de répondre à cette exigence, les stratégies sont multiples : rechercher le meilleur prix ou encore s’informer avant l’achat.

Au contraire, les adolescents, se représentant l’argent comme une source d’accomplissement de soi ou de statut social, cherchent à satisfaire leur besoin de différenciation sociale (c’est-à-dire recherche de nouveauté) et d’approbation sociale (c’est-à-dire recherche de l’adhésion sociale avant l’achat, importance accordée aux marques).The Conversation

Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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